Amour Dahbia, de son nom d‘artiste Samira N‘Kolea, est née le 12 décembre 1946 au village de Tifra (Béjaïa). Elle a choisi d‘écrire pour dissiper le noir total qui l‘entoure depuis toujours. En effet, Samira —il faut désormais l‘appeler ainsi, c‘est son vœux— est non voyante. De fait, dès l‘âge de quatre ans, elle a mis son univers dans l‘écuelle de la poésie, afin de falsifier les fibres noiraudes qui l‘assaillent de tous les côtés. Attention, elle ne geint pas. Elle ne pleure pas. Elle ne s‘accable pas. Et n‘accable pas son destin. La vie est ainsi faite. Il y a des voyants, yeux écarquillés qui ne voient pas plus loin que le bout de leur nez, alors que Samira, elle, voyage dans son Etre, sans haine, sans titre de voyage, sans fuite en avant et sans ressentiment aucun, envers quiconque.
Auteure d‘un recueil «Tudert s tmedyazt» ( Edition HCA/2OO9) ou «La vie en poésie», Samira a particulièrement la fibre poétique totalement exacerbée. Elle qui n‘a que la plume, allais-je dire. Non, mille fois non. Samira n‘utilise point le stylo ou autre accessoire. Ni le braille. Elle utilise, tout simplement, son cerveau, sa sensibilité de poétesse et sa prodigieuse mémoire. Elle est en mesure de réciter, avec le ton qu‘il faut, élocution en adéquation avec les méandres du vers, des poèmes entiers. La mémoire est faillible, dit-on. Chez Samira, la mémoire remplace la vue qu‘elle n‘a plus.
Il est vrai qu‘une auteure comme Amour Dehbia peut mettre une vie en poésie, car elle considère que la versification est un dictame pour l‘âme. Elle qui reconnaît qu‘au-delà de la cécité, une certaine colère, dite doucement, a fait qu‘elle tisse ses jours obscurs dans la trame du vers. «Ce qui m‘a fait écrire, dit-elle, est le résultat d‘une colère interne.» Un peu à la manière du regretté Youcef Hedjaz, le poète de Bounouh, non voyant lui-aussi, Samira réussit à transcender cet état physique.
Parfois, Samira se fait amère. Elle regrette de ne plus pouvoir voir la lumière du jour. Elle le dit avec beaucoup de retenue, comme si elle avait peur de déranger autrui. Elle regrette de ne plus voir tracer le sens du beau avec l‘aide de ses mains. Elle file ainsi ses jours —ses nuits, c‘est selon—, ouvre les portes obscures de sa cécité, voit avec le cœur, sent et prospecte avec ses oreilles, écrit avec ses neurones et amasse des centaines de poèmes qui ne demandent qu‘à quitter la sphère orale pour prospérer dans l‘écrit. «Je te languis, ô lumière de mes yeux (…) Je te languis, ô écriture de mes mains», écrit-elle dans une solitude assumée.
Samira dédie toute sa mélancolie à sa poésie, considérée comme l‘esquif, le viatique, le compagnon, le confident, le journal intime et cette canne blanche qu‘elle n‘utilise jamais. Pourquoi faire ? Elle a mieux que cela : une poésie sous forme de vie. Laissons conclure cette grande dame : «Quiconque affronte la poésie/Ne trouvera point de repos/Muet à plein temps/En colère intérieurement/La peine qu‘il endure/L‘autorise à l‘exil».
Par : I. I.