«Universalité et humanisme» caractérisent, selon les spécialistes, l’œuvre du romancier né un 8 mars 1913 à Tizi-Hibel dans l’ancienne commune mixte de Fort-National.
Le 15 mars 1962, à quatre jours du cessez-le-feu, l’Algérie perd Mouloud Feraoun. Lui, dont les romans décrivent une réalité complexe où tout va de travers, il est assassiné par balles devant un mur, au siège de la Direction des centres sociaux dont il est l’un des inspecteurs. Un commando de l’OAS, qui fait irruption en pleine réunion, appelle par leurs noms les six cibles choisies. Les inspecteurs Ali Hamoutène, Salah Ould Aoudia, Max Marchand, Marcel Marchand et Marcel Basset sont également exécutés ce jour-là.
Il ne reste plus à ses compatriotes qu’à tenter d’imaginer ce qu’auraient été la vie et l’œuvre de l’écrivain s’il n’avait refusé le poste d’attaché d’ambassade aux Etats-Unis qui lui était proposé. Poste que, selon son fils Ali — s’exprimant lors d’une conférence organisée à la maison de la Culture de Tizi-Ouzou en mars 2007, — l’écrivain a refusé en raison «des malheurs des siens». Ce malheur de l’Algérie colonisée, il en explore sans complaisance tous les aspects à partir de la vie quotidienne de son petit village de montagne. Ses œuvres sont la preuve éclatante que l’art ne peut atteindre de dimension universelle qu’à partir du local. «L’idée m’est venue que je pourrais essayer de traduire l’âme kabyle. D’être un témoin. Je suis de souche authentiquement kabyle. J’ai toujours habité la Kabylie. Il est bon que l’on sache que les Kabyles sont des gens comme les autres. Et je crois, voyez-vous, que je suis bien placé pour le dire», déclare-t-il en 1953 lors d’un entretien accordé à Maurice Monnoyer pour l’organe «L’Effort algérien». «Universalité et humanisme» caractérisent, selon les spécialistes, l’œuvre du romancier né un 8 mars 1913 à Tizi-Hibel dans l’ancienne commune mixte de Fort-National. «Le fils du pauvre», son premier roman, essentiellement autobiographique, qu’il commence en 1939, il ne peut le publier qu’en 1950, à compte d’auteur! Normalien de Bouzaréah, il se lie à Emmanuel Roblès et plus tard correspond avec Albert Camus. Après avoir été à Tizi-Hibel et Taourirt Moussa l’instituteur blédard, comme il aime à se qualifier, il est directeur du Cours complémentaire de Fort-National et enfin Directeur de l’école Nador de Clos-Salembier. Père de sept enfants qu’il éduque avec sa cousine Dehbia, devenue son épouse en 1935, sa vie est éprouvante, laborieuse et pénible. Elle est décrite en détails dans «Lettres à ses amis», une correspondance publiée aux Editions du Seuil en 1969. Ses écrits sans manichéisme aucun et par là résolument modernes continuent de faire les délices des amoureux du verbe dru.
«Le fils du pauvre, Menrad instituteur kabyle» 1950, «La terre et le sang », 1953, «Jours de Kabylie» 1954, «Les chemins qui montent», 1957, «Les poèmes de Si Mohand», 1960, «Journal 1955-1962», 1962 «Lettres à ses amis» publié en 1969, «L’anniversaire», 1972. Autant d’ouvrages édifiants autant par la réalité qu’ils décrivent que par cette forme à la fois limpide et sophistiquée qui les caractérise. Il a également écrit un nombre important d’articles dans les revues spécialisées.
En 2007, ses nombreux lecteurs ont le bonheur de découvrir «La Cité aux roses», une œuvre que son fils, fondateur des Editions Yamcom, publie enfin. Son œuvre est traduite en 14 langues. Etouffée et censurée par les maisons d’édition coloniales, son œuvre est également incomprise et attaquée par les visions étroites et mortifères qui s’expriment au lendemain de l’indépendance.
«Je goûte les livres vraiment humains, ceux où l’écrivain a essayé d’interpréter l’homme dans toute sa plénitude. Car l’homme n’est ni franchement bon, ni franchement mauvais. L’écrivain, voyez-vous, n’a pas le droit de parler de l’homme à la légère. N’êtes-vous pas de mon avis» déclare toujours en 1953, Mouloud Feraoun dont l’œuvre est si foisonnante qu’elle est toujours à découvrir.