Alors qu’autrefois le marché de la friperie rendait d’énormes services aux petites bourses, c’est aux émigrés que profite aujourd’hui ce commerce lucratif. Quotidiennement, des centaines de personnes fréquentent les étals de ce marché, rendant la circulation difficile dans les rues où se trouvent les magasins de renom.
Ainsi, les magasins de la rue Hassiba Ben Bouali et ceux de Boumati sont aujourd’hui la destination de rêve de nombreux immigrés qui viennent faire les emplettes à Alger avant de rentrer en France. Malgré le niveau socioéconomique plus ou moins élevé de ces derniers, ils représentent, selon les propos de nombre de propriétaires d’échoppes de friperie, une clientèle de marque, notamment en période estivale.
Pourquoi les immigrés viennent-ils aujourd’hui concurrencer les familles de petites bourses ? A quoi leur servent les articles achetés de la fripe ? Dépensent-ils les mêmes prix que les autres clients ? Sur quels critères ces derniers font-ils le trie des articles achetés de la fripe ?
La fripe en cadeaux
A leur arrivée au bled, les immigrés, résidant en France ou ailleurs, sont souvent emmenés à apporter des cadeaux pour leurs proches. Ainsi, dès leur retour, les yeux de toutes la famille, enfant et adultes, sont rivées sur leurs valises dans l’espoir de trouver dedans quelques beaux présents.
Bien entendu, ce n’est pas toujours le cas, vu le coût exorbitant des objets vendu en France. Mais, comment se débrouillent ces derniers afin de ne pas passer pour des radins aux yeux des leurs ? Les immigrés viennent de trouver une astuce très subtile qui permet d’acheter des vêtements beaux et importés, mais qui ne sont pas aussi neufs que les proches le croient. Il s’agit des articles vendus sur le marché des vêtements de seconde main.
A ce propos, M. Rabah, propriétaire d’un magasin de fripe à la rue Hassiba Ben Bouali, dit recevoir quotidiennement, depuis le début de la saison estivale, des familles immigrés qui dès leur arrivée, n’hésitent pas à venir faire les courses indispensables pour acheter des articles intéressants. «Ces derniers représentent des clients fidèles de ces lieux depuis des années déjà au point de connaître jusqu’à leurs goûts et tendances», atteste M. Rabah.
En été, c’est confirmé. Les immigrés trouvent, en ces lieux, une occasion à ne pas rater. « Nos meilleurs clients, sont ceux qui viennent de France. Ils achètent beaucoup de choses. Parfois, ils nous ramènent aussi de vieux vêtements qu’ils nous revendent. Pour eux, les prix sont intéressants et ils font des affaires», révèle un marchand. Et d’ajouter : «Certains avant même de se rendre chez leurs proches font un tour ici. Ils font des achats d’habits. Ils les font passer par la suite au dégraissage pour avoir des habits presque neufs qu’ils vont... offrir à la famille du bled !» Une «astuce » à laquelle semblent recourir certains émigrés pour éviter les fortes dépenses en France et les excédents de bagages.
Dans un magasin de fripe à Alger, une famille émigrée qui venait de rentrer de France pour passer ses vacances à Alger, s’apprêtait à faire des courses. Le père, la mère qui s’occupaient de choisir des vêtements ont oublié la petite fillette de 13 ans qui s’était précipitée, à pas rapides, vers un coin où des vieux joués étaient entassés. Les parents, occupée à faire des emplettes, ignorent-ils le risque qu’encore la petite de contracter de graves maladies de peau en serrant entre ses bras des joués de provenance inconnue ?
Les clients permanents du marché de la fripe
Mais le marché de la friperie a aussi ses clients habituels qui viennent faire leurs achats tout au long de l’année, et particulièrement lors de certaines occasions, comme l’Aïd ou encore la rentrée scolaire. Le marché de la friperie rend d’énormes services aux petites bourses. « Je viens ici pour acheter des habits d’hiver, il vaut mieux faire ses prévisions dès maintenant. C’est moins cher et on trouve des occasions à ne pas rater. J’ai six enfants et une paie très modeste. Je ne peux pas me permettre d’acheter du neuf », nous confie un père de famille rencontré sur les lieux. Le marché de la friperie semble attirer même les personnes «aisée». «On reçoit toutes les catégories de personnes et on fait des affaires. Le marché de la friperie a connu une nette évolution depuis quelques années et le chiffre d’affaires est très intéressant», avoue un autre commerçant.
