Le Midi Libre - entretien - Un prétendant aux intentions surprenantes
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Un prétendant aux intentions surprenantes
10 Mai 2012

Résumé : Nora (29 ans) est abordée par un jeune homme à la gare routière de Tizi Ouzou. Il l’invite à déjeuner et en profite pour lui avouer qu’elle était celle qu’il voulait épouser. Un peu méfiante au début, Nora se laisse gagner par une passion aveugle et commence à se conduire de manière irrationnelle. Elle tombe amoureuse et oublie toute prudence.

Le surlendemain, Nora enfila sa plus belle robe pour ce qu’elle considérait comme un des plus grands jours de sa vie. Elle se coiffa et se farda légèrement pour atténuer la pâleur qui avait enrobé ses traits en raison d’une indéfinissable inquiétude qui l’avait submergée. Sa mère, ayant vu tous les soins qu’elle avait pris pour se faire belle, la regarda avec suspicion.
- Tu es certaine que c’est chez ta sœur que tu te rends ?
- Oh! Maman... Que vas-tu chercher là? Bien sûr que c’est chez ma sœur que je vais. Je me suis faite un peu belle parce que les membres de la famille du mari de Sabrina et de ses proches continuent de venir avec des cadeaux pour les féliciter. Tu veux que j’aie l’air d’une mendiante devant eux?
- Non, je ne veux pas que tu aies l’air d’une mendiante devant eux. Tu as raison... Il faut faire honneur à ta sœur. Fais-toi belle ma fille...fais-toi belle...
Dès que Nora fut sortie de la maison, elle sentit un douloureux pincement au cœur. D’abord parce qu’elle avait menti à sa mère. Ensuite parce qu’elle était sur le point de commettre un impair des plus répréhensibles envers les coutumes ancestrales. Elle allait entrer dans le domicile de sa belle-famille avant même que celle-ci ne demande sa main! Si jamais son père l’apprenait, il serait capable de la tuer. Elle le savait mais en même temps une force contre laquelle elle ne pouvait rien la poussait à aller jusqu’au bout de sa décision comme si sa vie en dépendait désormais. Comme si son bonheur devait passer irrémédiablement par une transgression salutaire des valeurs qui avaient de tout temps régi la vie de ses parents et de toute la société. Ce que sa mère ne savait pas non plus c’est qu’elle avait pris avec elle une partie des bijoux qu’elle avait achetés pour constituer son trousseau de mariage. Des bijoux qu’elle n’arborait en fin de compte, en l’absence de projet de mariage, qu’à l’occasion des fêtes familiales.
Quand elle arriva à proximité de la gare routière où l’attendait Sofiane, il était 10h du matin. C’est alors qu’elle réalisa qu’elle avait parcouru près d’un kilomètre et demi sans savoir où elle avait posé les pieds. Comme si elle était dans un état second ou sous l’emprise d’un envoûtement maléfique.
Elle trouva le jeune homme en train de téléphoner. Dès qu’il l’eut vue arriver, il lui sourit, lui ouvrit la portière tout en continuant de parler d’une voix grave et inquiète :
«C’est sûr, hein ? Il n’y a vraiment pas un moyen de passer ? D’accord, merci…merci, tu as vraiment bien fait de m’avoir appelé… au revoir ».
Dès qu’il coupa la communication, il se tourna vers elle et lui dit :
- Ah ! Nora… le programme est complètement modifié : nous n’allons pas voir ma mère. Un ami vient de me téléphoner pour m’annoncer que des jeunes gens ont barré la route principale menant à Boumerdès avec des troncs d’arbres et des pneus en feu.
- Il n’y a pas d’autres routes ?
- Si. Il y a d’autres routes…mais selon l’ami qui vient de m’appeler, elles sont déjà bouchées par un immense embouteillage. Sans compter que des gens se préparent à les barrer à leur tour.
- Que faire alors ?
- Comme cela risque de durer toute la journée, le mieux que nous ayons à faire est de reporter l’entrevue avec ma mère à demain ou après-demain. Quand ce mouvement de protestation aura pris fin. Tu vas retourner chez toi ?
