Les patients sont soumis à un traitement dont le résultat est d’atténuer, au maximum, les effets de manque chez le drogué. Durant son séjour au centre, le patient est ainsi lié par un contrat moral, il doit se soumettre aux règles de fonctionnement de ce centre et accepter les thérapeutiques occupationnelles.
Des centaines de pensionnaires arrivent par an. Ils sont âgés de 18 à 30 ans, ont un niveau moyen, sans profession. Ce centre hospitalier de prévention et de soins aux toxicomanes, ouvert en 1996, est constitué de deux unités, la première chargée de la consultation et de l’accueil des patients ainsi que de leur suivi en post-cure, tandis que la seconde s’occupe de l’hospitalisation avec une capacité d’accueil de 40 lits et un personnel composé d’une équipe pluridisciplinaire (psychiatreS, médecins, généralistes, psychologues, sociologues, éducateurs et personnel paramédical). La mission première de ce centre, selon son premier responsable, le Pr Bachir Ridouh, est "l’accompagnement institutionnel de l’usager de drogue durant la période de sevrage". Ainsi, les patients sont soumis à un traitement dont le résultat est d’atténuer, au maximum, les effets de manque chez le drogué. Selon le Pr Ridouh, "la réussite de cette cure dépend, en grande partie, de la volonté des patients et de leur motivation pour les soins. Durant son séjour au centre, le patient est ainsi lié par un contrat moral par lequel il doit se soumettre aux règles de fonctionnement de ce centre et accepter les thérapeutiques occupationnelles proposées et surtout éviter toue introduction de substances psycho actives dans le service sous peine de rupture prématurée du contrat. La durée d’hospitalisation est de 21 jours au minimum et peut varier, selon le produit et le degré de dépendance à la drogue". Cependant, précise le Pr Ridouh, "le problème de la drogue en Algérie est spécifique, car s’agissant généralement de poly-toxicomanes qui associent la consommation de cannabis, de psychotropes et de boissons alcoolisées d’où la complexité de la prise en charge". Outre les traitements médicamenteux, des activités socio ergothérapiques sont proposées aux patients (sports, jeux de société, jardinage, travaux en atelier, théâtre, musique, etc). S’agissant des statistiques, une première étude portant sur trois années a fait ressortir une évolution du nombre de pensionnaires avec 273 patients en 2005, 237 en 2006 et 352 en 2007. Ces patients sont en majorité de sexe masculin. La gent féminine représente un nombre important, la majorité sont célibataire, âgées entre 18 et 30 ans, de niveau moyen et généralement sans profession.
Face à la détresse extrême des femmes et jeunes filles victimes de viols, la prise en charge psychologique est, à elle seule, insuffisante. Tous les spécialistes diront, en effet, que le traitement des traumatismes du viol passe par une dynamique impulsée au niveau familial et communautaire. Pour la femme ou la jeune fille, le viol signifie une effraction dans le corps, dans son intimité. Le viol est un crime contre la personne, c’est un acte de domination, de destruction visant le sexe, le corps de la femme, pour l’atteindre au plus profond d’elle-même, pour la réduire au rang d’objet en niant son humanité. Mais au-delà de cette attaque personnelle, individuelle, c’est toute la communauté, du moins dans la culture arabo-musulmane, qui est plus lourde pour la victime du viol qui, lorsqu’elle est rejetée et pas correctement prise en charge psychologiquement, fait le choix entre l’un des deux recours. C’est le cas de Aicha, mais aussi de beaucoup d’autres.
Elles ont entre 18 et 30 ans et se sont retrouvées un jour, livrées à elles-mêmes, dans la rue, sans gîte. Là, elles n’avaient pour seul guide que la main d’un ogre aux appétits féroces faisant d’elles une marchandise qu’on entraîne dans les abysses d’une vie de vagabondage et de commerce sexuel. Chacune de ces innocentes a une histoire à porter sur ses frêles épaules. Parents et société sont au banc des accusés. Ces femmes, nous les avons rencontrées au centre de psychothérapie de Blida.
Elles ont fugué, elles ont été violées, elles parlent
Nora, originaire d’un douar dans la wilaya de Chlef, a accouché à 17 ans de jumeaux qui ont été confiés à sa mère et s’est retrouvée un jour obligée de vendre ses charmes pour entretenir sa famille très pauvre. La rue, Nora la connaît très bien, puisqu’elle y exerce son métier. Avec ses cheveux coupés à ras et ses yeux de petite fille qui se lèvent à peine du sol, Nora incarne l’innocence même. Et innocente, elle l’est. Son âme l’est restée même si son corps a été souillé. Nora déclare tristement qu’elle aimerait bien voir ses gosses et s’occuper d’eux. Elle a aussi envie de voir ses petits frères et ses petites sœurs qui lui manquent beaucoup.
Sabrina 20 ans, sont seul tort, est d’être née sous X, étant le fruit d’une relation non officielle. Quand elle a atteint 14 ans, Sabrina s’est retrouvée dans la rue, car la nourrice chez qui elle avait été placée par la DAS ne voulait plus la garder. Pourtant, Sabrina était très attachée à elle. "Un jour, ma nourrice, excédée par ma présence, m’emmena au poste de police. Je fus renvoyée chez ma mère biologique. Mais je ne voulais pas rester chez elle. Je me suis alors enfuie, je déteste ma vraie mère, car elle refuse de me dire qui est mon père. De plus, elle fréquente un milieu que je n’aime pas." La jeune fille, originaire de Blida, a du mal à accepter d’être la fille d’une femme aux mœurs légères. Elle veut retourner chez sa nourrice et oublier ce qui s’est passé. "Depuis qu’on m’a mise dans ce service en juillet dernier, ma nourrice me rend souvent visite." Pour l’instant, Sabrina ne veut pas évoquer l’avenir, elle préfère plutôt vivre le présent. "Je n’ai pas encore réfléchi à ce que je ferai à ma majorité."