Les magasins les plus réputés dans le commerce de la fripe se trouvent à la rue Hassiba. Ces derniers, autrefois la destination favorite des pauvres, incapables de se permettre des vêtements neufs vu le coût exorbitant des articles et l’érosion du pouvoir d’achat, sont concurrencés par les vacanciers qui viennent de France ou d’ailleurs pour rendre visite aux leurs.
Même les riches…
Aujourd’hui, selon les déclarations de M. Sid- Ahmed propriétaire d’une boutique de fripe à Boumaeti, les immigrés représentent une clientèle de marque qui fréquente ces échoppes depuis des années. Il souligne, à cet effet, que cette année les magasins de friperie enregistrent une affluence massive des immigrés. Il connaît aujourd’hui même les goûts de ces clients et leur gardent les articles de marques. Il souligne que « les mêmes prix des objets sont gardés et n’oublient pas de noter que certains clients généreux lui donne un pourboire important.
Au cours de la tournée qui nous a conduit aux magasins de Boumaeti et puis ceux de Hassiba Ben Bouali, notre attention fut attirée par le flux important d’immigrés qui se précipitaient en direction des boutiques de fripe. Vêtements, chaussures, jouets pour enfants, lingeries sont autant d’articles que ces derniers Sont incapables de se permettre en France vu leur coût exorbitant.
Pour Lina, une jeune immigrée âgée de 30 ans, venue de France, l’été est l’occasion propice pour l’achat d’articles intéressants à un prix abordable. Pour cette jeune femme, acheter des vêtements sur le marché de seconde main n’a rien de honteux. «On trouve dans les boutiques de friperie des articles très intéressants, je dirais même de marques, à des prix accessibles, alors pourquoi s’en privé ? Personnellement, je suis arrivée en juin et depuis, j’ai visité toutes les boutiques de Hassiba et je suis tombée sur des articles très chics, presque neufs qui ne nécessitent qu’un petit tour au dégraissage pour leur donner un coup de neufs.», déclare Lina qui assure que «ses amis et proches résidants en France font la même chose à cause de la cherté des prix en étranger.»
Ahmed, Sid-Ahmed et autres propriétaires de magasins parlent de leur clientèle de luxe. Il s’agit des riches qui connaissent les dates de l’arrivée des vêtements. Les propriétaires contactent cette clientèle au jour de l’arrivage afin de «leur permettre de choisir avant que les clients de seconde classe n’arrivent», réplique Sid-Ahmed. Pour ce jeune propriétaire, les riches monopolisent les vêtements de marques mondiales qui entrent sur le marché de la fripe. Ils jouissent même, selon Sid Ahmed, d’un traitement particulier vu leur rang social.
Maintenant, c’est au tour des immigrés qui trouvent sur le marché de la friperie l’échappatoire aux prix flamboyant de l’étranger. Ils sont en train de prendre la part du lion du marché des objets de seconde main. Maintenant, pour les petites bourses
Substitut au marché
européen
Au cours de notre conversation avec le propriétaire de l’un des magasins à la rue Hassiba, une famille immigrée a attiré notre attention. Il s’agissait d’un couple résident à la ville de Lyon depuis 10 ans, accompagnés de leur deux gosses, une adolescente âgée de 15 ans et un gosse âgé de 10 ans. Le propriétaire a reconnu en le couple des clients aisés et s’est précipité afin de répondre à leurs exigences, ô combien difficiles ! La mère cherchait des vêtements de marque, type Zara, et le propriétaire affirmait en avoir tous les articles de haut de gamme. Après avoir fait le tour de la boutique, le couple a fini, en effet, à offrir des articles intéressants. A notre question sur les raisons qui les conduisait à recourir aux achats effectués sur le marché algérien, particulièrement celui du «chiffon», Lynda, la mère, affirme que le coût exorbitant des articles sur le marché français, les oblige à se tourner vers le marché des objets de seconde main. «Ici, à Alger, une somme de 15.000 DA nous permet d’acheter des articles très chouette. Chaque été, on fait les emplettes à Alger et on rentre satisfait chez nous. Dans les boutiques de fripe, on retrouve notre compte. Des vêtements de marque qui ne nécessitent qu’un tour chez le dégraissage», confie Lynda. La jeune femme continue en affirmant que «les articles achetés de la fripe peuvent aisément être offerts en cadeau de retour en France, vu leur qualité».
Apparemment, le marché de la fripe qui répondait autrefois aux besoins des petites bourses est aujourd’hui, la destination prisée des immigrés. Ainsi, après l’invasion des riches des boutiques de «chiffons», destinées aux pauvres, voilà au tour des immigrés d’investir ces lieux. Au marché de la fripe, tout le monde est servi ?