Tamoukint, Awejev, Tiwizi sont parmi les rituels et traditions qui, jadis, rythmaient la vie des villages en Kabylie selon un mode que nul n’avait le droit de transgresser au risque de se faire rappeler à l’ordre verbalement ou par le paiement d’une amende fixée par Tadjmaat ou par les sages.
En cette période estivale, les villageois, comme il est de coutume, se préparaient à accueillir avec grande joie la saison des figues fraiches, un fruit principal de la région au côtés des olives, et autres raisins et grenades. Evoquer ’’lekhrif’’ ce n’est nullement parler de la saison de l’automne, mais tout simplement de ce fruit très prisé dans toute la région pour sa saveur et aussi ses qualités nutritives.
Le figuier est au côté de l’olivier l’arbre que tout Kabyle s’empresse de planter dans ses champs. L’inauguration de la cueillette de ce fruit répondait, il n’y a de cela très longtemps, à un rituel que seuls les vieux peuvent en témoigner. Avant le lancement officiel de la cueillette au niveau d’un village, personne n’avait le droit de toucher au fruit sans le mot d’ordre de Tadjmaat, nous racontait un des membres de cette assemblée du village.
Cet interdit est dit Thamoukint – lire l’attache — durant laquelle le fruit mûrit en abondance avant que l’interdiction ne soit solennellement levée par un mot d’ordre des sages pour que tout le monde ait accès à ses champs de figues avec toutes ses variétés. La communauté villageoise veille aussi à donner à ceux qui n’en ont pas, pour que tous goutent à ce fruit tant attendu, nous a expliqué un autre sage en soulignant que c’est généralement les proches qui se chargent de ’’servir’’ leurs dépourvus.
C’est un mode de vie que tout un chacun se doit de respecter pour éviter de s’exposer à des amendes. Mais tout le monde respecte l’interdit et il est très rare qu’il soit transgressé car, expliquent les anciens, ce fruit est consommé à satiété et durant toute sa saison. Il n’était jamais vendu. Les plus renseignés disent que l’interdit a été instauré pour éviter à ceux qui n’ont pas de figuiers, même s’ils sont rares, de ne pas gouter à ce fruit comme tous les autres. C’est aussi la vie en communauté qui l’impose.
Outre Tamoukint, les sages du village évoquent le rituel du Awejeb qui est constaté autrefois au sein des villages lors du coup d’envoi de la saison des semailles généralement de l’orge sur les terres de la Kabylie connues comme étant ’’non propices’’ pour les autres céréales comme le blé dur. Le lancement de la campagne est ainsi laissé au niveau de chaque village toujours pour la même famille dont la paire de bœufs est connue pour ’’avoir de la chance’’ et comme ’’porte bonheur’’ pour soit-disant assurer une bonne récolte.
De la pure superstition. Mais qui a fait son chemin et tout le monde faisait avec. C’est en présence d’une foule nombreuse que le chef de cette famille fait sortir ses bœufs en direction de ces champs pour les premiers sillons. Il est accompagné de sa femme qui a, à l’occasion, laissé ses cheveux au gré du vent. Dans ses bras un couffin plein de semences couvertes de figues sèches et d’une grenade ouverte. Une fois sur place et avant le tracer du premier sillon, les figues et la grenade sont distribuées pour les présents, notamment des enfants qui avaient suivi le couple. Au menu de son déjêuner figurent de la galette d’orge, des figues sèches, de l’huile d’olive, et une grenade comme fruit. A la fin de la journée, cette famille se charge d’offrir aux fidèles après la prière du Maghreb un couscous d’orge garni de viande sèche et de fèves sèches aussi.
Ainsi et au tour de rôle, les villageois qui labourent leurs champs avec leurs bœufs sont obligés d’offrir le couscous en fin de journée. Ceux qui n’ont pas de bœufs se font aider dans leur besogne par les autres à titre bénévole ou Tiwizi.
Un autre geste très répandu en Kabylie où les uns viennent en aide aux autres lorsqu’il s’agit de grands et durs travaux comme le moissonnage, la récolte des olives, et autres activités de construction. Si de nos jours la Thiouizi est encore de mise, les autres rituels ne sont que des souvenirs que se plaisent de raconter les vieux aux plus jeunes qui, étonnés, se forcent tous d’imaginer un tel mode de vie de leurs… aïeux.