Nadira a 22 ans. Son visage d’ange porté par un corps de femme a été, pour elle une damnation. La séparation de ses parents a provoqué en elle une blessure tellement béante que même le temps a du mal à panser. Cela fait déjà un an que Nadira a quitté Biskra et a été accueillie par les services de psychothérapie. Tout a commencé lorsque sa mère décide de se remarier en négligeant sa fille. "Je ne voulais pas vivre avec ma mère et son nouveau mari, alors elle me confia à ma tante qui est à Biskra. Mais là-bas, le pire était à venir." Nadira s’arrête un moment pour reprendre son souffle et continue "ma tante était gentille avec moi, mais son mari abusait de moi. En apprenant cela, ma mère m’emmena chez un juge qui décida de m’envoyer ici. Depuis, je n’ai plus de nouvelle de ma mère. Pourtant, je lui ai envoyé de nombreuses lettres." Selon certains témoignages, Nadira serait en danger de mort, si jamais elle retournait chez elle. Car dans une société comme la nôtre, c’est toujours la victime qui est jugée et condamnée et non pas le bourreau. Les familles préfèrent blâmer, éloigner la femme victime et oublier l’acte ignoble de l’homme pour reprendre un semblant de vie d’une innocente. Nadira ne veut plus retourner chez sa mère. "Je me sens bien ici. Sauf peut-être quand je me souviens de ce que j’ai enduré à Biskra." Son but aujourd’hui est de décrocher un diplôme et retrouver un travail honnête pour gagner sa vie.
A la fin du mois en cours, Naila aura 21 ans et elle passe le plus clair de son temps à se demander où aller après. Elle, aussi, s’est retrouvée ici, à cause de son beau-père, "Il ne cessait pas de me créer des problèmes. Cela dit, j’ai amèrement regretté d’être partie de chez moi, je ne savais pas ce qui m’attendait dehors." Naila, qui est à la fois mère et conseillère de ses compagnes d’hôpital est un formidable exemple de réinsertion. Elle passa son temps à écrire des poèmes "Quand j’étais plus jeune, je voulais être avocate afin de défendre les opprimés et les pauvres, mais le sort en a décidé autrement. Toutefois, je ne perds pas espoir, puisque je vais suivre des cours par correspondance et essayer de rattraper le temps perdu." Naila affirme que dehors, elle n’a vu que déprime, hogra et malheur. "J’habitais à Bou-Ismail et je me suis retrouvée à Douaouda. Un jour, alors que j’avais fugué de chez moi, une voiture s’est arrêtée à ma hauteur et m’a emmenée. Cela m’a fait plaisir de voir qu’il y avait des gens qui voulaient me protéger. Mais j’ai été battue et violée par eux. Nous vivions sous des tentes au bord de la plage. Un jour, lasse de supporter le garçon avec qui j’étais, je suis retournée chez moi. Peine perdue, mon beau-père m’a chassée, je voulais connaître mon père, ma mère ne voulait pas, alors je suis partie et je le regrette. En retrouvant mon père, j’ai été mal accueillie j’ai été rejetée, car il n’est pas sûr que je suis sa fille. Je quittais alors Bou-Ismail pour me retrouver de nouveau à la rue. Aux filles qui veulent quitter leur domicile, je leur conseille de réfléchir à deux fois et de ne surtout pas faire confiance aux filles que l’on rencontre dehors. Car ce sont elles qui nous enrôlent dans le "métier". Vous savez, nous sommes des gazelles que l’on a jetées dans une jungle peuplée de monstres."
Les témoignages se suivent et ne se ressemblent que dans les conséquences désastreuses sur l’équilibre de ces innocentes qui, fort heureusement, sont suivies par une équipe de psychologues. La perspective de n’avoir nulle part où aller à 19 ans, âge où légalement elles n’ont plus le droit à une prise en charge de l’Etat, pousse certaines jeunes filles à mentir. Nacéra, par exemple, a 19 ans et déclare en avoir que 17. "Je ne veux pas me retrouver dehors, je n’ai nulle part où aller." Il est vrai que le statut de mineure la protège des abîmes de la délinquance, mais une fois l’âge de la maturité atteint, la protection est levée et l’enfant, devenu adulte aux yeux de la loi, est aussitôt livré à lui-même. Sachant, toutefois, qu’un adulte, qui a une jeunesse équilibrée, a du mal à se prendre en charge, on ne peut que se s’interroger par quel miracle un jeune, ayant eu une enfance perturbée et qui a été abandonné par sa famille, puisse se réinsérer à 19 ans, âge vulnérable, alors que la société pointe sur lui un doigt accusateur?
Mal comprises par une société conservatrice et délaissées par les pouvoirs publics, des centaines de jeunes filles pâtissent de la démission de l’Etat. Fragiles, les jeunes viennent des quatre coins du pays. Il est 13h. Après le déjeûner, les filles sortent dans le couloir du pavillon pour se dégourdir les jambes avant de retourner dans leurs chambres. Quand elles sont en groupe, elles plaisantent, mais une fois seules, elles ouvrent leur cœur et se libèrent de leur fardeau avec beaucoup d’amertume. «Je suis là parce que je fumais de l’herbe, je buvais de l’alcool, je prenais des cachets, je faisais comme ma mère. Puis, je me suis enfuie de chez moi parce que cela ne me plaisait plus», dit Houda qui a rejoint le service de toxicomanie le 25 août dernier. L’histoire de Houda, ses traumatismes, elle les partage ici avec toutes les autres, consciente que dehors, il lui sera impossible d’avoir la même compréhension et compassion.