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La France et ses Musulmans de Sadek Sellam
Entre passions et controverses
9 Septembre 2007

A partir du début des années 50, l’histoire de l’Islam en France est marquée par l’action des intellectuels du Centre Culturel Islamique de Paris, dont le dynamisme rappelle celui de la «Fraternité musulmane» de 1907 que l’auteur fait découvrir pour la première fois.

Le titre du dernier livre de Sadek Sellam «la France et ses Musulmans»* fait croire à une publication de plus qui viendrait encombrer les rayonnages et entretenir l’inflation éditoriale sur l’Islam et les musulmans en France». Mais le sous-titre -«un siècle de politique musulmane (1895-2005)»- suggère une différence de traitement d’un sujet qui suscite beaucoup de passions et de controverses…
Le lecteur s’aperçoit vite de la nette affirmation de cette différence qui va jusqu’à une véritable rupture avec les discours répétitifs des islamo-politologues qui, pour mieux rentabiliser la peur, voient le «communautarisme» partout et exagèrent volontairement l’importance des courants «fondamentalistes». L’auteur n’est pas non plus satisfait de l’intrusion, plus récente, d’une catégorie de chercheurs qui affichent ostensiblement leur admiration pour R. Montagne, un islamo-ethnologue qui mettait son savoir au service des politiques sécuritaires coloniales. Dans un compte rendu fort élogieux, un de ces jeunes «montagnards», sans doute piqué au vif par les passages où se trouve déplorée la collusion entre «le sociologue et le commissaire», reproche à l’auteur d’avoir emprunté ses critiques au «discours nationaliste», alors que celles-ci venaient de l’entourage de L. Massignon.
L’auteur part du constat réside dans la présence des musulmans en France, suffisamment ancienne pour mériter d’être abordée dans la perspective historique qui permet de dépassionner, de dédramatiser et de sortir des limites des descriptions partielles.
L’histoire intellectuelle
et religieuse de l’Islam
La première partie du livre est une contribution conséquente à l’histoire intellectuelle et religieuse de l’Islam en France, qui complète et éclaire d’un jour nouveau l’histoire politique de l’immigration faisant la part belle au Parti Communiste Français. Le chapitre consacré aux «Khalédiens de Paris» dans les années 20, souligne le rejet de la tutelle paternaliste du PCF par un Ali Hammami. En passant sous silence cet intellectuel et militant du premier ordre, les plus idéologues parmi les historiens qui ont tendance à subordonner l’histoire du nationalisme algérien aux règlements de comptes entre Trotskystes et Staliniens, semblent occulter tout ce qui peut remettre en cause leurs présupposés idéologiques.
Le rôle des confréries dans l’immigration ouvrière est examiné avec la même impartialité que celui des "Nadi" ouverts par l’association des ulémas dans les années 30.
A partir du début des années 50, l’histoire de l’Islam en France est marquée par l’action des intellectuels du Centre Culturel Islamique de Paris, dont le dynamisme rappelle celui de la «Fraternité musulmane» de 1907 que l’auteur fait découvrir pour la première fois. Cette partie débouche sur la présentation de l’Islam familial dont l’adaptation conséquente à la laïcité demeure très peu abordée, et pour cause, par les enquêteurs engagés dans la traque du «communautarisme» et des «fondamentalismes» qui mettraient en péril le fameux «modèle français d’intégration». Selon l’auteur, cette adaptation rapide tranche sur les grandes lenteurs des «politiques musulmanes». Considérant implicitement que le poids de l’héritage colonial pèse encore sur les tentatives, parfois louables, de mise au point des relations avec l’Islam, l’auteur retrace avec précision les grandes étapes de la politique musulmane coloniale : confiscation des habous malgré la «parole donnée , rattachement du culte musulman au ministère de la …Guerre, interventionnisme administrative jusque dans les contenus des prêches des imams officiels, interdiction du pèlerinage, contrôle strict de la taxe confrérique, surveillance étroite des petites zaouias indépendantes, etc.
La loi de 1905, rendue applicable à l’Islam par un décret de septembre 1907, aurait dû conduire à mettre fin à ces dispositions d’exception. Mais la direction des affaires indigènes (puis musulmanes) du Gouvernement général d’Alger mettait systématiquement en échec toute velléité parisienne d’appliquer le droit commun à l’Islam.
Le statut organique de l’Algérie, voté en septembre 1947, stipulait, dans son fameux article 56, l’application de la loi de 1905 à l’Islam. S. Sellam relate de façon vivante les vigoureuses et savantes interpellations de l’Etat laïque, à propos de cette application, par les chefs des ulémas (les cheikhs Brahimi, Tébessi et Madani, notamment) mais aussi par de courageux et informés militants et intellectuels.
Les relations
entre l’Etat laïc et l’Islam
