Aujourd’hui, le phénomène des mères célibataires prend de plus en plus d’ampleur dans notre société connue pour son rigorisme, son conservatisme et son intolérance affichée à l’égard des femmes. Pour preuve, les chiffres récemment communiqués par un organisme indépendant dénombrent près de 7.000 naissances hors mariage annuellement en Algérie.
Un chiffre nettement en décalage avec les statistiques officielles rendues publique par le Ministère de la solidarité nationale. Pourquoi un tel décalage ? Les chiffres sont-ils vraiment révélateurs de la vraie ampleur de la situation, particulièrement quand ils portent sur un sujet tabou et épineux ?
Un taux d’illégitimité élevé
Ainsi, de récentes études portant sur les comportements sociodémographiques de la population algérienne font état d’un taux assez élevé de naissances illégitime annuellement. En effet, les chiffres du ministère de la solidarité ont recensé sur la période allant de 2000 à 2005 près de 15.000 naissances hors mariages soit 3.000 naissance par an. Cependant, les chiffres récents d’une étude indépendante viennent confirmer le déphasage entre les chiffres officiels et la réalité puisque cette étude révèle près de 7000 naissances illégitimes annuellement. Un tel déphasage est attribué, selon nombre de professionnels, au tabou qui entoure le sujet des mères célibataires ainsi que des naissances hors mariage. A ce propos, l’on apprend que les chiffres sont encore en nette décalage avec la réalité, car de nombreuses fille-mères gardent le silence sur leur grossesse afin de se protéger du scandale.
Sur un autre chapitre, les chiffres officiels annoncent que sur le nombre élevé de naissances illégitimes près de 9.000 enfants ont été pris en charge dans le cadre de la Kafala alors que les autres enfants abandonnés appelés aussi « cas sociaux » sont accueilli dans des structures étatiques.
Les drames du rejet social
Le silence qui enveloppe le sujet des mères célibataires et le tabou qui entoure les naissances illégitimes donnent malheureusement naissance à d’autres maux sociaux qui ne sont que les conséquences du rejet social.
En effet, les services de la Gendarmerie nationale ainsi que les éléments de la sûreté font constamment état des cas d’infanticides commis le plus souvent par une mère aveuglée par la peur et terrifiée par le scandale de la découverte de son délit. Aucun chiffre portant sur la fréquence de ces cas n’est encore communiqué, mais les éléments de l’ordre n’hésitent pas à signaler l’augmentation de ces cas.
En plus du drame des mères célibataires rejetées par la société, l’accroissement du taux des naissances illégitimes, aux infanticides, se trouve l’avortement. Aujourd’hui phénomène social dont les proportions sont de plus en plus inquiétantes, l’avortement est considéré comme l’unique alternative de secours pour celles qui découvrent la grossesse avant 180 jours. Ainsi, l’Algérie, à l’instar des autres pays du monde, enregistre un taux assez élevé et ce, selon les chiffres avancés par les services de la Gendarmerie nationale qui signalent près de 80.000 avortements durant les dix dernières années soit une moyenne de 8.000 avortements par an. L’Algérie compte, en outre, près de 200 à 300 avortements illégaux (IVG clandestine) par an.
Mères célibataire, l’urgence d’une loi
Questionnée sur le statut de la mère célibataire en Algérie et sur ses droits, Mme Maaskri Nouria avocate auprès de la cours d’Alger n’a pas hésité à évoquer l’absence de lois qui protègent la mère célibataire ou lui accordent un quelconque droit. «Aucune loi n’évoque le statut de la mère célibataire ni dans le code de la famille et encore moins dans la constitution. Cela est dû entre autre à la honte qui entoure le tabou ainsi que l’application de la Charia qui ne donne aucun droit aux enfants nés sous x, ni aux mères filles.
Concernant la reconnaissance paternelle par l’accomplissement du test d’ADN, notre interlocutrice, s’appuyant sur l’article 40 du code de la famille, ajoute que: « le test d’ADN n’est appliqué que dans l’unique cas ou le couple marié voudrait confirmer la paternité de l’enfant. Le cas échéant, c’est-à-dire en l’absence de contrat de mariage ou de Fatiha et en se référant à la charia, la maman n’a aucun droit pour emmener le père illégitime à reconnaître le gosse.»
Les mères célibataires, selon notre interlocutrice, continuent à être stigmatisées par la société, leur enfants, nés sous x, n’ont aucun droit et parfois même pas de noms et ceci à cause de l’injustice qui apparaît déjà clairement dans le code de la famille qui institutionnalise une sous citoyenneté des femmes. « Traiter radicalement ce fait sociétal passe d’abord par l’initiation de large campagnes de sensibilisation visant à faire dissiper les préjugés sur ces victimes, à instaurer une communication familiale notamment, à appeler à une éducation sexuelle et inciter à une révision du code de la famille dans lequel des lois clairs qui protègent la mère fille ainsi que son enfant doivent être adoptées », poursuit Mme M.N
Et le « mâle » dans tout cela ?
