La thérapie familiale est une discipline au service des familles en désarroi. Elle permet de réconcilier et de reconstruire les couples ayant rencontré des problèmes dans leurs parcours. Elle aide ainsi à éviter un déchirement et préserver l’unité au sein des familles. Elle est également essentielle à l’entourage familial, particulièrement les enfants fragilisés par ces troubles. Les enfants sont les victimes impuissantes face aux conflits rencontrés par leurs parents. Cette pratique, née aux Etats-Unis, a été introduite en Algérie voilà déjà douze ans. Néanmoins elle demeure méconnue de la plupart des familles qu’elle pourrait pouratnt aider. Pour éclairer quelque peu la lanterne de nos lecteurs, Hadji Benzerafa, assistante sociale et thérapeute de famille a bien voulu nous accorder cet entretien.
Midi Libre : A quand remonte la thérapie familiale en Algérie ?
Mme Abla Hadji Benzerafa : Mise au point il y a un demi siècle aux Etat-Unis, elle a été introduite il y a environ 12 ans en Algérie. La formation est ouverte à tous les travailleurs sociaux : psychiatres, psychologues, infirmiers en psychiatrie, médecins et assistants sociaux. Bien que peu médiatisée, cette formation compte déjà 200 thérapeutes formés de tous les coins d’Algérie et continue de recevoir des demandes en formation.
Qu’est-ce que la thérapie familiale ?
C’est tellement vaste, tellement riche que je doute pouvoir vous en donner une idée exacte .
Si je devais la résumer en quelques mots, je dirais d’abord que c’est une manière révolutionnaire d’appréhender la maladie mentale, sa génère, sa fonction et sa gestion dans la structure familiale.
D’abord, avant de donner les chiffres, j’aimerais citer cette définition partielle bien sûr émanant de formateurs américains : "La formation en thérapie familiale se conçoit comme un processus visant à se débarrasser des préjugés culturels qui empêchent d’exposer et de voir réellement ce qui est sous-jacent dans toute démarche, toute problématique."
Repenser donc ses propres croyances et ces théories, en innovant certes, mais en intégrant et sans rien rejeter, s’ouvrir à toute sensibilité et sans cesse replacer les choses, les redéfinir, développer de nouvelles façons de penser la famille, dans tous ces états, je dirais la place qu’on y occupe ses moments.
Quels sont les problèmes qui vous sont posés en général par les familles ?
Dans tous les domaines, et dans le cadre associatif où j’active, nous recevons surtout des familles victimes du terrorisme, dont les membres souffrent de l’élaboration de deuils mal faits. Normalement, le ou la psychologue oriente la famille vers la prise en charge en thérapie familiale ou en individuelle, il est courant que les deux modalités interviennent.
La thérapie familiale peut-elle aider à réduire le nombre effarant de divorces en Algérie ?
Je parlerais de vécu de ma pratique et je réponds affirmativement pour environ 75% de cas. D’ailleurs, il y a eu une communication très intéressante à ce sujet faite par le Dr Karima
Dans votre pratique, appliquez- vous réellement ce que vous avez appris en théorie ou trouvez-vous des difficultés à calquer les problèmes posés à une famille algérienne ?
En fait, mentalement, nous réajustons sans cesse les théories fondées par des savants culturellement différents de nous, mais en surface seulement, les grands fondements demeurent les mêmes. J’ai tellement vu de familles, dans ma courte pratique pourtant, soulagées d’être comprises, éclairées par un programme voir plus loin qui leur indiquait par sa vérité et sa sobriété même combien un lien familial et la place qu’on occupe dans une famille pouvait être révélatrice d’un problème et combien cela pouvait être une thérapeutique. Car c’est bien de thérapie que nous parlons. C’est bien pour soulager une souffrance que toutes ces nouvelles approches se sont installées, peu à peu, par des apports divers venant de professions différentes avec un dénominateur commun : "la systémique et la contextuelle".
Qu’entendez-vous par les approches systémiques ?
