A en croire leurs goûts télévisés, les Algériens seraient romantiques, friands d’histoires à tendance sentimentale. Soaps à l’appui : la déferlante mexicaine, turque et américaine qui s’est abattue comme un coup de foudre sur l’Algérie. En effet, aujourd’hui, feuilletons turcs, soap-opéra américains ont véritablement la cote. Et pour cause, ces derniers ne cessent de séduirent les algériens qui ne branchent pas du petit écran le temps de leur diffusion. Un temps devenu sacré pour la famille algérienne.
Adultes, hommes et femmes, et même enfants affirment devenir de plus en plus accros à un Mohanned, déçu par la mort de sa fiancée, contraint à épouser, sous la demande pressante de son grand-père, une Noor, pauvre, campagnarde, et pas trop femme à son goût, un «Amar», super viril, fort et déterminé à venger son amour perdu ou un «Yahia», frappé par les coups du destin. Ces histoires, mêmes stéréotypés, trouvent écho auprès d’une population qui semble «en mal d’amour », disent quelques sociologues.
«Mon mari ne m’accorde pas autant d’intérêt que le fait l’acteur principal dans le feuilleton «NOOR». Il est si tendre, câlin, aimant. Par contre, le mien n’est pas aussi attentionné. Il m’arrive de rentrer en conflit avec lui. J’ai même failli demander le divorce», raconte Lamia qui, séduite par la tendresse surprenante de Mohanned, reproche à son mari tous les défauts du monde. Sahar, de son côté, adolescente, affirme être très amoureuse de «Amar», le héro du feuilleton turc «Les larmes des fleurs», diffusé actuellement sur MBC4. La jeunette n’hésite pas de collectionner les photos de sa star aimée en vue de décorer sa chambre, ornée déjà, de part et d’autre, par les photos de ses vedettes préférées.
Le feuilleton «Les larmes des fleurs», diffusé depuis le début du Ramadhan sur la chaîne est devenu en l’espace de trois mois, un véritable phénomène de société. Dans les salons de coiffure, on ne parle que de Amar «le viril », et Nermine, la frêle amoureuse désespérée, les héros du feuilleton. Même les jeunes dans les rues commencent à s’identifier au personnage principal, Le grand brun, fort, viril qui suscite l’admiration des jeunes filles.
«L’amour, le point fort de ces productions»
Beaucoup d’indicateurs sur l’audience de ce feuilleton permettent de mesurer l’ampleur du phénomène qui gagne le grand public depuis la diffusion de ce feuilleton. «Ce ne sont pas uniquement les femmes qui suivent ce feuilleton, même les ados en deviennent de véritables adeptes», nous déclare, tout de go, cette femme au foyer.
«L’amour est le point fort de ce feuilleton turc qui fait fureur dans le Monde arabe», affirme une psychologue. Ce feuilleton, et bien d’autres, accusé d’être des briseurs de couple, ne représentent selon la spécialiste, qu’une fuite en avant des problèmes de la réalité rencontrés par de nombreux couples incapables de résoudre leurs différends. «Ils serait vraiment réducteur d’accuser un feuilleton des défaillances au niveau de la communication qu’observent de nombreux foyers algériens dans lesquelles la tendresse et le dialogue font défaut».
La psychologue affirme, par ailleurs, que l’engouement du grand public pour les feuilletons turcs est attribuable au fait que ces derniers proposent une représentation réelle de la famille musulmane tiraillée entre conservatisme et modernisme. En ce sens, le feuilleton Noor offre au grand public l’image d’une famille tolérante, au sein de laquelle on peut évoquer à son aise des sujets tabous comme l’amour, le sexe, les relations illégitimes.
Concernant l’attraction des jeunes à ce feuilleton, la psychologue affirme que cela varie d’une personne à une autre. Ainsi, alors que les jeunes hommes sont attirés par la personnalité de Yahia, le personnage de sanouat eddayaa, viril, fort, et très amoureux, les filles ne cachent par leur amour pour Mohannad, le beau blanc, au sourire dévastateur, qui nourrit leurs illusions.
L’on conçoit, par ailleurs, que tout en ce feuilleton est conçu de manière à accrocher l’attention du grand public. Les personnages sont beaux, séduisants, brillants, ils exercent des métiers à envier; Noor, l’actrice principale qui a donné son prénom au feuilleton, est modéliste et conceptrice de mode, alors que son époux est un important homme d’affaires.
A leur tour, les sociologues arabes n’ont pas manqué d’analyser le phénomène de société que sont devenus les feuilletons turcs. Pour eux, ce genre de feuilleton reflète une dualité entre modernité et tradition que les Arabes vivent mais assument difficilement. La série serait, en ce sens, un soulagement d’une angoisse fort présente entre incapacité d’équilibrer entre traditionalisme et modernisme. Sur un autre chapitre, ces feuilletons turcs proposent des schémas familiaux bien réel. «Une femme active opprimée par son époux, un époux machiste forcés d’accepter l’égalité avec la femme, une mère célibataire qui se fait avorter, une épouse blessée après une trahison. Par un processus d’identification, beaucoup de téléspectateurs se mettent à la place de ces personnages, et vont jusqu’à comparer leur existence à la leur.
