Sans aucun doute, l’obtention d’un permis de conduire est, de nos jours, une démarche des plus aisées en Algérie. Une démarche clandestine qui permet à de nombreux candidats l’acquisition de ce permis moyennant bakchich. Pratique extrêmement périlleuse, la vente des permis de conduire est, en ce sens, un commerce illicite très en vogue soutenue par une mafia qui ne recule devant rien.
A ce propos, le président de l’association des auto-écoles de Tizi Ouzou, M. Abderrahmane Babouche, dans une déclaration faite au quotidien national El Khabar, avait affirmé que 90 % des auto-écoles en Algérie délivrent le permis de conduire en contrepartie d’un pot-de-vin. Le vice-président, conscient de la gravité de son accusation, a assuré s’exprimer en connaissance de cause, incriminant clairement le silence des autorités jugées complices. Le responsable n’a pas manqué de tirer la sonnette d’alarme sur cette pratique mortelle.
M. Babouche avait également affirmé que 8 sur 10 candidats à l’obtention du permis de conduire, décrochaient leur permis moyennant un pot-de-vin versé au directeur de l’auto-école.
Permis acheté, accident garanti
Concrètement parlant, de nombreux jeunes candidats affirment recourir à l’achat du permis de conduire pour gagner du temps même si cette procédure leur est extrêmement funeste. Mounir, diplômé en informatique, a expliqué son recours à l’acquisition du permis de conduire de cette manière par son indisponibilité vu les contraintes de son boulot. «J’ai décroché mon permis de conduire contre la somme de 20000 DA. Je vais bientôt acheter une voiture par crédit et je compte sur mon ami intime pour apprendre la conduite», certifie-t-il. Et d’ajouter : «Je n’ai presque pas de temps libre pour prendre des cours de conduite dans une auto-école et l’acheter est l’unique alternative».
De son côté, Nouria, raconte qu’elle ne comprenait pas ce que voulait dire le propriétaire de l’auto-école par la formule permis «assuré».
Mais, après s’être renseignée auprès de ces collègues, on lui explique qu’en payant 12000 DA, son permis de conduire était garanti d’avance.
Réda, un jeune rencontré dans une autoécole à Aïn Nâadja; nous avait témoigné qu’il était venu repassé son permis de conduite.
Interrogé sur les raisons de sa décision, Réda, nous affirma que, la première fois, il avait acheté son permis moyennant bakchich versé au directeur de l’auto-école, mais qu’il désirait aujourd’hui le passer réellement.
La défaillance de
la formation dans
les auto-écoles
Un autre aspect aussi dangereux du problème. Il s’agit de la défaillance de la formation des candidats au permis de conduire. En effet, il est des autoécoles qui ne prennent même pas la peine de bien enseigner la conduite aux candidats et ce, sans aucun égard pour les risques mortels que ces derniers encourent. Peu de sénaces sont, en effet, dispensées aux candidats.
Manel, jeune fille âgée de 27 ans, nous a révélé qu’elle a obtenu son permis en 2005 et qu’elle a dû rester deux ans avant de conduire. «L’auto-école dans laquelle je prenais, j’ai pris uniquement quatre cours de conduite. Je ne savais même pas comment j’allais passer l’examen. Lors de l’épreuve, j’étais très angoissée, j’ai d’ailleurs calé à plusieurs reprises. Malgré cela, j’ai retrouvé mon nom sur la liste des lauréats, ce qui m’a étonné, mais aussi inquiété, car j’étais incapable de manier le volant.»
Manel affirme n’avoir commencé à conduite que récemment après avoir pris des cours de perfectionnement pendant plus de deux mois. «J’ai dû dépenser plus de 20000 DA pour ces cours car mon enseignant me trouvait nulle pour une personne qui a le permis. Je ne voulais surtout pas me mettre en danger de mort.»
Les auto-écoles qui ne fournissent pas le nombre suffisant de leçons aux candidats pour l’acquisition de leurs permis de conduire sont légion. Cela expliquerait en partie le nombre élevé des accidents de la circulation.