Pour ne pas vous faire un cours qui pourrait s’avérer long et fastidieux, bien que j’aurai été ravie de le faire pour les lecteurs, je dirais simplement que d’ éminents,savants sont arrivés en confortant leurs travaux à la conclusion que toute institution est un système et par là donc elle obéit à certaines lois et règles qui régissent les systèmes.
Le récit que vous nous avez fait de votre parcours très particulier et original éclaire tellement bien la rencontre avec votre formation que je vous demande de bien vouloir en faire part à nos lecteurs…
Vous me faites honneur, en fait, j’ai eu une très grande chance de rencontrer sur les lieux de mon travail dans la cellule de proximité une équipe de chercheurs composée de psychiatres, d’historiens et de sociologues. Je suis heureuse de citer les professeurs Mahmoudi, historienne, Dao Djerbal, sociologue, et le Dr Med Chakali que je ne remercierai jamais assez puisque c’est lui qui m‘a orienté vers la formation en thérapie familiale, voilà comment c’est fait mon entrée en formation.
Vous en parlez avec tant d’enthousiasme, est-ce dû à l’interprète de la formation en thérapie familiale ou est-ce dû au bénéfice personnel que vous en avez tiré ?
Les deux s’enchevêtrent, la formation m’a révélé à moi-même, a élargi mes compétences, m’a donné une direction et a répondu à mes questionnements existentiels.
Pouvez-vous nous parlez plus explicitement de cette formation, je veux dire, de ces nouvelles techniques ?
Bien que n’étant qu’une simple assistante sociale formée à la thérapie familiale et à la pratique de réseaux, je suis heureuse que vous m’ayez proposé cet entretien autour de ce sujet passionnant, j’estime que lorsque on aime très fort quelque chose, l’on est habilité à en parler. Cela dit, mes professeurs et mes formateurs pourront mieux vous parler encore, je voudrais qu’ils trouvent ici, l’expression de ma vive gratitude et mes remerciements. Je voudrais pouvoir les citer tous, si c’était possible, mais néanmoins je tiens à citer et à remercier le professeur Farid Kacha qui a été à l’origine de l’introduction de la formation en Algérie et m’a aidé personnellement. La responsable du centre de thérapie familiale Mahfoud- Boucebci à Dely Brahim, Dr Karima Amar, pourra vous donner les chiffres et lieux qui s’y rapportent de manière plus juste et surtout plus professionnelle. Encore une fois je remercie très fort "la grande famille de la thérapie familiale si je peux dire, car nous nous apprécions tous et nous sommes prêts à travailler ensemble.
Les termes que vous employez pour parler de cette technique sont si chaleureux que l’on a l’impression que vous pourrez écrire un livre sur ces années de formation ?
C’est vrai, j’essaye de le faire, mais le temps manque.
Pour expliquer les événements traumatisants de ces dernières années, pourrait-on utiliser les outils qu’offre la formation ?
Je crois que oui et je serais très heureuse si nous pouvons nous réunir tous : formateurs et formés pour essayer d’établir un énorme génogramme de la famille "Algérie" avec son histoire belle et douloureuse, ensuite ce sera à la pratique de réseaux et à la clinique de concertation de parachever l’œuvre.
Vous avez parlé, par ailleurs, de cycle, pensez-vous que le phénomène "harraga" pourrait être expliqué par la "systémique" ?
Oui, si nous faisons un travail sérieux de recherche où seraient intégrer des sociologues, des historiens, des pays et surtout des économistes connus.
Comment vous situez-vous par rapport aux autres techniques des autres psys ?
Comme on nous l’apprend en formation, ne pas adopter une attitude d’expert ou détenteur de vérité mais plutôt développer une certaine humilité et le partage et se dire, que nous ne cessons pas d’apprendre surtout avec les familles, ce sont elles qui nous apprennent notre métier en nous faisant travailler sur elles, nous apprenons les différentes manières de voir les choses de garder la cohésion d’une famille. Le pathologique, ou ce qui nous semble l’être, vient parfois au secours de la famille, nous nous devons d’aborder le problème posé par la famille, avec ce questionnement tout à fait inédit et c’est là que réside l’originalité de cette démarche : "Qu’apporte ce "symptôme" à l’équilibre de cette famille ?"
