Jake White est à 80 minutes de la consécration
au Mondial-2007, après quatre ans comme entraîneur de l’Afrique du Sud, record de longévité à ce poste à intense pression, dans un environnement sportif, politique, racial
"à nul autre pareil".
«Demi-finale, finale... Les gens parlent de pression ? Ils ne savent rien. Ils ne savent pas la pression que nous, Sud-Africains, avons quand nous jouons au rugby», sourit White, 43 ans, à la fois excité de l’impact qu’aurait un deuxième titre dans son pays et épuisé des bagarres menées depuis 2004.
Un chiffre illustre ce job à crise de nerfs garantie, considéré comme le plus délicat de la planète rugby. Si la finale sera son 53e match en charge, White est le 10e entraîneur des Sringboks depuis leur réadmission post-apartheid en 1992: une moyenne de 18 mois par titulaire.
Pour comparaison, sur cette période 1992-2007, la France a eu trois entraîneurs (ou tandem): Berbizier, Skrela-Villepreux et Laporte.
Certains coaches Springboks payèrent un manque de résultats, dans un pays ultra-exigeant sur ce point. White lui-même fut tout près de la porte fin 2006, sauvé par... l’Angleterre, et un succès 25-14 à Twickenham. D’autres payèrent leur indélicatesse (Markgraaff, propos racistes), une indépendance peu goûtée des administrateurs (Mallett), d’autres enfin fuirent la pression (Viljoen).
Pressions
"Aucun pays ne ressemble" au scénario sud-africain, explique White, très lucide sur le contexte politico-racial, les attentes de transformation de la société et du sport pour refléter la démographie du pays. Mais résolu aussi à ne pas céder aux pressions et ingérences. Quand il le peut. "L’Afrique du Sud est la seule équipe au monde où si ton ailier se blesse, tu es obligé de changer de pilier" (pour assurer une présence de joueurs de couleur), rigole-t-il des pressions plus ou moins avouées sur la sélection.
"Mais j’accepte cela. C’est mon pays". "La transformation (raciale) peut être un immense +plus+ si elle est bien utilisée", reprend sérieusement White, hostile aux quotas, mais fourmillant d’idées sur la façon de produire des générations de jeunes Springboks noirs indiscutables. "La France a Betsen, Dusautoir, Nyanga, sélectionnés sur leur seul mérite, l’Angleterre a Sackey, Robinson, idem. Or ces pays ont une petite minorité de Noirs. Comment nous, avec 40 millions de Noirs (85%), peut-on justifier une équipe blanche ? Si on est sincère dans nos efforts, c’est impossible." Le XV sud-africain qui jouera la finale, pourtant, ne devrait compter que deux joueurs de couleur (Habana, Pietersen), à la limite un sur le banc.
CV irréprochable
Mais c’est tout l’art de White: avoir réussi à faire digérer la lenteur des progrès, au nom de progrès réels, pas artificiels. Et au nom d’un CV irréprochable, lui qui pouponna un XV très multiracial de Springboks champions du monde des moins de 21 ans (2002): parmi eux, les métis Januarie, Willemse, Steenkamp présents au Mondial-2007. Habana, Pietersen éclorent plus tard.
"Mais j’ai eu de la chance: je les ai eus juniors, à 19, 21 ans. Ils me connaissent et savent que je ne veux jamais être forcé de faire jouer un gars à cause de sa peau. C’est terrible de faire cela à un joueur. Avec moi, c’est tu mérites d’être dans le XV, ou pas. Et ces joueurs (de couleur) m’en sont reconnaissants."
Jake White rêve. De titre, bien sûr. D’un rugby sud-africain qui saisirait alors sa "deuxième chance" (après 1995) et s’ouvrirait pour de bon à toute la société. "Avec une telle base de joueurs, on serait champions du monde pendant 20 ans..."
Mais cela se fera sans lui: s’il ne veut rien confirmer encore, Mondial oblige, il partira sans doute à la fin de son mandat en décembre. Pour peut-être aller voir ce qu’il vaut comme entraîneur ailleurs, "dans un monde réel, normal"