nt que les précieux livres dont c’est la fête, gondolent et s’abîment plus vite que des tomates sous serre…
Qui a dit que les Algériens n’aimaient pas la lecture ? Depuis son ouverture au public le 28 octobre, le 14e S. I. L. A. draine tellement de monde que parfois la circulation est carrément impossible dans ses allées trop étroites bondées comme des bus RSTA à l’heure de pointe. Sous le grand chapiteau, la chaleur de l’automne a vite fait de rendre l’air moite et suffocant. Des enfants pleurent, des femmes s’évanouissent, penda Dès 9 h du matin, l’horaire d’ouverture ayant été avancé, les visiteurs affluent en quête du livre rare ou de l’auteur adulé. Les conférences par contre, lorsqu’elles ne regroupent pas le petit cercle des «initiés», se suivent dans l’indifférence ou l’ignorance générale, malgré les écrivains et personnalités, souvent venus de l’étranger, qui les animent. Nous nous sommes laissé porter par le fleuve papivore, de stand en stand et de conférence en tables rondes. Echos d’un règne bref mais intense.
Le parcours du combattant
«Pour venir de Boumerdès, il nous a fallu prendre un train, un bus et un taxi. Cela nous revient cher et nous sommes obligées de rentrer tôt. Nous ne pourrons pas revenir demain et pourtant on aimerait bien. » déclare Mme Mecheri Naïma , professeur de sciences naturelles. Elle est accompagnée de sa collègue, Mme Ouerd Malika qui enseigne l’anglais dans le même lycée. Les deux visiteuses se disent déçues par le public rachitique qui vient d’assister aux lectures de textes faites par Arezki Métref, Malek Alloula, Nouredine Saâdi, Eugène Ebodé et Tanella Boni, toutes ces brillantes plumes d’aujourd’hui, arrivées de France pour la circonstance. Certains auteurs se disent pris au dépourvu par la programmation de cette lecture à laquelle ils se sont toutefois adonnés avec beaucoup de passion. «Lire nos textes en Algérie, c’est comme manger des fruits que l’on vient juste de cueillir de l’arbre» déclare Nouredine Saâdi que tous appellent Nono. Nous sommes au second jour du Salon et l’atmosphère dans la salle El-Qods est aussi joviale que réfrigérante, la climatisation étant mal réglée. Les deux enseignantes qui, avec quelques journalistes et auteurs forment le maigre public, sont malgré tout heureuses de cette escapade studieuse. «J’adore Arezki Métref, mais ses livres sont introuvables, pourquoi ?» demande Mme Ouerd.
Comment écrire la terre natale quand on vit à l’étranger ?
Après les lectures d’extraits de romans et de nouvelles par leurs auteurs, M. Omar Chaâlal dit «Le tigre», auteur d’ouvrages, notamment sur Kateb Yacine, pose la question frontalement aux cinq écrivains résidant en France. « L’Algérie imaginaire est la chose la plus facile à transporter. C’est celle-là qui sort par moments» a répondu Arezki Métref. «On peut habiter un pays lointain et être habité par le pays natal. J’ai été obligée de quitter mon pays et c’est par l’écriture que je le retrouve» a déclaré, l’Ivoirienne Tanella Boni. «Si je ne m’étais pas arraché à ce pays, je n’aurais pas été écrivain» a carrément avoué Nono Saâdi qui a ajouté qu’en Algérie il n’avait pas ressenti cette nécessité impérieuse d’écrire qui fait l’écrivain. Une conviction partagée par l’artiste plasticien Rachid Koraïchi qui présentait son beau livre « Une nation en exil » et le dédicaçait au stand des éditions Barzakh lors de la journée précédente. «Je n’aurais jamais fait tout ce que j’ai fait si j’étais resté en Algérie», a-t-il répondu franchement à une de nos questions dans ce sens. Pourtant, «je veux qu’on sorte d’un certain narcissisme de la douleur», a souligné Métref qui a expliqué pourquoi sa toute dernière pièce, encore sans intitulé parle, entre autres, du Mexique, un pays à la destinée similaire à celle de l’Algérie.
