Selon une étude réalisée par le ministère de la Justice, pas moins de 50% des procès traités désormais devant la justice sont des conflits de voisinage. Ce chiffre inquiétant n’est-il pas révélateur de la nature des échanges sociaux qu’entretient l’Algérien avec ses congénères au sein de la communauté ?
«Je ne voulais pas la frapper. On est voisin depuis plus de 30 ans et jamais je n’ai pensé que la situation entre nos deux familles allait dégénérer ainsi. Ma femme m’a remonté contre elle. Elle ne cessait de se plaindre de cette femme qui cherchait à l’embêter à tout moment. Contrarié et incapable de contrôler ma colère, j’ai frappé ma voisine. Son mari a failli me tuer et me voilà aujourd’hui, traîné devant la justice à cause de mon inconscience. J’ai fini par sacrifier une relation de 30 ans à cause de chamailleries de femmes», témoigne Saïd, un homme âgé de 50 ans rencontré au tribunal d’Hussein Dey.
Aujourd’hui, de l’avis de nombre d’hommes de loi, la majorité des procès traités devant la justice sont liés aux conflits de voisinage. Les tribunaux sont devenus, de ce fait, le théâtre des problèmes de voisinage qui requièrent l’intervention des juges. Cette réalité vient d’être révélée par une étude réalisée par le ministère de la Justice qui nous apprend que pas moins de 50% des procès traités désormais devant la justice sont des conflits de voisinage. Ce chiffre inquiétant n’est-il pas révélateur de la nature des échanges sociaux qu’entretient l’Algérien avec ses congénères au sein de la communauté ?
Aujourd’hui, selon de nombreux observateurs de la société algérienne, sous le poids de la crise du logement, le citoyen algérien ne caresse qu’un seul espoir : trouver un petit gîte qui le protège contre l’insécurité et l’instabilité. Dans ce contexte, le quartier, et encore moins le voisinage, semble être le dernier de ses soucis. Seulement, la vie en communauté voudrait que les uns prennent contact avec les autres pour vivre ensemble dans l’harmonie et la compréhension. Malheureusement, dans notre pays, le voisinage est en train de devenir une source de sévères accrochages pouvant déboucher quelquefois sur de sérieux drames.
Preuve en est, l’histoire de ces deux voisins qui vivait ensemble depuis plus de 15 ans dans un quartier populaire à Bachdjarah. Leur existence était paisible jusqu’au jour où un différend anodin survint. Leurs enfants se sont sévèrement disputés. Les mamans incapables de gérer le différend ont attendu le retour des papas du boulot pour résoudre le conflit. Mais, au lieu d’agir avec habileté, les deux femmes ont rajouté de l’huile sur le feu. La dispute entre les deux voisins dégénéra et le plus jeune asséna deux coups de couteau à son aîné.
De l’avis de Mme Ibouchoukane, avocate auprès de la cour d’Alger, les affaires liées aux conflits de voisinage sont de plus en plus fréquentes. A ce propos, elle souligne que «souvent il s’agit de coup et de blessures volontaires et même d’homicide pour des causes souvent futiles».
L’avocate fait aussi état de la fréquence des plaintes déposées entre voisins pour divers motifs, soulignant que les agressions physiques entre voisins sont aussi monnaie courante dans nos villes.
A cet égard, un récent bilan dressé par le ministère de la Justice portant sur la fréquence des procès liés aux altercations entre voisins a recensé près de 236 affaires d’insultes et d’homicide volontaire traitées devant le conseil de justice du tribunal d’Alger durant ces trois mois derniers de l’année en cours. Ainsi, les conflits entre voisins qui débouchent souvent sur de vrais drames représentent plus de 60% des délits commis depuis le début de cette année. Par ailleurs, l’on signale que l’intervention des services de sécurité est sollicitée dans la majorité des cas pour éviter la dégénérescence des bagarres.
Sur ce volet, Mme Ibouchoukane a certifié que «la plupart des querelles entre voisins, soumises à la justice ont pour principal motif le déclin des valeurs morales de l’Algérien qui n’hésite plus à rentrer en conflit avec les autres pour des raisons insignifiantes». Sur un autre chapitre, s’exprimant sur les causes essentielles des litiges entre voisins, elle énumère les différends liés au parking, les disputes entre femmes suscitées par la jalousie et qui parviennent souvent aux hommes et les querelles liées aux enfants.
Par ailleurs, notre interlocutrice souligne que «près de la moitié des conflits entre les voisins est alimentée par l’exiguïté des demeures, les appartements grouillants et les limites de propriété». Elle précise, à cet effet, «qu’une divergence d’un demi-mètre de superficie est susceptible de conduire de nombreuses familles dans le long et éreintant chemin des tribunaux».
Concernant les procès liés aux querelles entre voisins qui débouchent sur des insultes, coups et blessures volontaires, Mme Ibouchoukane affirme que «près de 5 à 7 procès sont quotidiennement soumis à la justice».
S’exprimant, par ailleurs, sur la pénalisation des faits d’agressions physiques sur des voisins, l’avocate certifie que «toute agression physique engendrant des blessures volontaires ou induisant une période d’invalidité de plus de 15 jours confirmée par le médecin légiste entraîne une peine qui varie entre le versement d’une amende et deux ans de prison avec sursis».
Notons, enfin, que les faits divers relatifs à des problèmes de voisinage rapportés régulièrement par la presse nationale témoignent, à eux seuls, de la gravité de la situation et mesurent l’ampleur d’un phénomène de société aux dimensions alarmantes. Alors qu’autrefois le voisin dans notre société était synonyme de frère, de confident et de compagnon, l’on est bien tenté de se demander si aujourd’hui il n’est pas en train de devenir un ennemi juré ? La question mérite une véritable réflexion…
Par : d. soltani