Le Midi Libre - entretien - L’incroyable agression (1re partie)
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Rupture
L’incroyable agression (1re partie)
12 Septembre 2012

Salima était en train de laver la vaisselle du repas de la rupture du jeûne lorsqu’elle entendit se briser des assiettes et des bouteilles. C’était la sonnerie qu’elle avait fait installer sur son téléphone et qui avait toujours fait sursauter sa mère qui venait de retentir.

Salima (24 ans) avait toujours été facétieuse. C’est une sonnerie qu’elle avait choisie parce que sa mère lui recommandait toujours de faire attention et de ne rien casser en lavant la vaisselle. Une recommandation qui ne la concernait qu’elle alors qu’elle n’avait jamais rien cassé. Ce n’était pas le cas de ses deux sœurs qui cassaient pratiquement toujours quelque chose chaque fois que venait leur tour de corvée de vaisselle. C’était injuste. Mais comme elle ne voulait pas le dire à sa mère, elle eut l’idée de cette sonnerie. Au début, sa mère, chaque fois qu’elle l’entendait se levait en criant : «Ya yemma dari rabet» ( oh ! ma mère, ma maison s’est écroulée). Mais par la suite, elle n’y faisait plus attention. Même quand elle entendait le fracas vrai de quelque assiette s’écrasant au sol, elle s’imaginait que c’était encore Salima qui s’amusait avec son téléphone dont elle modifiait la sonnerie pour la rendre moins effrayante.
Salima, en plus était très jolie et tout le monde lui prédisait un avenir des plus radieux. Tous les jeunes hommes normalement constitués se retournaient sur son passage. Et celui qui venait de lui téléphoner était peut-être justement celui qui s’était retourné le plus sur son passage… Elle s’en était aperçue parce qu’elle aussi elle s’était retournée sur le sien. 
Wahab. Un fils de Aïn Benian comme elle. Ils se connaissaient depuis six mois. Durant tout ce temps-là, ils avaient parlé de tout. Y compris de l’éventualité d’avoir un destin commun à travers le mariage. En principe, lui et ses parents viendraient demander sa main une ou deux semaines après l’Aid….
Après s’être essuyée les mains, Salima prit son portable pour répondre à l’appel. C’était finalement Zahia, sa meilleure amie, qui l’avait appelée.
- Saha f’tourek, Zahia.. Tu ne peux pas me rappeler un peu plus tard ? Je t’ai dit que ce soir c’était mon tour de vaisselle…
- Oui, je sais Salima mais ce que j’ai à te dire est si urgent que je ne peux pas attendre… Je voulais t’appeler l’après-midi mais je n’ai pas osé… parce que c’est le Ramadhan et en plus il y avait la canicule… je n’aime pas annoncer de mauvaises nouvelles dans ces conditions.
- Tu as une mauvaise nouvelle à m’annoncer, Zahia ? s’exclama Salima en déposant précautionneusement la marmite en terre cuite sur le potager.
- Oui… ne me dis pas qu’il est arrivé quelque chose à Wahab…
- Euh… la mauvaise nouvelle concerne Wahab effectivement mais lui il ne lui est rien arrivé…
- Mais pourquoi me fais-tu languir, Zahia ? Vas directement au but…
- Très bien… Wahab et ses parents ont demandé la main d’une fille… Tu connais Hadjira, la fille qui a un grain de beauté à la place du nez ?
- Oui, je la connais….Nous étions au lycée ensemble….Mais tu es sûre de ce que tu avances ? Ce n’est pas une fille pour Wahab, ça.
-  Ça, c’est toi qui le dis…Ses parents sont riches . La richesse fait oublier tous les défauts…
-  Tu  dis n’importe quoi, Zahia.
-  Kh’sara aalik !  Tu crois que je me serais permise de te déranger en pleine corvée de vaisselle si je n’étais pas certaine de cette information ?
-  Ah ! bon ? … je vais appeler Wahab….
