L’eau de rose ou maa z’har, cet ingrédient indispensable dans la gastronomie algéroise, est distillée de façon artisanale par des familles blidéennes qui se transmettent cet "art" de mère en fille, attendu que c’est une activité, en général, réservée aux femmes.
Blida, ou la ville des Roses, traîne dans son sillage l’enivrante senteur de cette reine incontestée des fleurs.
Des générations de familles blidéennes ont ainsi hérité de métiers traditionnels, dont la plus connue reste la distillation de l’eau de rose et des essences floristiques (Maa z’har). La Mitidja, plaine bénie des dieux et malmenée par l’homme, est classée troisième plaine fertile à l’échelle mondiale, faut-il le rappeler, l’un des habitants de cette plaine nous explique concernant le métier de la distillation de l’eau de roses : "Il est tout a fait naturel que naissent en pareil endroit des vocations pour les fleurs et les plantes, mais hélas, ce métier périclite avec la disparition des derniers distillateurs, à l’image de Kheira Kerdjadj". La distillation de l’eau de rose s’étend sur toute la période de cueillette, allant de la mi-avril à la première quinzaine de mai. Selon une technique simple en apparence, cette eau florale provient de l’eau de condensation qui est récupérée de l’essencier de l’alambic, une sorte de vase de décantation en cuivre. La partie inférieure de l’alambic est soumise à une chaleur produisant de la vapeur qui va traverser les roses placées dans l’autre partie de l’alambic, laquelle vapeur condensée sera récupérée dans un récipient et se transformera en eau de rose.
Une vie vouée aux fleurs
Kheira, blidéenne de souche, très "au parfum" lorsqu’elle parle de cette activité pour avoir passé toute sa vie parmi les fleurs, précise que l’alambic en question est mis sur le feu pendant au moins quatre heures, temps nécessaire à la vaporisation de l’eau et à sa condensation en vue de sa transformation en gouttelettes d’eau odorantes.
Un litre d’eau de rose ou de fleurs distillées, selon ce procédé, coûte autour de quatre cents dinars, selon les estimations. Des huiles essentielles de fleurs peuvent être également obtenues par ce même procédé dit de distillation ou d’hydro distillation, mais en quantités bien plus infimes par rapport à l’eau de rose. Selon notre interlocutrice, l’opération de distillation doit se faire obligatoirement dans des récipients inoxydables, pour ne pas altérer la couleur des matières premières (les huiles essentielles).
La rose dans la gastronomie algérienne
D’un point de vue nutritionnel, la rose est très riche en vitamine C, une qualité qui lui assure une place de choix dans la cuisine algérienne en général et la cuisine blidéeene en particulier, et l’eau de rose entre, comme ingrédient de base, dans la composition de nombre de gâteaux et autres friandises auxquels elle donne un goût suave au parfum incomparable. Ses vertus médicinales sont également avérées en matière de traitement des migraines, étant utilisée comme calmant lorsqu’elle est associée à une boisson chaude (lait ou thé). Elle entre également dans la composition de plusieurs médicaments stimulants et tonifiants eu égard à sa teneur en vitamines et en sels minéraux, alors que de nombreuses familles l’utilisent pour assaisonner les mets.
Réinstaurer le festival des fleurs dans la Mitidja
L’eau de rose est, par ailleurs, la dernière senteur que la mariée emportera avec elle en quittant le cocon familial pour rejoindre le domicile conjugal, selon une vieille tradition blidéenne qui veut que la mariée soit aspergée de cette eau au moment des grands adieux. Selon les initiés, la rose est le genre floral le plus utilisé dans la distillation, en raison de leur profusion à Blida. Viennent ensuite, le jasmin dans ses deux variétés blanche et jaune, le giroflier, le narcisse, la et bien d’autres. On se souvient même que les colons français organisaient, chaque début du mois de mai à Blida Place de la liberté, un festival des fleurs doublé d’un concours du meilleur véhicule fleuri. L’eau de rose a également une place de choix en cosmétologie, où elle entre dans la composition de plusieurs crèmes, parfums et autres produits de beauté, mais son rôle tend à décliner avec la disparition progressive des derniers tenants de ses secrets de fabrication, selon une dame qui déplore la raréfaction de ce produit de beauté naturel. Néanmoins, les efforts des pouvoirs publics pour la réhabilitation de certaines manifestations, à l’exemple des Floralies de Blida, organisées annuellement tout le long du boulevard Laichi Abdellah de Blida, sont un signe que tout n’est pas encore perdu pour ce métier ancestral, né dans cette ville fondée au XVIe siècle par un homme au goût raffiné, amoureux des fleurs et des jardins, le Saint patron Sidi Ahmed Al Kebir. Pour sa pérennité, cette spécialité(distillation de l’eau de rose) propre à la ville de Blida gagnerait beaucoup à être introduite dans le cursus de la Formation professionnelle, selon le vœu des Blidéens, du moins ceux d’entre eux qui célèbrent activement, en ce moment, le Mois du patrimoine.
APS