Société
Drague... où
débute le harcèlement ?
Si pour la gent masculine, la drague est le meilleur moyen pour
se rassurer quant à ses capacités de séduction ou une simple
technique d’approche, la gent féminine émet un autre point de
vue sur la question. Certaines trouvent qu’il s’agit bel et
bien de harcèlement sexuel sur la voie publique. Une question se
pose: où finit la drague et où commence le harcèlement ?
Par D. Soltani
Pour y répondre, nous sommes allés
à la rencontre de femmes qui ont apporté leurs témoignages sur
le sujet.
Radia nous a déclaré:
“Dernièrement, je suis sortie à la rencontre de mes amies. On
s’est donné rendez-vous dans un salon de thé à Didouche Mourad.
Je me suis précipitée, toute heureuse de pouvoir rencontrer mes
anciennes copines de lycée. En descendant d’un taxi, un inconnu
m’a accostée. Il a commencé par me débiter une cascade de
compliments sur ma beauté et mes rondeurs. Il me suivait au pas.
Ne répondant pas à ses remarques, que je trouvais
désobligeantes, il m’a tenu des propos très insolents. J’étais
choquée et j’avais si peur qu’on m’agresse surtout que, de nos
jours, personne ne risque de prendre votre défense”.
Linda, de son coté, témoigne: “J’ai
toujours été draguée par les hommes. Je comprends qu’ils
puissent admirer en moi la femme séduisante, mais je refuse
qu’ils me traitent avec insolence. Un jour, un mec m’a tellement
embêtée que je suis allée me plaindre auprès d’un flic croisé
sur mon chemin. Vous n’imaginerez jamais sa réponse. Il m’a
ouvertement répondu que s’il n’était pas en service, il aurait
agi de la même manière.
A ce moment, j’ai compris que je
devais m’adapter à ce genre de situation sinon je ne sortirais
plus de chez moi”.
Radia et Linda représentent une
catégorie de femmes qui souffrent, au quotidien, de ce qui
semble être une drague, mais qui s’apparente plus à un
harcèlement.
Mme S. Zohra, sociologue, est émue
par l’ampleur que prend ce phénomène: “De nos temps, vous n’avez
plus besoin d’être belle et jeune pour être harcelée. Etre femme
suffit largement”.
Bien que le harcèlement sexuel dans
les espaces publics soit un phénomène social qui commence à
prendre de larges dimensions, il n’est pas encore défini par nos
textes de loi, alors qu’il envenime la situation de la femme
algérienne.
“Ce n’est que le jour où ce genre
de comportements sera sévèrement sanctionné par notre loi, que
la femme retrouvera enfin la paix de circuler dans les rues,
sans peur ni crainte d’être harcelée” affirme la juriste Mme
Ibouchoukane.
Attention... tout abus est mauvais
“L’établissement d’un contact entre
un homme et une femme est certes important, même lorsqu'ils ne
se connaissent pas, mais attention aux excès. Il est impératif
de se poser la question sur la limite qui sépare la drague
innocente du harcèlement qui viole les droits de la personne”.
Affirme A. Fayza, psychologue clinicienne.
Harcèlement instinctif
La grande majorité des hommes qui
draguent les femmes dans les rues n’espère pas obtenir grand
chose par le biais de ce procédé. Bizarre, non ?
Certains affirment même avoir
développé le réflexe de la drague.
“Parfois, je ne me rends même pas
compte de mon attitude vis-à-vis des femmes que je rencontre
dans la rue. Je me trouve, instinctivement, en train de leur
faire des compliments. Je regrette aussitôt mon étourderie”,
nous avoue Amine, 25 ans.
Rédha estime qu’il s’agit plus que
d’une habitude :”Lorsque je suis parmi un groupe, je lance des
mots doux à des femmes qui passent et je reprends illico ma
discussion”. Ne croyez-vous pas que cette habitude viole la
liberté des femmes dans nos rues ?
Le point de vue des sociologues
“En réalité, l’homme se trouve
toujours dans le cadre du rejet inconscient de l’envahissement
des espaces publics par la gent féminine. En apparence, tout le
monde semble bien s’accomoder de cette mixité publique, mais au
fond, l’accepte-t-on réellement ?
La vérité est qu’on accepte mal la
présence de la femme dans tous les lieux puisque, dans nos
têtes, son image reste farouchement attachée à la conception
traditionaliste du rôle de la femme dans la vie quotidienne.
Vous avez dit harcèlement ?
Du coté de la gent masculine, le
terme de harcèlement est strictement banni. Pour eux, ce sont
les femmes qui réclament ce genre de compliments. Elles sont
provocantes par leurs manières de s’habiller, de marcher et
parfois même de parler.
Entre les jeans “taille basse” et
les petits hauts qui dévoilent à moitié les belles courbes
féminines, les hommes affirment ne plus savoir où donner de la
tête.
“Vous avez vu comment elles
s’habillent , comment elles se dandinent ? Elles nous provoquent
implicitement et nous ne pouvons pas rester indifférents face à
ces “exhibitions””, avoue Rabah, 28 ans.
Ce que pensent les femmes
Les femmes se retrouvent tiraillées
par l’envie de se mettre à la mode et le caractère conservateur
de notre société. D’ailleurs, elles affirment devoir s’habiller
correctement pour ne pas attirer l’attention des mâles.
“Croyez-vous réellement qu’on joue aux séductrices dans les rues
? Personnellement, j’essaye de m’habiller conformément à la
nature de notre société mais, là-encore, on ne me laisse pas en
paix. Ce sont de faux prétextes qu’avancent les hommes pour
justifier leurs complexes, vis-à-vis, de la femme et la
répression dans laquelle ils vivent. Même les filles qui portent
le voile ne sont pas épargnées par ce comportement. Alors, à mon
sens, le port vestimentaire n’a aucun rapport avec le sujet”,
déclare Nawel, une jeune lycéenne de 18 ans.
Quel est l’avis des psychologues
sur la drague ?
La drague, d’un point de vue
psychologique et contrairement à ce que croient certains, n’est
pas un comportement social déséquilibré ou inadapté. Elle
représente un moyen de se valoriser tant auprès des autres
qu'auprès de soi-même.
Réussir à draguer une personne
rassure le sujet sur ses capacités de séduction et son charme.
Cela contribue largement à l’amélioration de l’estime de soi et
renforce la confiance de l’individu en lui.
La drague n’est qu’une façon de se
prouver qu’on peut attirer, plaire et être désiré. Un autre
aspect important de la drague, qu’on tend à négliger parfois,
est le coté communicatif. En effet, ce moyen permet à la
personne d’être en contact avec une autre, dans un cadre bien
précis.
Le seul problème de la drague est
lié aux conduites excessives, c’est à dire lorsque la drague
devient un pur harcèlement sexuel. La personne devra donc se
poser la question sur les limites entre les deux afin de ne pas
transgresser les règles du respect de l’autre.
D. S.