Le Midi Libre - Culture - Le boute-en-train des tréteaux
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Rencontre autour du comédien Rachid Ksentini (1887-1944)
Le boute-en-train des tréteaux
20 Mai 2008

Plusieurs observateurs des planches assimilaient le geste mimique de Rachid Ksentini et son improvisation facétieuse à l’œuvre fertile de Charlie Chaplin. Son sens de l’observation aigu puisait de cette fresque trilogique que constituaient les hères, la bourgeoisie naissante et le pouvoir colonial qu’il brocarda sur les planches.

La rencontre culturelle organisée bimensuellement, à l’auditorium de la Radio nationale Aïssa Messaoudi, verra ce mercredi, à partir de 17h00, les animateurs Belgacem Babaci et Redouane Kechkoul intervenir autour de l’itinéraire et l’œuvre de l’artiste comédien Rachid Ksentini. En effet, combien d’œuvres sont répertoriées de l’auteur-interprète, sinon quelques titres de sketches et chansonnettes enregistrés, alors qu’il en a écrit et interprété des centaines, selon certaines sources documentaires ? Certains proches parents de l’artiste avancent qu’après son décès, il avait laissé dans un hôtel sis à la rue Ahmed-Bouzrina (ex-rue de la Lyre) deux valises pleines de documents. ‘’Mais nous n’avons trouvé nulle trace de ce patrimoine immatériel’’, dira un de ses petits-fils, Othmane, ajoutant que ‘’le réalisateur du feuilleton consacré à Rachid Ksentini et diffusé en 2007 par l’Entv, a galvaudé en partie le talent de l’artiste et son parcours’’.
Rachid Ksentini, de son vrai nom Birlakhdar n’avait de cesse d’enrichir le théâtre populaire national. Il ne s’adressa pas à une seule frange de la société mais son style théâtral était élargi à la majorité de la population quel que soit le statut social.
Né le 11 novembre 1887 à Bouzaréah, ce" fahsi" a réussi à créer un nouveau public grâce au caractère qu’il réussit à imprimer au théâtre populaire, à savoir l’arabe dialectal. Car selon le sociologue Abdelkader Djeghloul, «l’intelligentsia, constituée pendant cette période (les années 20), était traversée par un clivage linguistique à avoir le pôle arabophone et celui francophone». L’introduction du théâtre en arabe classique, tentée au début des années vingt échoua et Rachid Ksentini, dont la propension pour les facéties et la farce le prédestinait pour le quatrième art, était là pour relancer, grâce à sa personnalité le théâtre algérien aux côtés de Mohamed Allalou, Bachtarzi. Les éléments de son se constituaient, entre autres de Maltais (éleveurs de chèvres), d’Espagnols (pratiquant le métier de savetier à la Basetta), et d’Italiens. Ces sous-colons relativement pauvres, la plèbe urbaine ou ce noyau ouvrier qu’il fréquenta, notamment dans les quartiers de la Casbah et de Bab El-Oued.

Le caractère "ambulant" de Rachid
Après avoir suivi des études primaires à l’école coranique à Zenqat Bou Akkacha (Casbah) Rachid Ksentini fit son apprentissage en qualité d’ébéniste à Bab el-Oued pendant quelques années. A l’âge de 26 ans, on le marie à sa cousine. L’union ne fut qu’éphémère, il la quitta quelques années après la naissance de Allel. Mu par sa vitalité juvénile et son caractère "ambulant", il part sillonner les mers et les pays du monde. Le départ et la distanciation, seraient-ils à même de le doter d’une vision nouvelle pour la culture? L’aventure, en tout cas, pour Rachid Ksentini, va durer plus d’une dizaine d’années. Il s’engagea dans la marine marchande qui lui permit d’observer des haltes plus ou moins longues à Malte, l’Amérique, l’Extrême-Orient et la France. Il fut même conducteur de pousse-pousse à Canton, avant d’être embauché dans une usine d’aviation en Normandie où il rencontra Margot qu’il épousa. Tout en étant employé dans les ateliers d’ébénisterie aux Galeries Lafayette, il fréquenta le monde du spectacle à Paris et s’engage comme figurant. Ce n’est qu’en 1926 qu’il retourne à Alger en compagnie de sa femme. Tout en travaillant dans une ébénisterie à Babel Oued, Mohamed Allalou l’invita à faire ses débuts dans la Zahia Troupe. Rachid fera son baptême du feu en jouant dans une pièce intitulée "Zouadj Bou aqlin" dont le rôle fut magistralement interprété. Un tournant dans la vie de Rachid Ksentini, car de fil en aiguille, il ne tarda pas à connaître la célébrité qui le conduisit à improviser des productions dans un local à la rue de la Lyre. Il essuya quelques échecs, mais très vite, il se reprit et en 1928, il donna une représentation sous le titre de "Zouadj Bou-borma" qui connut un succès retentissant auprès du public. Il monta un très grand nombre de one man show, des sketches qu’il "broda lui-même". Rachid trouve son binôme, voire son osmose qui lui donna plus de dix années durant, des répliques. Il s’agit de Marie Soussane, de confession israélite, sa partenaire indéfectible sur scène. Le type théâtral qu’il tient à présenter plonge ses racines dans les repères de la tradition populaire algérienne.

