"R’fis bel’foul", ce mets typique de Grarem-Gouga est à base de fèves bien particulières, alors que dans les autres régions du pays, ce plat de fèves le plus largement consommé reste le fameux "maleh ou b’nin" (traduire "salé et
succulent"), une préparation toute simple de fèves cuites à l’eau que l’on prend presque autant de plaisir à manger qu’à décortiquer.
Grarem-Gouga, la plus importante des agglomérations éparpillées dans le voisinage du barrage géant de Béni Haroun, est surtout connue des usagers de la RN 27 (Constantine-Jijel) pour ses innombrables grills, alignés les uns à côté des autres, proposant de savoureuses brochettes. En contrebas de cette localité de la wilaya de Mila, au lieudit Hammam Beni Haroun, invariablement enveloppé dans la fumée des braseros, les automobilistes de passage sont presque obligés d’y observer une halte, tant les effluves de viande grillée sont irrésistibles. Beaucoup moins nombreux sont, toutefois, ceux qui ont eu l’occasion de déguster la spécialité printanière réservée aux seuls intimes par les habitants de la région de Grarem, dont le nom est lié à jamais au chahid Amar Gouga. Il s’agit du "R’fis bel’foul", un mets dont les diabétiques et les obèses n’ont pas à se méfier outre mesure car, ici, le mot R’fis, la célèbre pâtisserie traditionnelle, ne désigne que la technique de préparation par pétrissage. Ce mets typique de Grarem-Gouga est à base de fèves bien particulières, alors que dans les autres régions du pays, précise-t-il, le plat de fèves le plus largement consommé reste le fameux "maleh ou b’nin" (traduire "salé et succulent"), une préparation toute simple de fèves cuites à l’eau que l’on prend presque autant de plaisir à manger qu’à décortiquer.
Une "chakhchoukha" bien particulière
Pour concocter un R’fis bel’foul, explique Hadja Zoulikha, 65 ans, il faut d’abord préparer une bonne chakhchoukha puis l’émietter avant qu’elle ne refroidisse et la faire cuire à la vapeur.
La chakhchoukha est ensuite placée dans une gassaâ (grand plat en bois) où elle sera copieusement beurrée et pétrie promptement à des fèves cuites à la vapeur. La préparation est ensuite présentée fraîche dans des assiettes, accompagnée le plus souvent de petit-lait ou de lait caillé (raïb). Il n’existe pas de journée particulière pour déguster ce plat que l’on peut prendre à tout moment pour peu que l’on trouve des fèves bien fraîches, soutient Azzeddine qui souligne que les fèves à petits grains cultivées à Grarem-Gouga ont un goût "à part", peut-être, se mouille-t-il, "à cause de l’absence de fertilisants ou autres produits chimiques".
C’est précisément ce goût inimitable qui fait que quiconque, y compris et peut-être surtout les enfants, savoure cette spécialité pour la première fois "tiendra absolument à s’offrir de nouveau ce petit plaisir". Hadja Zoulikha indique également qu’aujourd’hui, les mamans conservent toujours dans le congélateur des quantités de fèves fraîches pour préparer la part du R’fis bel’foul de leurs enfants absents pour tel ou tel motif.
Fonctionnaire dans une des daïras de la région, Hocine F. souligne que chaque ménage de Grarem-Gouga, ou presque, entretient un potager dans les cours arrières des maisons. Y sont plantés arbres fruitiers et divers légumes, à leur tête les incontournables fèves. Lorsqu’il est de saison, ce légume est visible en énormes tas le long de la route Jijel-Constantine, où il est proposé (avant marchandage) pour le prix modique de 15 dinars le kg. Signe des temps et du progrès, le R’fis bel’foul s’est même frayé un chemin vers la toile du web où il constitue un sujet de discussion sur les forums dédiés à la cuisine sur Internet.
L’on peut y découvrir, notamment, que ce mets qualifié de "très, très populaire" se prépare parfois non pas au beurre de ferme mais avec l’huile d’olive ou encore, qu’au lieu de le consommer avec du lait caillé, il serait préférable de l’imbiber complément dans du raïb.
Les Chinois, déjà, il y a 2.800 ans !
Les fèves comptent parmi les plus importantes plantes potagères dont la culture peut être irriguée soit par un apport d’eau, soit par la seule pluie. Ses pays d’origine seraient l’Asie occidentale et l’Afrique du Nord. Les Chinois l’auraient connu 2.800 ans avant notre ère. La vicia fava (nom scientifique de la fève) peut être consommée verte avant maturité ou sèche après maturité complète. Un jeune Graremi de 26 ans, Habib Belhacène, étudiant en médecine à l’Université de Constantine, autoproclamé nutritionniste, y va allègrement de son cours : "Entières ou décortiquées, les fèves ont une riche teneur en protéines (18% de leur poids) et en amidon (48%). Elles contiennent aussi des fibres végétales, des sels minéraux et une assez faible quantité de glucose (2%). Cette composition en ferait un aliment légumineux complet si ce n’étaient les proportions infimes d’acides aminés qui s’y trouvent." Selon lui, un plat de fèves équivaudrait à 300 grammes de viande.
C’est la viande des pauvres, dit-il. D’autres avancent que la consommation de fèves serait également indiquée pour atténuer certaines formes de tensions nerveuses.
Scène de vie ordinaire dans ces contrées
Lorsque Zoulikha fait ramener un plateau de cuivre où elle dépose une grande assiette de R’fis bel’foul, les petits sourires et les yeux exorbités de plaisir de ses quatre enfants trahissent, à tous les coups et mieux que tout autre discours, la place qu’occupe ce plat, au printemps, dans les cœurs des habitants de Grarem-Gouga.
APS