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Une femme kabyle au tatouage
Yemma Ouiza Meheni raconte
2 Décembre 2009

De nos jours, le tatouage, qui demeure toujours un outil de beauté, revient sur d’autres formes. On peut dire qu’il est en pleine expansion, comme un renouveau culturel, ou un retour aux sources et devient une mode, un ornement. Les motifs sont différents et on se tatoue aussi sur différentes parties du corps, dos, bras, poitrine, bracelets de chevilles. Les motifs animaliers occupent une place de choix : la tortue, le lézard, l’hirondelle, mais aussi l’hameçon. Hier comme aujourd’hui l’art du tatouage reste riche de signification. Son beau tatouage au niveau du menton que l’on appelle chez nous anevgad la sublimait encore plus. Dans toute sa lucidité et une mémoire intacte malgré les vicissitudes de la vie, yemma Ouiza Meheni raconte, par le menu détail, la séance de tatouage qu’elle a effectuée au siècle dernier dans sa prime enfance.

Yemma Ouiza, bon pied bon œil du haut de ses 85 ans, habite un hameau de la commune d‘Illulen Umalu (en grande Kabylie). Notre mamie, avec son beau tatouage au niveau du menton qui s‘étale jusqu‘au cou que l‘on appelle chez nous "anevgad" la sublime encore plus. Malgré les ans et les effets conjugués du soleil ardent de nos latitudes et du gel hivernal de nos montagnes, elle garde un visage épuré et clair de son adolescence. Allez savoir comment ! En effet, d‘un physique avenant et d‘un tempérament agréable à vivre, elle était en outre douée dans l‘art culinaire et autres activités domestiques. Rouler le couscous, préparer des crêpes, tisser des burnous ou faire de la poterie, n‘avaient aucun secret pour elle. Et même les vaches, brebis, chèvres préféraient se faire traire de ses mains douces et expertes à la fois. C‘est dire que tout ce qu‘entreprenait yemma Ouiza n‘était qu‘art et finesse. Avec lucidité et la mémoire intacte, malgré les vicissitudes de la vie, yemma Ouiza raconte par le menu détail sa séance de tatouage qui remonte au siècle dernier lorsqu‘elle n‘était encore qu‘une adolescente. Elle nous dit que Da Akli le doyen du village, que Dieu préserve son vie, très sollicité pour son doigté dans cette pratique, prenait une épine de figuier de barbarie qu‘il passait légèrement au feu puis, avec l‘enduit de suie « avouk » qui se dépose au dos du « atajin » posé sur les flammes du kanoun, il faisait des dessins sur le front, le menton ou la main des jeunes filles et femmes. "Ces séances de tatouages étaient collectives». Elles se faisaient par des piqûres sous l‘épiderme. Au fur et à mesure que du sang apparaissait il l‘asséchait avec de la poudre noire «lvarud». Au troisième jour, avec le jus obtenu par pilonnage de «tucka», une herbe verte épineuse que l‘on ramène des maquis, il essuie le tatouage lequel deviendra indélébile tout en prenant une couleur bleutée sur la blancheur du visage. En fait, c‘est une pratique qui nécessite du doigté car le risque d‘infection est très grand et si c‘est le cas, le tatouage est raté. Yemma Ouiza regrette toutefois que cette opération ancestrale, qui a tendance à embellir la femme kabyle, ne se pratique plus de nos jours. Au début du siècle dernier, le tatouage était encore un fait de société en Algérie au sein de la communauté autochtone, en particulier dans le monde rural. Dans les villes le tatouage était d‘un usage peu courant, car au contact des Européens pas du tout enclins à cette pratique qui leur paraissait « un rite barbare » et rétrograde nos citadins de l‘époque par phénomène d‘acculturation ne s‘adonnaient pas tellement à cette coutume. Paradoxalement, cette pratique qui faisait mauvais genre chez les Occidentaux jadis, revient en force chez eux. Il faut croire que «rien n‘est acquis à l‘homme.»


Esthétique ou repère identitaire ?
Tatouage vient du mot tahitien ta tau qui signifie marquer, dessiner, qui consiste à perforer la peau pour introduire des agents colorants qui laissent une marque indélébile. Selon les résultats obtenus par ceux qui on fait des recherches sur ce domaine, le tatouage est à la fois un signe d‘identification sociale et la recherche d‘une perfection physique.

Si on reconnaît une origine tahitienne au mot tatouage, il n‘en demeure pas moins que cette pratique était connue dès l‘Antiquité de tous les peuples de la planète. Ainsi Otzi, l‘homme des glaces, découvert dans les Alpes, mort 3500 avant notre ère, arborait déjà des tatouages. En Chine, des momies tatouées ont été trouvées, datant du deuxième millénaire. En Afrique du Nord, le tatouage est pratiqué aussi bien chez les femmes que chez les hommes, comme nous le verrons plus loin.