Ces débats ont permis de savoir que la valeur des habous confisqués, et qui auraient dû être indemnisés en application de l’article 56, s’élevait à 700 milliards ! Et les obstructions de l’administration à l’application de la loi s’expliquaient en grande partie par le refus obstiné de restituer cette somme colossale. On croyait que l’Etat laïque s’acheminait vers une application progressive de la loi de séparation à l’Islam, au vu notamment de la promesse d’une indemnisation forfaitaire des habous confisqués sous forme de financement public d’une «Université musulmane» qui aurait vu le jour sous l’égide d’un Conseil supérieur islamique, démocratiquement élu. Mais il y a eu un recul de plusieurs décennies lorsque le président du Conseil socialiste, Guy Mollet, oubliant toutes les promesses officielles et solennelles, nomma un nouveau recteur à la mosquée de Paris en mai 1957. Malgré la condamnation sans appel par la justice administrative de ce véritable coup de force, le bénéficiaire de cet abus de droit, Hamza Boubakeur, a pu rester en place pendant 25 ans. S. Sellam s’appesantit sur ce singulier épisode pour en déduire une conclusion générale : ce n’est pas le droit qui régit les relations entre l’Etat laïque et l’Islam. Se référant aux archives du SLNA (Service des Liaisons Nord-Africaines, une police du gouvernement général qui suivait de près les questions politiques et islamiques), et aux nombreux témoignages fiables, comme ceux de Hadj-Sadok et de Barakrok, il a cherché à en connaitre plus sur ce protégé de la gauche coloniale. Il démontre que le recteur préféré de G. Mollet a été imposé en raison de ses fonctions occultes, utilisation en 1947 du portrait de Messali sur la couverture d’une revue juste pour communiquer le courrier des sympathisants du MTLD au SLNA, conférences et conseils en 1955 à l’Action psychologique de l’Armée pour la dénonciation du nationalisme «au nom de l’Islam». La légitimité religieuse de H. Boubakeur était restée très faible et il ne s’est avisé de l’améliorer qu’en 1972, en signant, à l’âge de 60 ans, une traduction collective du Coran.
En optant en 1982 pour la multi-étatisation de la gestion du culte musulman en France, les socialistes ont ignoré le plan d’assainissement de la mosquée de Paris, recommandé en 1980 par la Commission nationale des français musulmans. Ils ont contribué à l’aggravation des difficultés que rencontreront les ministres de l’Intérieur désireux de régulariser la situation de l’Islam. Charles Pasqua y a contribué aussi en voulant imposer Dalil Boubakeur comme unique représentant de l’Islam. Conscient de son déficit de légitimité, le nouveau recteur a cru devoir y remédier en se laissant tenter par le néo-maraboutisme. Mais la folklorique Bay’a (allégeance) signée, et rédigée, par des flagorneurs ne suffisait pas à dissimuler l’objectif principal de la mosquée : la perception de la taxe halal dont le monopole lui a été attribué par C. Pasqua.
La gestion du culte musulman
L’ordre de priorité choisi dans l’euphorie, provoqué par ce passe-droit, est resté inchangé puisque, jusqu’à nos jours, les négociants en viande halal ont droit à la mosquée à infiniment plus d’égards que les professeurs d’université que sollicite (lorsque les chroniqueurs religieux décident de parler de «formation d’imams à la française») l’ancien préposé à la perception de la taxe devenu directeur d’un «Institut», voué à une vie végétative. La paralysie interne de la mosquée de Paris devient paralysante pour tout l’Islam en France, quand Boubakeur se fait coopter à deux reprises président du Conseil Français du Culte Musulman, malgré les scores infinitésimaux de la mosquée aux élections.
L’interventionnisme ministériel dans les affaires de l’émission islamique (qui est sans équivalent chez les autres religions) est un autre signe de l’absence de démocratie et de l’ «oubli» de la neutralité de l’Etat laïque, dès lors qu’il s’agit d’Islam. Ces insuffisances sont aggravées par le sabordage des projets de rénovation de l’enseignement de l’Islam : rejet en 1990 du projet de Faculté de théologie musulmane à Strasbourg par P. Joxe qui s’était laissé dissuader par un lobby protestant apparemment aussi hostile au rayonnement de l’Islam que le cardinal Lustiger ; refus en 1992 par L. Jospin du projet de Centre National d’Etudes de l’Islam ; détournement permis par Jospin et Allègre en 1999, au profit d’une ethnologue islamophobe, du projet d’Ecole des Hautes Etudes Islamiques, conçu avec beaucoup de hauteur de vue par le conseiller de Jean-Pierre Chevènement, Didier Motchane,. Ces refus ne font que continuer le sabotage en 1920 par Lyautey de l’Institut Musulman à Paris, dont les comtistes islamophiles voulaient faire le symbole de la rupture avec les «mœurs algériennes» de la France, et la mise en échec du centre que voulait ouvrir Taha Hussein en 1951 à l’université d’Alger. Quant au refus par les Boubakeur de la «Fondation de l’Institut musulman de France» que Roland Dumas voulait doter en 1992 d’un budget de 20 millions, il montre que les intérêts de l’Algérie elle-même peuvent être sacrifiés à l’autel de la «préférence familiale».
Ces exemples donnent un aperçu imparfait du non-conformisme d’un livre qui aurait pu s’intituler «l’Islam, les mœurs algériennes de la France». L’auteur contribue à une démystification sous forme d’informations souvent inédites : le don du Sultan Abdulhamid baptisé «subvention française» à la mosquée, la manipulation en haut lieu, en 1996, de l’agitation du Haut Conseil des Musulmans en France, ou la manipulation séoudienne des «contestataires» de la direction marocaine de la mosquée d’Evry. Par son ton et sa démarche, l’auteur apporte un discours sur l’Islam en France, mieux adapté à la démocratie et au pluralisme laïque que l’«islamiquement correct» des apprentis-réformateurs.
De nouveaux acteurs de la vie musulmane en France sont en train de la réduire à la taxe halal et aux sinécures de «chargé de la communication» de mosquée conformiste.
Ce livre aide à refuser ce rétrécissement, ne serait-ce qu’en rappelant le courage avec lequel furent dénoncées les hypocrisies du laïcisme colonial par Benhabylès, Mahdad, Bennabi, Boukadoum,Ferroukhi, Boumendjel ou Lebdjaoui, dont la liberté de pensée était pourtant limitée par les intimidations héritées du système de l’indigénat. Le refus des usages sociaux et politiciens de l’Islam exigerait des qualités comparables.

* Sadek Sellam : La France et ses musulmans : Un siècle de politique musulmane (1895-2005). Casbah éditions. 2007. 392 pages. 690 dinars.

Par : SAMIR MEHALLA

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