En Algérie, la poterie est différente d’une région à l’autre, résultat des diverses influences qu’elle a subies au cours de l’histoire. Si les étapes de fabrication sont sensiblement les mêmes, le résultat est loin d’être identique. En Kabylie, par exemple, la poterie, ornée de motifs, est de teinte rouge. Au sud d’Adrar, on trouve des objets aux formes plutôt originales et de couleur noire. Les poteries des Monts Nememcha sont façonnées dans de l’argile aux tons rosés et décorées de dessins bruns. A l’origine, les objets étaient fabriqués en famille et échangés entre voisins. Aujourd’hui, vous en trouverez à la vente un peu partout dans le pays. Une jeune femme du Mont chenoui qui veut perpétuer cet art, nous parle de la poterie de sa région. Pour rappel, la médaille d’or de la poterie a été décernée en 1899 aux femmes de la région du Chenoua.
Le Midi libre : Benaouda Zehira
Avant de vous poser des questions sur votre métier, présentez-vous aux lecteurs du Midi libre :
Je m‘appelle Benaouda Zehira, j‘ai 30 ans. Mon activité de poterie, je l‘exerce depuis 20 ans au niveau de la corniche du Chenoua dans la wilaya de Tipasa.
Comment vous êtes venue à l‘exercice de ce métier?
Pour moi, la poterie c‘est à la fois un métier et une passion. Cette pratique je l‘ai héritée de ma mère qu‘elle-même a reçue de ma grand-mère. C‘est vous dire que cet art nous a été transmis de génération en génération, mais dans une lignée exclusivement matriarcale donc. Toute jeune, je regardais faire ma mère et j‘ai été subjuguée par l‘agilité de ses doigts. Cette fascination est encore vivace dans ma tête particulièrement lorsque mes doigts pétrissent ou modèlent la terre glaise. J‘aime retrouver ce geste séculaire que des milliers d‘autres femmes ont fait avant moi.
La poterie, c‘est donc une source de revenus.
Absolument, je suis comblée quand d‘une motte d‘argile mes doigts donnent forme à un ustensile comme par magie, c‘est un peu comme un prestidigitateur qui vous fait sortir un lapin de son chapeau… C‘est merveilleux et cela me permet de subvenir aux besoins de ma famille.
D‘où obtenez-vous la matière première ?
La matière première c‘est l‘argile. Comme chacun sait, l‘argile est une terre molle appelée aussi terre glaise ou thalekht en tamazight de chez nous. Elle est extraite de carrières avoisinantes qui sont en général un bien commun de la tribu.
Comment procédez-vous à l‘extraction de cette argile ?
Tôt le matin, nous nous dirigeons, munies qui d‘un vieux couffin en doum qui d‘un baluchon, vers le lieu habituel où la glaise est de meilleure qualité. Nous extrayons l‘argile en creusons à l‘aide d‘une pioche et nous ramenons notre lourd chargement à la maison où nous l‘étendons sur une natte. A l‘aide d‘un bâton, nous concassons les mottes pour obtenir une poudre à grosse granulométrie que nous tamisons pour l‘uniformiser et lui enlever les impuretés comme des brindilles ou restes de racines.
Quel est le processus de fabrication grosso modo car nous voyons exposer ici de jolis modèles d‘ustensiles ?
Cela relève de la dextérité tout simplement. Ces ustensiles que vous voyez sont des objets de cuisine utilisés jadis dans la vie quotidienne, bien avant que le plastique et l‘aluminium n‘envahissent notre quotidien à savoir : Afen, akeskas, azioua, akvouchth, akellouchth.