L’improvisation, l’empreinte d’un artiste
Il parvint à créer un certain style théâtral dont la démarche artistique est empreinte d’improvisation, de gestes fantaisistes où le côté facétieux et humoristique se mouvait dans le réalisme. Le public ne pouvait rester indifférent à l’acte scénique dans lequel il se reconnaissait. Il incarnait de manière admirable les personnages de différentes franges sociales, mettant ainsi, les tares de la société gagnée par la "sclérose" sociale. En fait, se plaisait-il à décortiquer le type psychosocial de l’Algérien dans ses différentes coutures? Il dénonce les vices et l’iniquité, cible l’absurde, stigmatise le charlatanisme, critique une certaine tradition qu’il voit anachronique, ridiculise un certain caractère de la vie que fabrique le quotidien de l’homme. Ses pièces dopées de farces mettent en relief les traits qui caractérisent les personnages: le faux savant, le cadi pudique, le nouveau riche, la mondaine, les bourgeois citadins, l’amateur de sport, l’ivrogne, le fumeur de kif, l’avare…Mû du sens aigu dans l’acte théâtral et une imagination débordante sur scène, il reproduit et dépeint le caractère aussi stupide qu’absurde de ces personnages qu’il "fustige" avec des traits qu’il veut satiriques. Ses textes mettaient en avant les maux qui "sclérosaient" la société "indigène" face au colon. Aussi, on ne parlera jamais assez de cet illustre comédien du quatrième art et chanteur tant le caractère qu’il conféra à sa création artistique mettait l’administration coloniale sur le qui-vive car elle estimait que ce genre d’exutoire "répandait un esprit anti-français (…). Il ne dénonçait pas de front le pouvoir colonial mais se contentait d’allusions (…). Son répertoire n’était pas moins allusif: il provoquait le réveil des colonisés d’une part, et tenait à arborer d’autre part, de manière satirique, face à l’occupant la caractéristique algérienne qui réfute de se défaire de sa propre culture.

Dépoussiérer l’œuvre du comédien
Son talent et sa qualité artistique s’affirmaient. Son jeu de scène et ses mimiques expressives révélèrent toute une profondeur dans sa façon de composer une pièce dramatique. Ses intonation poétiques, la force du mot aux assonances humoristiques et sa faculté d’improvisation lui permirent de caricaturer à merveille ses personnages, ce qui ne manquait pas de déclencher le rire. Une gestuelle et une expression corporelle que le public chérissait tant en lui. Dispose-t-on suffisamment d’informations sur ce grand comédien sinon quelques heures d’enregistrement et quelques titres? Connaît-on la paternité de ses œuvres, entre pièces et chansons, qui font l’objet d’une controverse? Combien Rachid Ksentini a écrit de pièces? Le nombre de représentations qu’il a interprétées? Et combien de chansons satiriques a-t-il mises en œuvre? On ne sait pas. Tout compte fait, "il est certain, rapportait en 1987, le réalisateur Mohamed Lebcir, auteur d’un documentaire sur Rachid Ksentini –(v/Révolution africaine n°1230)– qu’avec le temps perdu et le manque de prévenance, une partie de l’œuvre est à jamais retrouvée, mais nous pourrons corriger E. Dermenghem qui traduisait dans ses plus beaux textes arabes la chanson de Rachid Ksentini "Ouled la Bled" par "Fils de famille". "Peut-être, poursuit Lebcir, qu’il ne connaissait pas ce que veut dire historiquement l’expression: "El barani barra". Et il ne serait pas impertinent de consacrer à sa mémoire un colloque pour dissiper d’autres zones d’ombre qui cachent encore sa technique d’écriture, son sens de l’observation aigu puisait de la composante que formaient les hères, la bourgeoisie naissante et le pouvoir colonial qu’il brocarda sur scène.

Par : Farouk Baba-Hadji

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