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7 Août 2008

Je savais déjà me servir de mes mains grâce à un ouvrier de la palmeraie qui me fabriqua une flûte, instrument indispensable, me disait-il- pour celui qui vit dans la palmeraie. J’avais pris ma flûte et m’étais mis à jouer des airs que j’inventais. Mon oncle apprécia, je crois, et souriait en s’affairant alors que je tapais en même temps du pied. Cette flûte devait m’aider dans ma nouvelle vie, celle que je devais mener désormais à ses côtés, cet être gai, malin et exigeant, mais que je découvre permissif alors que je le croyais insensible aux choses de l’art.
Le soir après l’école, au cours de nos interminables promenades dans la palmeraie, il m’apprit à distinguer les oiseaux par leurs cris et leur plumage, les animaux par leurs empreintes et leurs effluves. C’est ainsi que je sus que les oiseaux ou les animaux pleurent et rient. Nombreux sont ceux qui ne savent pas que dans une palmeraie vivent toutes sortes d’insectes et d’animaux: des scorpions, des vipères, des lézards, des sauterelles, des mouches et des moustiques. Mais aussi des ânes, des chèvres, des moutons, des boucs et des dromadaires. Bien sûr, je n’omettrai pas de citer Lalla Messaouda, l’oiseau noir avec une tâche blanche, symbole de la chance qui, à son apparition, on émet des souhaits, mais aussi bou’oud, l’oiseau au plumage brun, annonceur d’un bon message et que l’on nomme également boubchir. Je fis la connaissance avec ces êtres divers qui composent la faune des palmeraies. Je suis pressé de le dire parce que cela avait aiguisé ma curiosité. Un jour, je fus surpris d’entendre une musique que je ne connaissais pas. C’était des notes claires et aiguës qui se répandaient dans l’air et m’allaient droit au cœur: le craquettement des cigales. J’aimais cette musique cristalline qui m’avait permis de saisir par la suite le moindre bruit de la palmeraie. C’est ainsi que j’avais su distinguer la cigale du hanneton, le grillon du scarabée. Je ne connaîtrai leur nom que plus tard. J’étais quelquefois cruel avec les insectes.
Un matin, accroupi par terre, je vidai un seau d’eau sur une fourmilière. Les fourmis s’enfuyaient en désordre de tous côtés, mais l’eau qui se répandait les poursuivait et les recouvrait. Elles tentaient de surnager et leurs antennes s’agitaient; nombreuses étaient celles qui mouraient. Je n’avais pas conscience du tort que je causais à la nature. Quelquefois, quand je découvrais une procession de chenilles, je restais d’abord émerveillé pour leur discipline puis, par curiosité, j’envisageais de les désorganiser. Je me retenais puis je cédais à mon impulsion. D’un coup de pied sec, je brisais la colonne en écrasant quelques-unes. Les chenilles, affolées, partaient dans tous les sens pour reconstituer leur procession, laissant sur le terrain quelques mortes. Intérieurement, je regrettais mon geste, mais la curiosité était la plus forte. J’ai eu la plus grande frousse lorsqu’un lézard que j’ai failli écraser se cacha lestement sous les feuilles. J’avais sursauté et je m’étais écarté en fIxant avec appréhension l’endroit où il s’était caché. J’avais eu honte de cette lâcheté qui m’avait fait fuir devant un lézard alors que j’avais écrasé des fourmis et des chenilles. J’avais pris conscience de mes faiblesses et juré de ne plus détruire les insectes et toute vie que Dieu a créée.
Le temps passait et je grandissais. Les jours sans classe, sous un ciel extraordinairement serein que l’on ne voit qu’au M’zab, je partais avec mon oncle à travers les sentiers en bravant les épines qui s’enfonçaient assez profondément sous mes pieds, lui, portant la houe, moi, une serpette, mon inséparable flûte et un bout de r’fiss que je grignotais en cachette. Il m’initiait à l’amour des arbres et me parlait sensuellement de la terre dont il écrasait une motte entre le pouce et l’index et la humait. J’avais honte de moi en rapprochant ce qu’il me disait du massacre des fourmis et des chenilles dont j’avais été l’auteur. Je cachais, en l’écoutant, mes sentiments et mes émotions. Nous marchions des heures durant, le long des seguias. Ce système de gestion et de distribution de l’eau qui fonctionne depuis des siècles. L’eau est sacrée et vénérée dans le Sud. Les Mozabites ont appris à la domestiquer au moyen de ce système ingénieux en l’amenant d’un puits souterrain vers des canaux de distribution qui l’acheminent par gravité vers des peignes pour distribuer ensuite selon un programme vers les parcelles. Dans certains puits, c’était des ânes qui sortaient l’eau au moyen d’outres déversées ensuite dans la seguia. Nous nous rafraichissions sous les grincements du treuil, en guettant le passage d’un animal quelconque ou bien, après avoir bu, nous faisions de petites battues pour cerner un fennec ou saisir un lézard. Je ne devais jamais tousser ni remuer, car, me disait-il, telles étaient les qualités primordiales d’un bon chasseur. Et si par hasard une quinte de toux trop longtemps retenue m’obligeait à éternuer, mon oncle roulait de grands yeux. Je baissais aussitôt la tête car je ne pouvais supporter ce regard sévère qui durait. Nonchalant, le sentant irrité, je m’éloignai en priant Dieu qu’il ne m’en voudrait pas. Pour lui faire plaisir, je m’étais mis à curer la seguia qui arrosait notre parcelle de terre puis, la tête levée, j’inspectai un palmier qui m’avait l’air sain et prometteur. Avec ma serpette, je m’étais mis à fendre le tronc en biseau. La curiosité me poussait inconsciemment pour savoir ce que pouvait contenir l’intérieur de l’arbre; je m’étais mis donc à arracher les fibres rugueuses qui suintaient de sève. On m’avait dit qu’au sommet du
palmier, on tirait un liquide blanc qu’on appelait le legmi. Entendant les cpups de serpette sans cesse .répétés, mon oncle déboula, me prit par l’oreille et me traina jusqu’à notre petite maison. Il ouvrit la porte et m’expédia violemment sur une natte où je me retrouvai sur le dos, les yeux hagards, la peur au ventre. Un long silence planait. Les mains derrière son dos, il me ftxa longuement jusqu’à ce que je sente que la tension baissait. Ma gêne et ma honte y étaient peut-être pour quelque chose. Il se frotta les mains pour les débarrasser de la poussière puis s’était assis à même le sol, le dos au mur, les jambes allongées, le regard vide.


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