Le Midi Libre - entretien - La passion, cette prison (2e partie et fin)
Logo midi libre
Edition du 21 Novembre 2024



Le Mi-Dit

Caricature Sidou


Archives Archives

Contactez-nous Contacts




Projet d’avenir
La passion, cette prison (2e partie et fin)
7 Juin 2012

Résumé : Youcef, un jeune étudiant sur le point de finir ses études universitaires, et Souhila sont pressés de se marier. Le jeune homme semble avoir trouvé le moyen de s’enrichir très rapidement.

Une semaine plus tard, alors que Souhila commençait à s’impatienter et à se dire que son destin elle devait le chercher avec quelqu’un d’autre, son téléphone portable retentit. Avant de répondre, elle regarda le numéro qui venait de s’afficher et elle émit un soupir de soulagement. C’était Youcef, son amoureux, qui venait de l’appeler.
- Ah ! Tu as bien fait de m’avoir appelée… parce que je commençais à me dire que mes parents avaient raison et que tu es vraiment un…
Elle se tut in extremis parce qu’elle réalisa que ses propos risquaient de le blesser.
- Oui, vas-y, continue, Souhila… Qu’est ce que je suis vraiment, d’après ce que disent tes parents ?
- Non…non…rien… Alors, tu as réglé le problème qui nous bloque tous ?
- Oui, mais dis-moi d’abord ce que je suis vraiment d’après tes parents.
- Euh…je…je…ils disent qu’avec ton diplôme tu mérites beaucoup mieux qu’une jeune fille dont le niveau d’instruction s’arrête à la terminale.
- Tu ne veux pas me blesser, hein, Souhila ? Et je t’en remercie… mais je sais ce que ton père pense de moi : il pense que je suis un incapable. Un vaurien ! Et que… je ne vaux pas plus qu’un oignon pourri…
- Oh ! Youcef….Tu…je….
- Arrête avec ton «tu …je». Je comprends ton père… Il a une jolie fille et il ne veut pas prendre de risque en la donnant à un incapable. Je le comprends et à sa place je me comporterais comme lui. Ecoute, je vais te raconter quelque chose… Tu connais les Toubous ?
- Les tout …quoi ?
- Les Toubous sont une ethnie qui vit au Tchad. Il y a quelques jours, j’ai lu sur Internet un article au sujet de leurs coutumes bizarroïdes. Chez eux, lorsqu’un jeune homme va demander la main d’une fille, on ne la lui refuse jamais. Si le père de la fille a quelque appréhension sur la capacité du jeune homme à faire face à la satisfaction des besoins de sa fille, il lui demande de voler une vache, un bœuf, une chèvre, un mouton, sans se faire attraper !
- Mais ils sont fous ces Toubous ! s’écria Souhila.
- Oui, vu de la place du 1er-Mai où tu te trouves en ce moment, cet acte est pure folie. Mais pour le père de la jeune fille du Tchad, il a une tout autre signification : si son gendre réussit à voler un bœuf sans se faire attraper cela veut dire que sa fille n’aura  jamais faim avec lui parce que c’est un grand débrouillard.
- Ah ! je comprends… mais pourquoi me racontes-tu tout cela, Youcef ?
-  Euh… je… je ne sais pas…
-  Bon, très bien… Il y a du nouveau ? Tu as trouvé la lampe d’Aladin ?
- Je n’ai pas trouvé la lampe d’Aladin… mais j’ai eu une idée que je crois être lumineuse… Dis, on peut se voir tout à l’heure ? Il est 10h…
- Oui, dans une heure et demie ? 
Les deux jeunes gens convinrent d’un lieu et s’y retrouvèrent. Comme il était presque midi, Youcef décida d’inviter sa bien-aimée dans un restaurant.
- Mais auparavant, je vais acheter du pain…
Souhila fronça les sourcils :
- Tu vas acheter du pain ? Il n’y en a pas dans le restaurant où tu as l’intention de m’emmener ?
- Si… mais j’ai envie d’acheter du pain… Viens avec moi, j’ai repéré une boulangerie tout près d’ici…
La jeune fille de 22 ans accompagna son futur mari et le vit commander six baguettes de pain et tendre un billet de 1.000 DA au boulanger.
Ce n’est qu’une fois sortis de la boulangerie qu’elle exprima de nouveau son étonnement :
- Tu manges six pains au déjeuner ?
En guise de réponse, Youcef éclata de rire, puis lui dit :
- Tu sais, quand tu es étonnée, tu es encore plus belle… C’est pourquoi j’ai décidé de t’étonner encore.