Nous travaillons l‘argile en lui mélangeant des tessons pilés en guise de dégraissant. Les proportions sont deux tiers d‘argile et tessons et un tiers de dégraissant. Ensuite, nous laissons tremper ce mélange pendant un certain temps avant de pétrir la pâte ainsi obtenue pour faire sortir d‘éventuelles bulles d‘air et éviter ainsi les éclatements lors de la cuisson. Comme c‘est un travail manuel la dextérité s‘impose. Une fois l‘objet monté et la forme trouvée on le laisse sécher au soleil il est cependant au stade de l‘écru si je peux m‘exprimer ainsi. Il s‘agit dans une deuxième étape de le décorer avec des motifs propres à notre terroir. Tous nos outils de travail et notre matière première nous les prenons à dame nature. Aussi les pinceaux sont à poils de chèvre la teinte tamaghrarth (un ocre naturel) provient de l‘oued Mghra dans notre localité le vernis est à base de résine de thuyas.
Une fois séchée la poterie est soit peinte est cuite en plein air, soit laissée telle quelle. Nous utilisons souvent la bouse des animaux comme combustible (pour vous dire que nos ancêtres étaient déjà des écologistes bien avant que ce terme ne soit à la mode ; le vernis est appliqué immédiatement à la sortie du feu alors la céramique est brûlante.
Pourquoi certains ustensiles sont décorés et pas les autres ?
Ceux qui vont au feu comme le brasero le tadjin ou la marmite ne sont pas décorés pour la simple raison que le vernis noircira et la suie cachera tout le décor par contre les assiettes et les chandeliers et autres bougeoirs sont décorés
Avez-vous un projet ou un rêve en perspective ?
Ce qui me tient à coeur est d‘ouvrir un atelier d‘apprentissage au profit de filles et j‘espère que les autorités locales nous donnent les moyens de nous exprimer. Vous savez, sans doute que les mets préparés dans des tadjine et cuits à la braise ont un goût particuier, comparativement aux plats préparés dans une cocotte en aluminium. N‘est-ce pas encore une autre raison de perpétuer notre art. En clair, mon rêve est que cette poterie locale du Chenoua reprenne sa place.
Techniques de façonnage
La fabrication d’une poterie commence par le mélange des terres (argile, marne, silice). Il existe ensuite six techniques différentes pour donner à la masse la forme souhaitée.
Modelage :
Le modelage est simplement la mise en forme de la terre par pression des doigts.
Estampage :
De petites boules de terre sont appliquées sur ou à l’intérieur d’un objet (calebasse, ancien pot cassé...) et la terre est ensuite lissée.
Tournage d’une poterie :
Toutefois, la technique la plus perfectionnée est celle du tournage.
La technique du «tournage» a fait son apparition aux alentours de 400 ans av-JC. On peut dire qu’elle révolutionna la poterie, car elle permit d’obtenir des formes beaucoup plus libres, en fonction de l’habilité du potier. Le tour se compose d’un plateau rotatif appelé girelle.
Après avoir disposé une motte d’argile au centre du plateau, le potier centre sa terre puis la façonne pendant sa rotation.
Le tournage ne permet d’obtenir que des pièces de révolution, qui peuvent être cependant déformées ensuite. Cette technique permet d’obtenir des objets révolutionnaires pour l’époque, fabriquant des pièces beaucoup plus légères qu’avec les techniques précédentes. Mais le tournage nécessite un apprentissage technique prolongé, c’est un métier en soi.
Moulage ou coulage :
La terre n’est plus sous forme pâteuse, mais sous forme liquide par adjonction d’eau et de défloculant. La terre sous cet état s’appelle barbotine. Elle est produite par un mélange de poudre fine d’argile et d’eau. Un moule en plâtre est utilisé pour définir l’extérieur de la forme, le plâtre a pour caractéristique d’absorber l’eau. La barbotine est introduite dans le moule, et maintenue quelques instants dans le moule.
L’eau de la barbotine se transfère dans le plâtre, et la densité de la barbotine augmente à proximité des parois. Il faut ensuite attendre que la pièce moulée sèche. La pièce diminuant de volume avec l’évaporation de l’eau, le démoulage est facilité.
