La toxicomanie est un phénomène sociétal qu’on évoque souvent ces dernières années suite à son explosion alarmante. Ce fait vient s’ajouter à une liste déjà remplie de maux sociaux qui gangrènent l’Algérie, reflétant la fragilité et l’instabilité d’une société au sein de laquelle la population meurtrie par un amalgame de facteurs pressants cherche vainement l’évasion dans des comportements périlleux et fatidiques.
Immigration clandestine, suicide, dépression, pathologies psychiatriques, alcoolisme, délinquance et toxicomanie sont certes des attitudes hasardeuses qui mènent toutes vers la fin la plus tragique, mais elles restent pour nombre de jeunes, victimes d’un passé sombre, aux prises avec un présent compromis et un futur incertain, des faux-fuyants.
Si certains jeunes fuient vers d’autres cieux en quête de stabilité et de vie décente, d’autres s’évadent dans la folie ou la dépression, alors que quelques-uns, victimes d’une déprime sévère, se verront attenter à leurs jours laissant derrière eux un monde chargé de contraintes et de malheur.
Il subsiste une catégorie qui, elle, choisie de recourir à l’usage des stupéfiants, substance, médicamenteuse ou non, dont l’action sédative, analgésique, narcotique ou euphorisante provoque, à la longue, une accoutumance et une pharmacodépendance, dans le but de fuir les problèmes de la vraie vie vers un monde illusoire.
Comment devient-on toxicomane ? Qui sont ces personnes qui tombent dans le piège de la toxicomanie ? Quels sont les facteurs qui les poussent à la déchéance ? Combien sont-ils à vouloir rompre le lien avec un vécu accablant pour glisser dans un univers euphorique proposé par la substance mortelle ? Comment aide-t-on ses jeunes à sortir de l’enfer dans lequel la drogue les emprisonne ? Qu’est-ce qui se fait concrètement pour favoriser l’insertion sociale de cette frange de la société ? Où se situe le rôle de l’éducation et de la sensibilisation sur les dangers d’un tel fléau social ? Tant de questions auxquelles nous sommes appelés à fournir des réponses tangibles afin d’analyser un phénomène qui terrasse la jeune population.
Multiples sont les causes qui poussent une personne droit vers le péril de la drogue, mais le trait commun à tous les facteurs précipitants est qu’ils rendent le vécu de la personne insoutenable au point de l’emmener à prendre des risques majeurs en tombant dans les gouffres de la toxicomanie.
Déchirement familial imputable
«On ne choisit pas de devenir toxicomane, on y est poussé», telle est la phrase par laquelle a commencé Mohamed son long témoignage, poignant et révélateur à la fois, sur l’histoire de sa déchéance. «Comment me suis-je retrouvé aux prises avec la toxicomanie ? Une question qui me plonge illico dans un passé sombre que je tente aujourd’hui d’enterrer. La réponse est bien simple : la drogue, pour moi, a été l’échappatoire qui m’a permis de voir la vie en rose lorsque celle-ci était d’une noirceur inqualifiable. J’avais 13 ans, quand mes parents ont divorcé. Nous vivions dans un deux pièces exigu, dans des conditions déplorables. Mon père alcoolique et violent s’acharnait contre nous constamment, ma mère n’échappait pas non plus à son sadisme destructeur. La terreur meublait nos nuits, l’insécurité enveloppait notre existence. Un jour, me réveillant au milieu de la nuit, j’ai surpris une scène dont le souvenir me choque et me répugne jusqu’à présent. Ma mère à moitié nue, tentait d’étouffer sa douleur, alors que mon père la violait brutalement. Cette scène m’a rebuté, j’ai haï mon père que je ne respectais plus. J’aurais voulu le tuer si ce n’est le peu de raison qui me restait. J’ai quitté la maison après cet incident tragique. Je ne pouvais plus regarder ma mère droit dans les yeux. J’avais ras-le-bol d’une existence malheureuse. Tout ce que je voulais était m’évader de cet univers. J’ai quitté l’école, commencé par accomplir de petits boulots pour gagner ma vie. La rue était devenue mon domicile fixe, certes moins accueillant, mais oh que vaste. J’ai commencé à me faire des copains qui égayaient mon existence de sans domicile fixe. C’est avec mes potes que j’ai connu le plaisir du premier joint fumé en groupe et la sensation merveilleuse d’extase que cela m’avait procuré. Grâce à la drogue, je me suis inventé un monde à moi où plus rien ne comptait, où douleur, frustrations et peine n’avaient plus de place. Je me croyais sauver, alors que je sombrais davantage dans un abîme sans fin. La drogue est devenue comme l’air que je respire. Des joints, je me suis mis aux injections et aux cachets hallucinants. Au bout de deux années, j’étais devenue l’ombre de moi-même. Un cadavre mouvant, un mort-vivant qui s’accrochait fragilement à la vie. Je savais ma mort certaine si je ne sortais pas du cercle vicieux dans lequel la toxicomanie m’a internée. Je fus aidé, à l’époque par un cœur généreux qui m’orienta vers le centre de désintoxication de Bab El Oued ou j’ai reçu les soins nécessaires. Je peux dire que grâce à la cure de désintoxication et l’accompagnement psychologique j’ai pu renaître de mes cendres. Mon psychologue traitant ne cessait de me répéter que c’est grâce à ma volonté que j’ai survécue à la drogue. Finalement, mes problèmes familiaux m’ont poussé vers la dérive, mais des âmes charitables m’ont sauvé de justesse. Enfin, je suis un homme libre.»
