Comme il est facile de le constater de visu, les salles des fêtes poussent comme des champignons chez nous. Il y a un peu plus d’une dizaine d’années, elles étaient la mode dans les grandes villes. Maintenant, elles envahissent même les villages et les patelins, au grand dam des nostalgiques des fêtes traditionnelles.
Ce qui laisse croire que ces salles des fêtes ont leurs détracteurs, comme elles ont leurs partisans aussi. Cependant, autres temps, autres mœurs. Jadis, les fêtes, prétexte pour les rencontres et les retrouvailles, étaient célébrées chez soi. Cela n’empêchait pas d’inviter toute la famille et tous les amis. L’ambiance était bon enfant malgré l’exiguïté des demeures et le manque des commodités. Et chacun se faisait un énorme plaisir d’apporter l’aide dont il était capable.
Zehoua, une femme d’une soixantaine d’années, croisée dans une boulangerie à Bouzaréah, explique : «C’était de vraies réjouissances. Tout le monde était convié, et la voisine d’à côté nous prêtait gracieusement sa maison pour recevoir les invités. Mais maintenant, tout a changé. Les mariages ne sont plus se qu’ils étaient. Ils sont célébrés dans des salles, et, dommage, cela n’a plus le goût d’autrefois» ; soupirs et regards lointains, avant d’enchaîner avec dépit : «Certes, les salles sont une bonne chose. Plus spacieuses et plus pratiques. Mais elles ont ôté aux fêtes leur chaleur d’antan. Avant, les parentes, les voisines et les amies, étaient les meneuses des préparatifs des semaines à l’avance. Par contre, de nos jours, on vous invite quelques jours seulement avant la fête, et on vous fait servir par des étrangères qui font office de serveuses. Cette bonne dame ne semble pas apprécier les salles de fêtes. Elle estime qu’auparavant, c’était plus convivial. Elle n’est pas la seule, d’ailleurs, à penser pareille chose. A quelques encablures plus loin, au quartier populaire de la Rampe Vallée, nous rencontrons Djamila. C’est une petite femme d’un âge assez avancé. Elle porte le célèbre Hayek mrema, qui a inspiré tant d’artistes peintres et de poètes. Elle avoue tristement : «Avant, il y avait el baraka. L’étroitesse était plutôt celle des cœurs, et non pas celle des maisons. Tout a changé. La derbouka par exemple, n’a plus sa place dans nos fêtes. Le temps est aux disc-jockeys, ces horribles machines qui produisent des musiques de tous les diables. J’ai marié mon fils l’année passée. J’aurais aimé que cela se fasse dans la demeure familiale, mais mes enfants ont préféré une frande salle, climatisée et avec des serveuses». Apparemment, les personnes d’un certain âge ne pourront jamais s’habituer aux salles des fêtes.
D’autres personnes les répugnent également, mais pour d’autres raisons cette fois-ci. En effet, leurs prix exorbitants poussent les familles à revenus limités à s’en passer. Allant de cinquante mille dinars à deux cents mille dinars, selon les services à offrir, il y en a pour tous les goûts et pour tous les budgets. Ainsi, certaines salles ne sont pas climatisées, ne disposent pas de serveuses, mais assurent les services d’un DJ. D’autres, coûteuses, sont équipées de puissants climatiseurs, avec serveuses et DJ. Alors que les plus coûteuses encore, sont celles qui offrent, en plus des options suscitées, les appuis d’un photographe cameraman, et qui disposent de chambres spécial photo avec un décor féerique pour la mariée. Et la dernière mode est aux Limousines qu’on loue à cent mille dinars la journée. C’est dire que c’est un commerce prolifique, qui fait gagner beaucoup d’argent à son propriétaire. Mais qui fait perdre, en contrepartie, des fortunes énormes aux usagers de ces salles. Surtout que la tendance est à la frime. Car pas mal de familles se sont endettées jusqu’au cou, pour pouvoir louer des salles à grand prix et ce, juste parce que la fille du voisin en a fait sa ‘’tesdira’’. Une concurrence quoi. Et les bénéficiaires dans tout cela sont les propriétaires des salles, qui profitent de chaque période de fête, surtout l’été, pour augmenter les prix déjà assez élevés. Alors, autant être raisonnable, et se permettre les choses, selon ses moyens. M. S.