Lorsque en 2006 un député s’est adressé au ministre de l’emploi et de la solidarité nationale en attaquant les mères célibataires et en appelant à leur flagellation en guise de punition du délit de l’entretien des relations sexuelles hors-mariage, faisant preuve d’un radicalisme religieux, l’élu du peuple a omis de citer la part du géniteur, car scientifiquement parlant et jusqu’à preuve du contraire, la conception d’un bébé est l’œuvre de deux acteurs, l’homme et la femme. Cependant, dans notre société tous les regards sont tournés vers la femme alors qu’à aucun moment l’homme, autant responsable, n’est cité. Pourquoi cette injustice flagrante ?
Le même député, qui disait parler au nom de la charia semble oublier que l’islam préconise la même punition pour le même délit quelque soit le sexe de l’auteur. Qu’est ce qui explique alors cet arbitraire outrancier ? N’est ce pas là une preuve de machisme déclaré ?
Ne faut-il pas au lieu de juger si sévèrement une mère célibataire, l’aider à affronter sa condition en la protégeant contre l’injustice sociale ? Et puis, n’est-il pas indispensable de rediscuter le statut de l’homme, responsable à son tour ?
Abandonner son enfant, une issue terrible
L’abandon de l’enfant n’est point une décision facile à prendre dans le cas d’une mère célibataire, mais dans une grande partie de cas cette perspective s’impose à la mère même si au départ elle s’entête à vouloir garder son rejeton. En effet, être seule et avoir à sa charge un enfant issue d’une relation clandestine est intolérable au sein de notre contexte, ce qui rend la vie difficile à la mère. Si dans certains cas, des mères célibataires ont pu regagner la demeure familiale après avoir accouché, leur réinsertion s’est faite au prix de l’abandon du bébé, témoin d’un grave délit.
Le cas de Souad, une jeune fille originaire d’Alger, âgée de 22 ans en est illustrateur. Cette jeune personne qui, après avoir découvert tardivement sa grossesse, a dû se livrer à sa mère qui a mis au courant le frère. D’un tempérament calme et raisonnable, le frangin faisant preuve de maturité face à la dure réalité se renseigna sur les centres pour mères célibataires afin de placer sa sœur et éviter le scandale. L’abandon du bébé était une condition sine qua non au retour à la maison. Peu de temps après, l’enfant fut adopté et la maman mariée à un homme qui ignorait tout de son passé.
Mlle F. Salmi, sociologue, affirme que la perspective de l’abandon de l’enfant, douloureuse épreuve pour la mère et frustrante étape pour le bébé, est souvent l’unique échappatoire, car il est impossible pour une femme seule de lutter contre un contexte social répressif qui lui ôte tout droit en une existence digne. Reconnue coupable, elle ne peut que se plier à la volonté des siens. «Nous, dans notre tâche d’accompagnement social, déclare la sociologue, préférons que la mère fasse le bon choix et étant donné toute les difficultés que peut rencontrer une mère fille, nous préférons assurer une vie décente au gosse au sein d’une famille d’accueil puisque la majorité des enfants finissent par être adoptés. La femme se libère ainsi d’une lourde charge. Seulement, il faut dire qu’il existe des cas où la maman est parvenue à récupérer son gosse, le faire reconnaître par le père ou dans quelques cas, quitter le domicile familial et prendre seule la responsabilité de son bébé. Nous intervenons toujours selon le contexte et la spécificité de chaque cas, mais notre objectif est de respecter et l’intérêt de la mère et celui du gosse.»
Le refuge dans les centres d’accueils
Le centre « Darna » est l’un des rarissimes centres d’hébergement de filles mères en Algérie. Ce centre de prise en charge de femmes victimes de violence et du code de la famille apporte une aide sociale, psychologique et juridique aux victimes.
Mme F. Salmi sociologue chargée des fonctions d’assistantes sociales et d’écoute au niveau du centre Darna, estime que le sujet des mères célibataires n’est pas nouveau au sein de notre société, mais son ampleur est dû à la culture du silence qui régit les rapports sociaux ainsi qu’à la défaillance de la communication au niveau de la cellule familiale. Le changement qui s’est opéré au niveau de la société, la libération des mœurs, la précocité des rapports sexuels, le manque criant d’éducation sexuelle, sont entre autres des facteurs qui favorisent la propagation de ce fait social face auquel il est urgent de réagir par l’adoption de solutions efficaces, comme l’instauration d’une loi qui protège la maman et son rejeton. La famille, aujourd’hui démissionnaire, est appelée à remplir son rôle dans l’accompagnement de sa progéniture et d’entretenir un terrain de communication susceptible de protéger les enfants de tous les dangers.»
Les mères célibataires continuent à être stigmatisées et condamnées dans notre société, leurs enfants nés sous x sont encore moins à l’abri. Face à un problème sociétal pareil n’est-il pas urgent de réfléchir à l’adoption de lois pour la protection de cette frange marginalisée. Aussi n’est-il par urgent de lutter contre les nombreux maux sociaux et de rompre cette culture de silence qui empêche toute forme d’évolution de la société algérienne ? la question mérite réflexion.
Par : d. soltani