La mafia des permis de conduire, une des causes de la violence routière
«La route a emporté et emporte plus de victimes que les intempéries de Bab el Oued ou le tremblement de terre tragique de mai 2003. Elle est plus criminelle que les catastrophes naturelles». C’est avec ces termes que s’était exprimé M. Babouche, le président de la fédération des auto-écoles dans plusieurs déclarations accordées à des titres de la presse nationale. Parlant en connaissance de cause, le responsable avait imputé l’accroissement inquiétant du nombre des accidents de la route à la mauvaise formation des conducteurs lors de leur cycle d’apprentissage. Il continue, sur la même lancée, affirmant que les enquêtes, entamées en vue de découvrir les circonstances des accidents devraient remonter jusqu’à la période de l’obtention du permis.
Il est, en effet, des cas vivants qui illustrent les dires de M. Babouche. Kamel, la trentaine dépassée, avait failli trouver la mort lors d’un accident routier tragique. Il venait à peine d’obtenir son permis et se sentait submergé par une vague de bonheur à chaque fois où il se permettait de conduire la 206 de son père. Un jour, en faisant un tour du côté du littoral, le drame survint. «Il faisait nuit. La route rétrécie que j’empruntais et l’arrivée d’un grand camion-citerne qui venait dans ma direction m’ont vraiment déstabilisé. J’ai perdu le contrôle du véhicule et je ne me suis réveillé qu’à l’hôpital. Sain et sauf, certes, mais handicapé à jamais. On venait de m’amputer du pied». Des histoires analogues sont légion. Des personnes qui se sont retrouvées paralysées, amputées, handicapées, ou mortes à la suite d’une malheureuse tragédie routière nous renseignent sur l’ampleur d’un phénomène dont les dimensions sont inquiétantes à plus d’un titre. Mais, il semblerait que cela ne dissuade pas pour autant la mafia des permis de conduire de sévir en l’absence de sérieuses démarches adoptées par les autorités.
Que disent
les auto-écoles ?
Ami Ali, c’est ainsi que l’appellent les gens de la commune de Aïn Naâdja. Les listes de candidature au permis de conduire dans l’auto-école qu’il dirige affichent «complet». Les citoyens de cette commune, dont, majoritairement, des jeunes, optent rapidement pour un cycle de formation chez ce bonhomme connu pour son grand dévouement, son extrême conscience professionnelle et surtout son honnêteté. «Je n’ai jamais vu pareille personne dévouée pour son travail», confie Hasna, une candidate au permis de conduire. Qui donc, à part cet homme pouvait nous dresser un tableau de la situation qui prévaut au sein des auto-écoles ?
M. Ali. B, questionné sur le phénomène de la vente des permis de conduire contre des pots-de-vin, n’hésita pas de nous relater plusieurs anecdotes qui reflètent exactement la réalité. «Une fois, alors que je lui donnais des cours de créneau, une jeune fille m’a ouvertement proposé une importante somme d’argent contre l’achat de son permis. Ahuri, je n’en revenais pas. J’ai eu affaire à des hommes dont certains étaient pressés pour décrocher un boulot qui requiert, comme condition sine qua non, l’obtention du permis. Seulement, qu’une fille propose cela, sans aucune considération des dangers encourus, pour se vanter auprès de ses copines, est effrayant», confie-t-il.
Pour ce directeur d’auto-école loyal, il n’en est point question de vendre un permis. «La bonne formation des candidats est ma devise», ajoute-t-il. Enfin, pour conclure son intervention, notre interlocuteur nous a confié que «si les propriétaires d’auto-écoles cessaient d’être véreux, s’ils se montraient plus consciencieux et si les candidats se montraient plus conscients du péril risqué en acquérrant le permis de conduire de cette manière, nous ne serons pas aujourd’hui face au terrorisme routier», relève-t-il.
En effet, face au laxisme des autorités, à la fourberie des propriétaires de certaines auto-écoles et à l’inconscience des candidats au permis, les pouvoirs publics sont appelés à adopter de sérieuses mesures préventives et répressives. Dans ce sens, M. Ali. B, directeur d’une auto-école à Aïn Nâadja, insiste sur l’importance de la formation dans les auto-écoles, de la soumission des examinateurs à un contrôle régulier, de l’annulation des candidatures libres pour l’obtention du permis de conduire et également de réglementer l’octroi des agréments pour l’ouverture des auto-écoles. Aussi, faut-il le signaler, il est extrêmement urgent d’exiger des auto-écoles agréées d’assurer une formation entière aux candidats et à dispenser au moins 20 séances de conduite aux candidats. En guise de conclusion, il est évident que pour mettre fin à l’hécatombe routière, la chasse à la mafia du permis de conduire est une priorité absolue. D. S.