Après avoir laissé sécher la pièce assez longtemps pour obtenir une consistance «cuir», le tourneur rectifie les imperfections et creuse le pied de la poterie; cela s’appelle «tournaser» ou tournasser. Puis, s’il y a lieu, l’on passe au «ansage» (pose des anses) et l’on grave la pièce selon le modèle choisi. Il faut alors laisser sécher, c’est la fin de la partie «façonnage».
Techniques de cuisson :
Article détaillé : Fours à bois (céramique).
Pour la cuisson, les différentes pièces obtenues sont disposées dans un four à une température de 850 à 1000 °C pendant environ 8 heures. On obtient alors le «biscuit» (dans le cas de la faïence) ou un «dégourdi» (grès).
Les pièces peuvent être décorées au pinceau à l’aide d’oxydes de différentes couleurs. Le biscuit ainsi décoré, est trempé dans des bains d’émail.
Une fois décorée et émaillée, la pièce subit une nouvelle cuisson à 960 °C durant 5 heures pour la faïence. Les pièces de grès ou de porcelaine émaillées sont cuites à une température qui oscille entre 1250 et 1400 °C.
Les températures de cuisson vont de 850 °C à 1350 °C (et plus) selon la nature de la terre utilisée. On distingue la faïence, cuite à basse température (jusqu’à 1100 °C ) du grès cuit à haute température (jusqu’à 1300 °C). La faïence reste poreuse après cuisson, c’est-à-dire qu’elle peut absorber de l’eau et est sensible au gel contrairement au grès qui, comme la porcelaine, est totalement vitrifié. Si la terre contient beaucoup d’oxydes métalliques, de sels alcalins ou acides, la température doit être faible, sinon, la température peut être augmentée sans risque de fusion.
Histoire de la poterie
L’invention de la poterie a eu lieu pendant la préhistoire : on situe souvent cette invention au néolithique, en Asie Mineure, vers le VIIIe millénaire av. J.-C. Mais cette hypothèse est toutefois battue en brèche par les découvertes des dernières décennies : au Japon, la poterie aurait été inventée vers le XIe millénaire av. J.-C., pendant la période Jomon. Au Proche-orient, elle serait apparue vers le Xe millénaire av. J.-C. Un autre foyer d’invention, situé en Afrique saharienne, a quant à lui été daté du VIIIe millénaire av. J.-C. Par ailleurs, des découvertes récentes le long du fleuve Amur, dans l’est de la Russie, ont révélé des traces de céramique. Ces dernières ont été datées de 13 000 av. J.-C., mais leur conception laisse à penser que les traditions céramiques seraient encore plus anciennes. Plus encore, les datations au carbone 14 effectuées en Chine du sud à la fin des années 1990 sur les couches où l’on avait trouvé des tessons de poterie ont donné des dates situées entre 9 000 et 14 000 avant Jésus-Christ. Enfin, en Tchécoslovaque, on a daté une statuette de céramique de la culture gravettienne autour de 24 000 ans avant J.-C. Entre 3500 et 3450 av. J.-C., la poterie subit une véritable révolution avec l’introduction du tour de potier, au Proche-Orient grâce à une nouvelle population venue du croissant fertile, et en Chine entre 3000 et 2000 avant J.-C. grâce à la culture de Longshan. Entre 2900 et 2300 av. J.-C., durant l’âge du bronze, on trouve des traces de décoration à base d’engobe. La fabrication de pièces de porcelaine faisant appel à une large proportion de kaolin remonte en Chine à la dynastie des Han de l’est, entre 25 et 220 ans après l’ère chrétienne. La conduite de la cuisson jusqu’à 1200°C environ et les poteries blanches vitrifiées utilisant des pâtes principalement composées de kaolin existent donc en Chine depuis le IIIe siècle de l’ère chrétienne au moins, même si à cette époque la très grande majorité des céramiques étaient en fait de simples terres cuites, ou, au mieux, des grès. Cette découverte très ancienne de la porcelaine a été un triomphe technique dans le domaine de la céramique.