-  D’accord Salima ; mais fais attention. Ne le brusque pas. Ce sont peut-être ses parents qui l’ont obligé à demander la main de cette fille.
- Bon, on verra…
Salima ferma le petit filet d’eau du robinet et appela une de ses deux sœurs pour poursuivre le travail qu’elle avait commencé. Puis, elle s’enferma dans une chambre et téléphona à Wahab. Celui-ci répondit  dès la première sonnerie.
- Alors, Wahab ? Qu’est-ce qui se passe ? Il faut toujours que ce soit moi qui te téléphone ?
- Oui, je sais …c’est à cause de la chaleur... cette année, il fait si chaud que je n’ai plus envie de rien. Je passe mes journées sous le climatiseur du salon.
- Hum…je comprends…On se voit demain ?
-Oh ! Salima…J’ai vu tout à l’heure la météo…il fera presque 40°  demain… et on ne pourra même pas boire un verre d’eau.
-Quand je te dis demain, ce n’est pas forcément dans la journée…on peut se voir en soirée…
- Ah ! oui, là, d’accord.
En raccrochant, Salima se demanda à quoi était en train de jouer Zahia. Wahab n’avait pas changé du tout à son égard ! Il avait toujours été ainsi : se plaignant de la chaleur, de la pluie… S’il avait vraiment demandé la main de Hadjira qui avait un grain de beauté à la place du nez, il n’aurait pas accepté qu’ils se voient le lendemain.
Le lendemain, vers 21h30, les deux jeunes gens étaient en train de se promener non loin de la plage connue sous le nom de la Madrague. A un moment donné, le jeune homme indiqua du doigt un  camion frigorifique en stationnement et  lança à Salima : « On y va ?»
La jeune fille suivit le regard du jeune homme et comprit. Entre le mur et le camion, il y avait suffisamment d’espace pour abriter deux amoureux, loin des regards des passants. Elle se dit qu’il voulait l’embrasser et elle lui sourit tout en prenant l’initiative de se diriger la première vers l’endroit. Mais à sa grande surprise, elle vit Wahab sortir de sa poche un couteau et le lui poser sur  sa gorge.
-          Hé ! Qu’est-ce qui te prend, Wahab ? Tu es fou ?
-          Ecoute-moi, bien, toi ! Si tu cries, je te tranche la gorge…si tu refuses ce que je vais te demander je te tranche la gorge aussi.
Salima pensait avoir affaire à un amoureux qui n’arrivait plus à se maîtriser et elle lui répondit en minaudant :
-Je suis à toi, Wahab…je t’appartiens…tout ce que j’ai t’appartient…Prends tout ce que tu veux, fais de moi ce que tu veux…mais fais vite, nous sommes dans la rue…des passants qui n’ont pas leurs yeux dans la poche pourraient nous voir.
-Oui, je vois que tu as compris. Alors donne-moi vite ta chaîne et ton bracelet en or ainsi que ton téléphone portable.
Salima en l’entendant pouffa de rire.
-Mais tu es plus cinglé que moi, Wahab…
Elle reçut alors une gifle qui lui fit voir les étoiles.
-Donne-moi, ce que je t’ai demandé…Vite.
Assommée, ne sachant plus quoi faire, elle obéit. Elle lui donna ce qu’il lui avait demandé et il s’en alla en courant.  Salima sortit de derrière le camion et elle le suivit du regard. Elle s’était dit qu’il finirait par se retourner et revenir sur ses pas pour éclater de rire et lui dire : «Je t’ai eue, hein ?», mais il ne revint pas. Pendant un bon moment, Salima demeura immobile au milieu du trottoir et des rires des passants sortis pour profiter un peu de la fraîcheur marine.
Elle voulait rentrer à la maison mais elle était si abasourdie par ce qui venait de se passer qu’elle en avait oublié le chemin… Elle finit par se mettre à marcher en direction du village ( c’est ainsi que les habitants de Ain Bénian appellent leur ville) en se disant que quelque chose ne tournait pas rond dans la tête de Wahab.  Mais quoi ?
( à suivre…)

Par : kamel Aziouali

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