- Non…Je vais chez ma sœur à Draa Ben Khedda… Tu te rends compte….Je vais chez ma sœur pour faire la boniche et j’ai pris dans mon sac presque 50 millions de centimes en bijoux.
- Oh ! 50 millions de bijoux dans ton sac à main ? Mais c’est de la folie !
- Je voulais les mettre pour faire bonne impression devant ta mère… Les bijoux embellissent un peu…
- Oui… c’est vrai… Bon… Tu n’es pas fâchée contre moi, j’espère, à cause de ce report ?
- Non, non, pas du tout. Un peu contrariée, c’est vrai, mais pas fâchée… Une belle voiture comme la tienne qui passe au milieu d’énergumènes surexcités, ça peut être dangereux. Ils peuvent s’acharner contre elle à coups de pierres.
- Voilà ! Tu m’as compris, Nora ! Et j’en suis très content… je t’emmène chez ta sœur, mais auparavant, je dois acheter une bouteille d’eau minérale…Ce matin, j’ai pris quelque chose qui est en train de me donner soif… Je vais juste garer une minute … Ah ! non…ce n’est pas possible…Il y a un agent de police…je ne pourrai pas m’arrêter et encore moins descendre…
Nora enleva sa ceinture de sécurité.
- C’est moi qui vais descendre…Tu veux une grande ou une petite bouteille ?
- Oh ! Merci, Nora. Il me faut une grande bouteille. Je vais te donner l’argent…
- Non, ça va…contente-toi juste de garder mon sac à main…
- Pas de problème.
Nora descendit, traversa la chaussée, acheta une bouteille d’eau fraîche dans une épicerie et à son retour la voiture de Sofiane avait disparu. Elle se dit que le jeune homme avait eu peur de l’agent de police qui tournait dans les parages et il avait été obligé de s’en aller, le temps de faire un tour et de revenir. Mais le temps passait et Sofiane ne réapparaissait pas. Elle lui téléphona et un répondeur automatique lui apprit que son portable était «fermé et ou en dehors du champ de couverture». Elle demeura devant l’épicerie de 10h à 14h sans que Sofiane ne réapparaisse ou ne lui téléphone. Nora finit par se demander si l’objectif du jeune homme n’était pas seulement de l’escroquer et de la voler. Il devait savoir que toutes les filles quand elles rendent visite à quelqu’un chez qui elles veulent faire bonne impression exhibent leurs bijoux. Surtout quand il s’agit de voir sa future belle-mère. Et il devait s’attendre à ce qu’elle sorte tout ce qu’elle avait de plus précieux pour plaire à sa mère. Quelle idée saugrenue ! Elle ne venait de s’en rendre compte que maintenant…Maintenant, que son escroc était parti avec ses bijoux ! Et il y avait en plus un million de centimes dans son sac à main. Un vrai désastre !
Après avoir hésité un bon moment, elle se rendit au poste de police et déposa plainte contre le jeune homme. En procédant de la sorte, elle savait que ses parents apprendraient ce qui s’était passé. Mais tant pis ! Sa rage de retrouver ce qui lui avait été volé était plus forte que tout.
L’officier de police après avoir consigné la déposition de Nora lui dit :
- Tu es la troisième jeune fille qui se fait voler presque dans les mêmes conditions…Et la description que tu viens de faire du voleur correspond à celle brossée par les deux autres victimes… Dès que nous l’aurons coincé, nous t’aviserons. Sofiane s’est fait coincer quelques semaines plus tard. C’était finalement quelqu’un qui avait fait de l’escroquerie de la gent féminine son gagne-pain, en utilisant de belles voitures de location. Il y a quelques jours, Sofiane a été jugé au tribunal de Tizi-Ouzou où lui a été infligée la peine de 3 ans de prison ferme.
Nora n’a pas récupéré ses bijoux et son argent. C’était le prix à payer pour la leçon qu’elle avait reçue.

Par : Kamel Aziouali

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