Des chiens sur les gisants de l’Emir Abdelkader
«Tout a commencé lorsque j’ai vu deux petits chiens faire pipi sur la tombe des compagnons de l’Emir, morts au château d’Amboise où il était prisonnier de 1848 à 1852 » a déclaré Rachid Koraïchi, lors de la présentation de son livre. Interrogé sur les raisons qui poussent un plasticien à la création, l’artiste a confié la douleur ressentie par lui lorsque après avoir prié sur la tombe, il a assisté à cette profanation quasi-quotidienne. «Notre pays passe l’éponge trop vite » a-t-il souligné. Horrifié, il a contacté le conservateur du château et n’a eu de cesse que d’avoir décrocher les accords de principe et les financements afin de construire aux 25 gisants un monument digne de leur mémoire. Il a alors amené de la pierre de Syrie, de l’armoise (Chih) en souvenir des chevaux et un jasmin perse qui peut vivre dans le froid puis il a construit des tombes sous forme de kaâba en référence à la Mecque. Durant le débat très animé qui a suivi son intervention, Rachid Koraïchi a également appris à l’assistance que le poète palestinien, Mahmoud Darwich avait émis le souhait de le voir construire sa tombe. «C’est cette pugnacité qui nous a donné envie de nous arrimer et de travailler sans se permettre d’états d’âme. Nous avons reçu une belle leçon de travail» a souligné Selma Hellal , éditrice du livre de Koraïchi.
Dire Yacine
«Ici est la rue des Vandales» a déclamé Sid-Ahmed Agoumi lors de l’hommage à Kateb Yacine qui a inauguré le cycle de conférences du S. I. L. A. «La seule rue où je peux rendre l’âme sans la perdre. Je ne suis plus un corps je suis une rue» continue Lakhdar dans le cadavre encerclé, magnifiquement campé par Agoumi. Installant l’émotion dans la salle, le comédien a également lu des textes politiques où Kateb analysait la situation générée par la répression d’Octobre 1988. Il a également donné lecture du texte de Benamar Médiène relatant la mort de Kateb à Grenoble en 1989 et de Omar Chaâlal intitulé «Dire Yacine». Lors de la table ronde qui a précédé ces lectures, l’universitaire arabophone, Belarbi Djamel, a été d’une franchise qui a étonné plus d’un. «Je ne reconnais plus mon élève» s’est écrié M. Ismaïl Abdoun. Les autres intervenants étaient Rachid Boudjedra, Mourad Djebel, Abdelaziz Boubakir, Eugène Ebodé et Abdelkrim Ouzeghla. Après avoir déclaré que la littérature algérienne qui compte est celle de langue française, M. Belarbi a déclaré considérer Nedjma comme non traduisible en arabe du moins dans son pays natal. Il s’est en outre insurgé contre tous ceux qui, parce que Kateb écrivait en français, le traitaient de «kafir, kilo, khayane, soukardji, iatkalem bellougha taâ el-adou». Mot de la fin : Kateb lui-même disait «J’ai appris le français pour dire que je ne suis pas Français.»
Quand Mme la Ministre redevient Khalida
Sid-Ahmed Agoumi , encore lui, a fait découvrir au public, cette fois nombreux, les extraits du nouveau roman de Rachid Boudjedra Les Figuiers de Barbarie qui va paraître chez Grasset en mars puis chez Barzakh. Auparavant, Mme la Ministre de la Culture a lu des extraits du roman dont elle a salué l’écriture flamboyante. Un roman qui s’attaque aux tabous de la Guerre de Libération nationale notamment au complexe de culpabilité de ceux qui n’ont pas été vraiment du côté de la résistance. Comparant Rachid Boudjedra à gabriel Garcia Marquez, la ministre a dit toute sa fierté de compter une plume pareille parmi les écrivains algériens. Boudjedra a, quant à lui, déclaré qu’il ne pourrait jamais appeler Mme la ministre, autrement que Khalida. Interrogé sur les raisons qui le poussent à faire éditer ses œuvres d’abord à l’étranger, l’écrivain a regretté le temps où le secteur d’Etat assurait d’importants tirages et payait les auteurs rubis sur l’ongle. «Les éditeurs d’aujourd’hui ne payent pas à valoir à la signature du contrat. On ne nous paye pas, on nous vole. Les grandes maisons d’édition s’intéressent aux souvenirs des généraux. Ils s’en foutent de la littérature. Tant que je n’aurais pas l’équivalent de ce que je gagne à l’étranger en dinars, je continuerai à écrire en français et à éditer d’abord à l’étranger.» a ajouté l’écrivain visiblement remonté. Les conférences de Paul Balta et Ahmed Youcef sur l’axe « Paris-Alger-Le Caire » et celle d’un groupe de chercheurs sur la littérature orale maghrébine ont également passionné le public, alors que l’historien René Galissot a édifié par la présentation de son livre Henri Curiel, le mythe mesuré à l’histoire. A suivre.