Victime de la décennie noire
Le déchirement familial, le divorce, la démission des parents, la violence parentale, sont autant de facteurs incriminables dans la toxicomanie, mais d’autres peuvent y être impliqués et ce, en fonction de la spécificité du cas de tout un chacun. Ainsi, Halim, jeune garçon, originaire de Bentalha, âgé de 23 ans affirme avoir entamé sa descente en enfer en 1998, suite à la situation sécuritaire instable que vivait le pays. «Je vivais dans une zone assez chaude à l’époque du terrorisme où nous frôlions la mort au quotidien. Nous étions terrifiés et les carnages perpétuels que l’on vivait incessamment nous rappelaient une seule réalité, celle de notre future extermination. Personne n’était à l’abri. Personnellement, j’ai perdu plusieurs amis, voisins et copains. Nous avions écho de nouvelles atroces sur les mutineries commises par des barbus acharnées. Jamais de ma vie, je ne me suis sentie faible, vulnérable et terrorisé. Je ne sortais pas de la journée et la nuit, je restais dans le noir, avec tous les hommes, armé de fusils de chasse et de couteaux. Cette peur, il fallait la calmer et c’est en prenant des psychotropes que je réussissais à la surpasser. Aujourd’hui, ce souvenir est loin. Il m’arrive, de temps à autres, de fumer un joint ou de snifer, mais occasionnellement et rien que lorsque ma vision est embrouillée par les problèmes insoutenables.»
Psychotropes et évasion
Chômage, crise de logement, perte de perspective, malvie, pauvreté et d’autres maux sociaux, ne sont-ils pas imputable dans la situation critique que vit actuellement la population algérienne ? D’aucuns ne sera capable d’attenter à ses jours, d’adopter des comportements nuisibles qui mettent en péril son intégrité physique et psychologique s’il n’est pas poussé à bout par une réalité trop encombrante. Les toxicomanes, tout comme les harragas, les dépressifs, les délinquants ou les suicidaires vivent un mal être profond qui leur pèse lourd.
«Je ne me souviens plus comment suis-je devenue un toxicomane. A ma sortie de la fac, je voyais toutes les portes se refermer devant moi. Je ne parvenais pas à trouver un travail et pis, mes parents semblaient ne pas supporter mon chômage. L’état de pression que je vivais me pesait lourd. Le pire est que ma fiancée a décidé de rompre car je ne pouvais rien lui offrir et elle ne voulait pas enterrer sa jeunesse en m’attendant. Entre ma déception amoureuse, mes problèmes familiaux, mon chômage, j’étais perdu. Oublier mon malheureux sort et mon chagrin, c’est tout ce qui me tenait à cœur. La drogue était la solution magique qui me faisait glisser dans une dimension nouvelle, différente et magique. Alors que je rêvais, à ma sortie de l’université, d’une existence paisible, je me retrouve toxicomane. Drôle de sort dans un pays comme le notre où l’on ne cesse de parler de projets pour les jeunes, alors qu’on fait tout pour bousiller leur avenir», révèle Lotfi, un jeune homme âgé de 27 ans.
Fuir sa peur, fuir son vécu, échapper à ses problèmes, dresser une barrière entre soi et entre une existence pénible, chercher le réconfort dans une substance magique aux effets fabuleux, plonger dans un monde illusoire temporaire, telles sont les motifs qui poussent les jeunes à succomber à la tentation de la toxicomanie.
Soins, prévention
et la sensibilisation
La lutte contre la toxicomanie est un travail de longue haleine qui nécessité l’implication des autorités publiques et de la société civile. Il est à relever, en matière de soins accordés aux toxicomanes, le manque flagrant des structures d’accueil et de désintoxication ayant pour rôle l’accompagnement médical, psychologique et social des toxicomanes. «Les structures disponibles en Algérie sont au nombre de trois : un centre de désintoxication de Frentz Fanon à Blida, un centre de soins à Oran et un service de soins et de prise en charge de toxicomanie à l’Hôpital de Bab El-Oued. La prise en charge pluridisciplinaire est indispensable en matière de toxicomanie, car la drogue agit sur le plan physique, psychologique et social. Ceci dit, les étapes de traitement commence par la désintoxication, vient ensuite la prise en charge psychologique qui aide à comprendre la nature des facteurs qui ont poussé la personne vers la drogue et son type de fonctionnement psychologique. L’insertion sociale doit aussi être une dimension non négligeable, car la plupart des toxicomanes vouent une haine implacable non seulement à la vie, à eux-mêmes, mais aussi à la société, considérée comme la source de tous leurs tourments», atteste Mme F. Saliha, psychologue clinicienne.
L’adoption d’une politique nationale de lutte contre la toxicomanie, la sensibilisation aux ravages de la drogue, l’insertion sociale des victimes de ce mal, l’amélioration des conditions de vie de la population, sont des mesures indispensables dans la lutte contre la toxicomanie. Des campagnes de sensibilisation sur les dangers de la drogue doivent être des initiatives salutaires pour permettre à la société civile de connaître les suites terribles de ce fléau sociétal effrayant. Aussi, le renforcement des structures d’accueil, des centres de désintoxication ainsi que la formation du personnel médical emmené à accompagner les toxicomanes semble une urgence afin d’endiguer le fléau.
Par : d. soltani