Il regarda autour de lui et vit une vieille mendiante assise par terre. Il s’approcha d’elle et lui demanda :
- A défaut d’argent, tu prends du pain, ya yemma ?
- Oh ! Oui, mon fils…
Il lui donna alors les six pains puis lui demanda :
- Tu veux des fruits, ya yemma ?
- Oh ! Mon fils, je ne dirai pas non…
- Attends-moi alors, je reviens…
Se tournant vers Souhila, il lui dit :
-  Suis-moi, j’ai aperçu, tout à l’heure avant que tu n’arrives, derrière cette ruelle là bas, un marchand ambulant de pommes et de bananes. J’espère qu’il est toujours là.
Et c’est avec des yeux exorbités par l’étonnement que Souhila vit son bien-aimé acheter deux kilos de pommes et autant de bananes qu’il paya aussi avec un billet de 1.000 DA.
Une fois les fruits remis à la vieille mendiante, elle le prit par le bras :
- Il faut que tu m’expliques ce que signifie tout ce cinéma, Youcef.
- Ce cinéma que tu viens de voir signifie que toi et moi, cet été nous nous marierons et nous habiterons dans un appartement que nous aurons loué et meublé avec notre argent. Et dans une année, cet appartement sera à nous parce que nous aurons eu les moyens de l’acheter.
- Comment ?
- Tu n’as pas compris ?
- Comment veux-tu que je comprenne alors que tu ne m’as rien dit ?
- Mais je t’ai montré ?
- Que m’as-tu montré ?
- Le cinéma que tu as vu. L’achat du pain, l’achat des fruits…
- Je… je… je crois que tu commences à perdre la tête, Youcef…
- Attends, allons dans un endroit où il n’y a pas de monde… Ainsi je pourrai tout t’expliquer sans que personne ne nous entende… Tu viens ?
Et c’est ainsi que Souhila apprit que les deux billets de 1.000 DA que Youcef avaient donnés au boulanger et au marchand de fruits ambulant étaient des… faux.
En entendant cela, elle voulut crier mais il lui plaqua ses deux mains contre sa bouche.
- Tais-toi idiote !
- Mais c’est interdit par la loi, fit remarquer à voix basse Souhila.
- Je sais et il est permis par la loi que deux jeunes qui s’aiment n’aient pas les moyens de se marier ?
Après un long silence, Youcef poursuivit :
- Personne ne s’apercevra que ces billets sont faux à condition de les donner toujours à quelqu’un qui n’aura pas le temps de bien les regarder comme ce boulanger et ce marchand de fruit ambulant entourés par des gens qui veulent tous être servis avant les autres avant que la marchandise ne soit épuisée. Il ne faut pas donner ces billets au restaurant où nous allons nous rendre parce que le caissier a tout le temps de les examiner…
Souhila sourit :
- En revanche on peut le donner au receveur d’un bus plein à craquer…
- Oui ! s’écria Youcef. Et il faut descendre dès qu’il t’aura rendu la monnaie !
- C’est génial Youcef… mais dangereux…
- Très dangereux, Souhila. Mais si personne ne s’en aperçoit, en une année on peut acheter notre maison et notre voiture.
-  Je crois que je vais tenter un coup…il t’en reste des billets ?
-  Oui, j’en ai 40 sur moi… mais après le déjeuner.
-  D’accord, Youcef
 Trois heures plus tard, Souhila entra dans une supérette se trouvant sur les hauteurs d’Alger, acheta des tablettes de chocolat et tendit au caissier un des faux billets. La malheureuse ne pouvait pas savoir que ce caissier avait déjà été payé avec un faux billet quelques jours plus tôt. C’est pour cela que dès que la jeune fille lui eut tendu le billet, il le palpa et le mit à part dans la caisse enregistreuse. Et dès qu’elle eut rejoint Youcef, il courut après elle en compagnie de deux agents de sécurité qui les maîtrisèrent tous les deux. La police arriva, on les fouilla et on trouva sur Youcef une liasse de faux billets.
Ces faits remontent au mois d’octobre de l’année 2011.
 Il y a un peu plus d’une semaine, les deux jeunes gens se sont retrouvés au box des accusés de la Cour d’Alger.
20 ans de prison ont été requis contre Youcef et 6 mois contre Souhila.

Par : K.A

L'édition du jour
en PDF
Le Journal en PDF
Archives PDF

El Djadel en PDF
El-Djadel en PDF

Copyright © 2007 Midilibre. All rights reserved.Archives
Conception et réalisation Alstel