La série Noor a également joué sur un point fort délicat, la tolérance en Islam. Ainsi, le feuilleton, de l’avis de nombreux sociologues, montre de jeunes musulmans libéraux. Ce à quoi aspirent beaucoup de téléspectateurs et qui n’est pas toujours évident dans des contextes régis par un conservatisme aveuglant.
Soap opera made in USA
Pour ce qui est des soap-opéras américains, il n’y a pas que l’univers de Dallas qui soit impitoyable : les feux de l’amour, Desperate Housewives «femmes aux foyers désespérées», Kyle XY, Urgence, et bien d’autres feuilletons du genre ont tenu et tiennent encore – depuis plus de dix ans – les algériens en haleine. Qui n’en tirent, au meilleur des cas, qu’une plus grande connaissance des prénoms étrangers. Le pitch ? Des sagas à l’américaine, grandes familles (texanes ou autres), magnats du pétrole et de la mode (ou de n’importe quel domaine où se conjuguent richesse et pouvoir), où gentils et méchants – tous beaux, riches, avec villas - se déchirent pour des histoires d’argent, de femmes et de jalousie. Aujourd’hui, c’est autour de Desperate Housewives d’avoir la côte. La série, de trois saisons, met en lumière le quotidien de cinq femmes aux foyers, leur amour, leurs chamailleries, leurs disputes, et bien d’autres aspects de leur vie. Plusieurs jeunes femmes et adolescentes en raffolent de cette série. Elles ne manquent d’ailleurs pas de se chamailler avec leur proche sur les personnages. Pour preuve. Nadia, une femme au foyer, se chamaille constamment avec sa fille Salwa, lui coupe la parole pour expliquer que Susan n’aime pas Michel, qu’elle veut juste se trouver un mari et que Gaby est une « femme en chaleur», qui trompe son époux et multiplie les aventures, tandis que « Prey » est une déséquilibrée, insensible et une mère démissionnaire… ou quelque chose du genre. "C’est parce que c’est loin de notre réalité qu’on regarde ces séries", philosophe Nadia. "On découvre toutes les lubies de ces milieux-là. C’est le rêve américain. On rêverait même d’avoir leurs problèmes, ajoute-t-elle. C’est presque devenu des membres de la famille ! Ma grand-mère les pleure quand ils meurent, on les engueule parfois, on les encourage.
Le Moyen-Orient à domicile
Précurseur en matière de séries arabes, l’Egypte avait, jadis, accroché la lumière. Il avait d’ailleurs écoulé, dans le monde arabe, sa culture, ses personnages, ses intrigues et sa langue, connu et bien parlé par les algériens qui affirment ne rater aucun feuilletons égyptiens. Aujourd’hui, c’est la Syrie qui a incontestablement détrôné l’Egypte avec ses feuilletons historiques, sociaux qui décortique la société dans le monde arabe et mettent souvent à nu les complexes, les mœurs, les traditions des pays arabe. En plus de cela, ces feuilletons, traitent, de l’avis de plusieurs téléspectateurs de réels problèmes sensibles, pour ne pas dire tabous, et font une analyse minutieuse de la société. "Rares sont les feuilletons algériens à aller aussi loin dans la dissection sociétale", explique un téléspectateur fou du Moyen-Orient. "Ça nous fait un cours d’histoire romancé, même s’il ne touche pas directement notre pays". Quant aux productions syriennes comme Al Kawassir, Al Jawarih et autre Al
Bawassil, feuilletons historiques diffusés pendant ramadan, le succès est aussi aux portes de l’étrange lucarne. Rinda, secrétaire, explique son engouement : "Al Kawassir me fascinait, parce que cette série se situait pendant Al Jahiliya, époque se situant avant l’arrivée de l’Islam longtemps délaissée". Le tout dans un arabe châtié, avec des personnages bien campés. Et d’ajouter que le public algérien a du goût, quoi qu’on en dise. Il suffit souvent du bouche-à-oreille pour que des familles entières se passionnent pour telle ou telle. «Il suffit juste d’offrir au téléspectateur des productions de qualité pour pouvoir capter son attention.
Force est de constater enfin que les effets de ces feuilletons forts appréciés, notamment ceux turcs, sur les tendances populaires n’ont pas tardé à se manifester. Pour preuve. La Turquie est d’ailleurs devenue la destination de rêve de beaucoup de familles et de couples qui rêvent de rencontrer les héros des feuilletons ou de visiter les lieux du tournage.
D. S.
Par : Dalila. Soltani