«…Les contes sont pleins d’histoires épouvantables : enfants abandonnés, livrés à tous les dangers, cruelles marâtres, ogres et loups gourmands de chair fraîche, pères ou maris bourreaux... La violence et la mort y sont omniprésentes. Mais on sait bien que l’enfant préfère les histoires effrayantes aux histoires roses… », Jean Verrier.
Pour cette saison estivale, plusieurs livres sont disponibles sur les étals des librairies. Des œuvres qui enchanteront grands et petits. Mais le livre qui fera, sans doute, l’unanimité, sera l’œuvre de Mouloud Mammeri, conte berbères de Kabylie. Une réédition des éditions Pocket jeunesse à partir de la première publication en 1980 aux éditions Bordas, dans la collection «Aux quatre coins du temps».
La nouveauté de cette réédition réside incontestablement dans l’«entracte» qui explique la formule magique kabyle : «Machaho! tellem chaho!» qui «permet l’accès à un monde à la fois étrange et familier, où toutes les merveilles sont à portée de désir et tous les vœux miraculeusement exaucés -comme dans les rêves-, ou cruellement déçus -comme dans la réalité-», l’explique Mouloud Mammeri dans sa préface.
Et c’est de cette manière également que s’ouvrent et se referment les contes de ce recueil de contes berbères.
Le conte destiné aux enfants
La question qui devra certainement se poser à la lecture de ce livre est de savoir si celui-ci est destiné aux enfants seulement. Car, y a-t-il un âge pour les contes ? Certains diraient celui de l’enfance, si bien que, lorsqu’on passe la puberté, il ne serait plus question de parler de contes «puisqu’on n’est plus des enfants !»
Bien heureusement, le conte n’est pas réservé uniquement aux enfants. Il s’inscrit dans l’histoire de l’Humanité depuis son origine... depuis son enfance.
En revanche, si l’on raconte à des enfants, il est nécessaire de prendre en compte la qualité d’enfant de celui qui écoute.
Il serait d’ailleurs plus judicieux de parler de Conte auprès des enfants ou encore de contes à destination des enfants plutôt que de «contes pour enfants».
Ce livre ouvre, certes, la voie de la recherche littéraire autour du conte, en général, et de celui destinée aux enfants, en particulier; mais il ouvre également la voie de la recherche sociologique puisque il nous donne un aperçu sur les réalités sociologique de la Kabylie et sur la civilisation et patrimoine qu’elle préserve.
Le conte, une tradition orale et ancestrale
Mouloud Mammeri réitère a travers cette œuvre que la Kabylie a su sauvegarder, tout au long des siècles, et malgré les invasions subies, les pratiques, les croyances, la culture et la langue ancestrales.
A travers le conte, il nous démontre que la littérature orale berbère est riche. Ibn Khaldun (l’histoire des berbères et des dynasties musulmanes de l’Afrique septentrionale) affirme que «les berbères racontent un si grand nombre d’histoires que si on prenait la peine de les mettre par écrit, on en remplirait des volumes ».
Plusieurs chercheurs ethnologues et littéraires se sont intéressés aux études des contes berbères. Ainsi ,Camille Lacoste-Dujardin, grande spécialiste du conte kabyle, a mis l’accent sur la richesse et sur l’intérêt que ces contes peuvent présenter (étude ethnologique).
De nombreux contes riches en prose : histoires d’ogres, récits merveilleux …
«Littératures berbères : des trésors de l’oralité» en l’état du Maghreb, Paris, la Découverte, 1991.
Le conte est, toutefois, avant d’être un sujet d’études, une distraction qui a fortement marqué les esprits, puisque les kabyles, à l’âge adulte, en font encore mention. Comme Mouloud Mammeri dans la «colline oubliée», comme Idir dans sa chanson «A vava Inouva , et comme Cherif Kheddam qui souligne le rôle important de cette forme littéraire dans la vie des kabyles.
Conte berbères de Kabylie est l’histoire de notre famille. C’est l’histoire de son organisation. Car, nous sommes à travers l’œuvre entièrement dedans : nous sommes autour de la narratrice.
(Les femmes et les enfants), parfois des voisins. Les hommes sont absents de ces assemblées ainsi que les adolescents.
Qui raconte ?
Hebri Basset disait : «Les hommes n’écoutent point les contes, ils les dédaignent; ils ont d’autres occupations ou distractions plus viriles.»
Pour eux, le conte est considéré comme une distraction typiquement féminine…Et il est impensable dans la société kabyle que des hommes aient les mêmes loisirs. Ils le tiennent pour contraire à leur dignité.
Le conte se narre généralement en hiver, car les nuits sont longues, donc propices aux veillées au coin du feu (jamais en plein jour). Car si les conteuses officiaient le jour, elles s’exposeraient elles-mêmes et leurs proches au danger (les maladies sont redoutées : surtout la teigne).
Le conte est comme un rite magique, sacré, il faut une nuit noire, que les membres de la maisonnée aient mangé, le ménage fait, que les hommes aient quitté la pièce (pour se rendre à la mosquée ou chez des amis) ou qu’ils se soient isolés dans un coin.
Une fois toutes ces conditions réunies, l’auditoire peut enfin se réunir et s’adonner au plaisir de l’écoute.
Machaho !