Truands
Après Scènes de crimes
et Agents secrets, Frédéric Schoendoerffer nous livre une
nouvelle vision d’une société sans foi ni loi.
Paris, dans le monde
clos du grand banditisme ; Claude Corti (Philippe Caubère), 50
ans, contrôle tout son territoire d’une main de fer. Du trafic
de stupéfiants au proxénétisme en passant par les vols de
voitures ou les faux papiers, rien ne lui échappe, rien ne se
fait sans qu’il perçoive de commission ; les mauvais payeurs
sont violemment remis dans le droit chemin. Un jour pourtant,
Corti se fait arrêter et prend trois ans de prison : c’est un
coup dur mais il reçoit les visites de sa maîtresse (Béatrice
Dalle) qui lui fait des comptes-rendus, et compte sur ses
hommes, et surtout sur le jeune Franck (Benoît Magimel), un
indépendant, pour veiller sur ses intérêts. Mais les cousins
Hicham (Mehdi Nebbou) et Larbi (Tomer Sisley) en profitent pour
étendre leur propre influence, et Claude commence à se demander
si toute cette histoire n’est pas un coup monté...
Truands est le
troisième film de Frédéric Schoendoerffer, après Scènes de
Crimes en 2000 et Agents Secrets en 2004. Même si l’on ne peut
pas parler d’une trilogie, les trois films sont indubitablement
liés, mais Truands est en quelque sorte le point d’aboutissement
de cette étude un peu particulière de la société actuelle : dans
Scènes de Crimes, la police et l’Etat étaient présents contre le
crime ; dans Agents Secrets, seul l’Etat subsistait pour
soutenir les deux agents. Ici, la loi n'est représentée par
personne, aucune limite n’est posée aux agissements de ces
bandits qui ont une totale immunité, une totale liberté d’action
dans leur propre milieu. Parce que Frédéric Schoendoerffer ne se
contente pas de parler du grand banditisme : c’est une immersion
totale qu’il nous offre ; aucun détail ne nous est épargné, du
traitement de la femme comme objet sexuel aux exécutions
sommaires ou aux tortures punitives. La caméra s’éloigne
rarement des visages des acteurs, plaçant le spectateur au cœur
même de l’action, sans aucune barrière : nous nous retrouvons
réellement au milieu de ces gangsters des temps modernes, nous
faisons partie de leur équipe, peut-être comme un homme de main,
toujours là, intégré: on a presque envie de se reculer pour ne
pas prendre les éclaboussures de sang. L’image est crue, à la
limite de l’hyper-réalisme, avec très peu de lumière
artificielle.
Le réalisateur et son
coscénariste Yann Brion se sont énormément documentés sur le
sujet ; il est important de savoir que si les personnages sont
fictifs, chaque
épisode en revanche a
réellement eu lieu – comme la perforation du genou à la perceuse
et tout ce qui s’ensuit, ou la punition du jeune Johnny.
La grande force de
Truands est sans doute son casting, d’un très haut niveau, le
grand Philippe Caubère en tête : acteur de théâtre connu et
reconnu qui livre ici une interprétation magistrale d’un infâme
personnage, sans morale, sans âme presque. Benoît Magimel est
comme toujours très juste. Et que ceux qui craignaient la
qualité de jeu de Tomer Sisley se rassurent, il s’en sort très
bien dans le rôle d’un des cousins. Signalons au passage aussi
qu’Olivier Marchal (réalisateur de Gangsters et de 36, Quai des
Orfèvres), joue Jean-Guy.
L’un des points
que l’on doit forcément soulever après la vision de Truands,
c’est bien sûr ce problème de l’étalage de violence au cinéma :
difficile d’éviter cette interrogation actuelle. Le fait est
que, bien sûr, le film est violent, du genre « âmes sensibles
s’abstenir » ; la femme est déshumanisée et n’est là que pour
répondre aux désirs, voire aux pulsions, de ces grands bandits.
En bref, l’interdiction aux moins de 16 ans est tout à fait
justifiée. Mais ce serait une erreur de s’arrêter là : Frédéric
Schoendoerffer ne fait en aucun cas l’apologie de cette vie,
mais au contraire la met à l’index : il nous emmène dans cet
univers où tout est noir, glauque, implacable, plus pour
l’accuser que pour l’encenser. Comme il le dit lui-même quand on
l’interroge sur le sujet, le spectateur lambda sera révulsé par
la vie de ces bandits, qui n’attirera que les gens déjà dérangés
; Truands se distingue à ce niveau des productions
hollywoodiennes. Le film est finalement curieusement moral,
principalement à travers le personnage de Franckie qui semble
traverser le film sans être atteint par la saleté ambiante