Les raisons d‘un tatouage :
Le tatouage est à la fois un signe d‘identification sociale et la recherche d‘une perfection physique, voire un signe de rébellion face à un ordre établi qui ne répond pas aux attentes et espérances. En tant que signe d‘identification, le tatouage est une manière d‘afficher son appartenance à un groupe social, à une tribu. «L‘homme est un animal social, aussi a-t-il besoin de se sentir aimé par le groupe dans lequel il vit.» Le tatouage sera donc le moyen de le montrer. L‘homme, de par son identification au groupe, se destresse et, en cas de coup dur, il saura sur qui compter.» Cela constitue ainsi une mesure de défense et de sécurisation de soi. Par ailleurs, le tatouage est la forme ancienne du maquillage mais sous une forme pérenne. Chaque dessin, chaque motif du tatouage, ont une signification symbole de l‘objet recherché. Enfin, le tatouage témoigne du refus de vivre dans un moule prédéfini, l‘autorité non reconnue et qui s‘impose par la violence et la force. Cette façon de s‘exprimer témoigne donc de l‘impossibilité d‘extérioriser, par d‘autres voies, le rejet de l‘oppression à l‘origine de la frustration de ne pouvoir jouir d‘une liberté d‘expression. Le corps devient alors un exutoire.

Le tatouage dans notre pays :
Le tatouage dans notre pays est une pratique qui remonte à des temps très anciens. Chez nous également, nous retrouvons les mêmes raisons citées plus haut. La femme berbère se tatouait principalement le visage et les membres supérieurs. Elle appréciait surtout les dessins sur le front, les joues, le menton, les mains. Cela lui assure une puissance magique et une protection. Par exemple, un peigne sur le bras d‘une tisseuse lui assure de l‘habilité ; tandis que le tatouage d‘un scorpion représente un signe de protection. D‘autres motifs sont employés contre la malédiction. Le tatouage est une tradition commune à presque tous les Nord-Africains. Au plan esthétique, le tatouage de la femme berbère se présente sous forme de motifs géométriques, motifs que l‘on retrouve également dans une expression artistique plus globalement, décors muraux, bijouterie, poterie, tapis. Ces dessins sont souvent la symbolique d‘animaux (mais pas seulement) où nous retrouvons toujours l‘ambivalence des choses, c‘est-à-dire le refus manichéisme. Ainsi, le serpent ou le scorpion par exemple ne sont pas totalement des êtres négatifs. Voir à ce sujet l‘intéressant ouvrage de Mohand Akli Haddadou «Le guide de la culture berbère» Edition Ina-Yas. On outre, le tatouage dans nos contrées et par extension dans toute l‘Afrique du Nord, renvoie aussi à l‘expression de la douleur mais aussi à la résistance et l‘irrédentisme, autrement dit, les femmes se tatouaient des anneaux au niveau des chevilles, en référence aux chaînes traînées par leurs maris en déportation. Nous voyons bien que le tatouage est un cri du cœur de la femme éplorée. C‘est une pratique donc connue de nos ancêtres et expression tour à tour de l‘irrédentisme à travers les siècles, mais également une recherche esthétique. En plus de cela, le mot berbère qui signifie tatouer (acherad ) veut dire également vacciner, car il s‘agit, à ce niveau, d‘une inoculation, donc même procédé dans tous les cas, mais avec des buts différents.

Le tatouage aujourd‘hui :
Dans les pays du Nord, il y a un retour du tatouage. Est-il un phénomène de mode et un caprice des nantis ? Peut-être, mais ce qui est certain, c‘est l‘expression revendicative d‘une individualité face au nivellement des comportements et valeurs voulus par une mondialisation effrénée.

Tatouage au henné :
Un dessin temporaire

Le tatouage au henné connaît aujourd‘hui un franc succès. Indolore, non-permanent, convivial lorsqu‘il est pratiqué entre amies, il évoque l‘Orient et le Maghreb. Le maquillage au henné utilise la technique ancestrale de la peinture corporelle qui se pratique encore aujourd‘hui en Inde, au Maghreb, en Turquie, bien que réservé maintenant aux cérémonies matrimoniales. Un petit dessin comme un tatouage, mais pour quelques semaines seulement, c‘est plutôt ainsi que se développe la mode du maquillage au henné dans les pays occidentaux. Les tatoueurs professionnels peuvent réaliser les tatouages au henné, même si leur côté éphémère est un peu contradictoire avec la symbolique du tatouage... Vous pouvez réaliser vous-même, chez vous, votre maquillage au henné, il suffit d‘un peu de pratique. Entraînez-vous sur un papier, puis réalisez le dessin de votre tatouage sur un endroit discret, pour commencer.

Préparation de la pâte :
Pour préparer la pâte, il faut mélanger un peu de poudre verte avec de l‘eau, et éventuellement des huiles essentielles (fleur d‘oranger, eau de rose...) qui ont pour effet de prolonger la durée du dessin. La pâte ne doit être ni trop liquide, ni trop sèche... La pâte est déposée sur la peau suivant un dessin ou un pochoir à l‘aide d‘une seringue (sans l‘aiguille bien sûr) qui permet un tracé fin. La couleur dépend de l‘épaisseur de la pâte déposée, du temps de pose avant d‘enlever la pâte (au moins une heure, le temps de partager un thé ). La couleur s‘estompe au bout de 2 à 3 semaines, peu à peu passant du marron à l‘orangé.

Précautions d‘emploi :
Le henné noir, pour la teinture des cheveux, est à déconseiller pour les tatouages car ses composants chimiques peuvent entraîner des allergies. De même, ne vous laissez pas tenter par un tatouage "à la sauvette": la pâte utilisée peut contenir des composants chimiques allergisants. Mieux vaut réaliser votre pâte chez vous pour en maîtriser la composition, ou par un tatoueur professionnel. Les allergies ou dermatoses ainsi développées ne sont pas forcément immédiates, et il est très difficiles, quelques semaines après le tatouage, de faire le lien avec celui-ci.

Par : Ourida Ait Ali

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