Pouvez-vous nous parler de vos objectifs ?
Bien sûr, ce serait de me former à la pratique de réseaux et à la clinique de concertation dans l’immédiat, je ne sais pas si cela est possible, je verrais avec mes formateurs, mais mon rêve c’est de devenir "formatrice en thérapie familiale ne serait-ce qu’en me spécialisant dans une seule approche : la contextuelle par exemple, et ouvrir cette formation aux enseignants et aux hommes de culte (imam…)
Quand pensez-vous pouvoir le faire ?
Il me semble que c’est le moment car par mon histoire personnelle, je suis arrivée à un cycle intéressant : "construire ma propre vie, hors du nid familial, et paradoxalement, revenir à mon enfance parce que je viens de perdre ma mère. Cette perte, qui s’inscrit dans le cycle d’une vie, nous révèle des choses sur nous-mêmes et nous propulse à la fois vers des définitions insoupçonnées de la famille avec un grand F . Je tiens particulièrement à rendre hommage ici à ma mère parce qu’elle m’a sauvée la vie en me donnant le goût de la lecture et de l’étude, de l’effort et de la valeur du travail. C’est le même hommage que je rends aussi à mon père, poète et sage qui m’a appris la joie de donner et de partager.
Pouvez-vous dire que cette formation vous a apportée une réelle maturité ?
Personne ne se construit seul et personnellement, j’ai beaucoup reçu de mes frères et sœurs qui tous m’ont orientée soutenue, encouragée, de mes formateurs qui ont cru en moi malgré l’absence totale de diplômes, de mes camarades qui m’ont écoutée et guidée, de Mme Nomo Yamina, psychologue, directrice du premier centre, sans oublier mes merveilleux collègues du C.D.P de Sidi el Kebir. J’aimerais conclure en remerciant vivement mon mari M. Sid-Ali Benzerafa pour son aide précieuse grâce à laquelle je peux mener de front vie de famille et …thérapie familiale.
Vous parlez de la clinique de concertation, pouvez-vous nous donner quelques éclaircissements à ce propos ?
Comme le dit le Dr J. M. Lemaire, concepteur de la Clinique de Concertation, la Clinique de Concertation n’est qu’au service du travail thérapeutique de réseau qui est fait de professionnels qui accompagnent les usagers au jour le jour. Il faut être attentif à ce que ce dispositif de considération extrêmement positif et spectaculaire ne retombe pas comme un soufflé ? «La Clinique de Concertation n’est pas un but en soi. Ce qui précède est déjà du travail, et ce qui suit également. La disponibilité des professionnels, leur capacité à s’ouvrir, à mobiliser des collègues n’est pas une «préparation» : c’est du travail en soi. Assurer un relais, faire de l’accompagnement, mobiliser les ressources dans les champs de recouvrement est essentiel. C’est d’ailleurs ce travail qu’il faut mettre en valeur pour convaincre les responsables administratifs et politiques, non pas les séances de «clinique de Concertation» elle-même mais tout ce travail de fourmi, invisible, minutieux.
Qu’appelle-t-on le «travail en réseau» ?
La Clinique de Concertation permet la réunion à des personne venues d’horizons divers, mais que le problème posé par une famille interpelle, cela peut-être, des représentants d’autorités locales, des citoyens se sentant proches de ces problèmes, des observateurs… En discutant, en se présentant, en échangeant des résolutions, cette clinique, ou réunion est éminemment thérapeutique, ainsi que le travail de réseau constituent une suite logique lors de difficulté. Comme on dit en formation : «il faut élargir le cercle, lorsque un problème est trop dur à résoudre."
Qu’appelle-t-on un génogramme en thérapie familiale ?
Le génogramme est un schéma qui permet de voir en clair la place qu’occupe chaque membre d’une famille, situe les personnes disparues ou autres, afin de comprendre le problème qui s’est posé à cette famille.
O.A.A