L’entrée des immeubles a été conçue pour permettre aux locataires d’accéder à leurs domiciles. Cette affirmation, d’une banalité affligeante, nous a paru nécessaire parce que dans de nombreux quartiers de nos villes, qu’ils soient populaires ou cossus, l’entrée des immeubles est souvent utilisée comme un lieu de rencontre entre voisins pour ergoter et discutailler. Comme ce lieu n’est pas conçu pour cet usage, il advient que parfois il se transforme en lieu de tension extrême menant parfois à l’irréparable. C’est le cas dans l’affaire d’aujourd’hui.
Nous sommes à Badjarah, à la fin du mois de mai de l’année dernière. Rachid (29 ans) était rentré de son travail aux alentours de 19h. Il faisait encore jour. Devant l’entrée de l’immeuble, il y avait comme d’habitude un petit groupe de jeunes voisins qui discutaient. D’habitude, Rachid lançai un tonitruant et jovial «essalamou aalaykoum» et passait son chemin. Mais cette fin d’après-midi-là (allez savoir pourquoi !), il décida de rester un petit moment pour discuter avec ses voisins. La discussion avait porté sur le match du championnat d’Europe diffusé la veille par les chaînes satellitaires. Rachid avait toujours considéré comme débiles les discussions qui avaient pour thème le football, mais ce jour-là (allez encore savoir pourquoi !) il se surprit à donner la réplique à ses voisins dans un domaine qu’il était loin de maîtriser.
C’est alors qu’intervint Mounir, un jeune de 25 ans qui venait d’arriver. A la manière dont il tanguait dans toutes les directions, il était clair qu’il avait fait un petit détour dans un des bars d’Alger.
- Qu’est-ce que j’entends ? Rachid qui parle football maintenant ? Encore un autre signe que le Jugement dernier est proche !
En entendant cette tirade, le groupe éclata de rire. Même Rachid trouva la réflexion sophistiquée.
Encouragé par le succès obtenu par ses premiers mots, Mounir continua sur sa lancée mais cette fois-ci en proférant des grossièretés insupportables. Rachid qui habitait au premier étage, lui demanda de se taire.
Les autres qui savaient que Mounir était incontrôlable dans ce genre de situation préférèrent s’éclipser discrètement en pouffant de rire. Voyant qu’il avait du mal à faire taire le jeune ivrogne, Rachid voulut l’éloigner de la cité. Celui-ci se mit à hurler de plus belle.
- Lâche-moi espèce de chien, fils du péché !
S’ensuit ensuite un chapelet d’insanités d’une extraordinaire salacité. Rachid n’avait qu’une obsession en tête : éloigner Mounir des balcons du voisinage, ce qui l’empêcha de voir que l’écervelé avait sorti un couteau avec la ferme intention de l’utiliser contre lui. Il ne s’en aperçut que lorsqu’il reçut un premier coup au niveau de la cuisse. Il hurla de douleur. En focalisant son attention sur le sang qui s’était mis à couler, il ne vit pas Mounir brandir son couteau de nouveau pour lui porter un second coup à l’épaule. Cette fois-ci, Rachid prit peur et se mit à reculer. Il trébucha et tomba sur le dos. Mounir éructa bruyamment et s’avança vers lui avec sa lame dégoulinant de sang. Rachid plongea alors sa main quelque part derrière son blouson bleu jean’s et sortit un couteau à cran d’arrêt. Mounir s’avança vers lui avec l’intention de porter un troisième coup. Comme il était ivre, il rata sa cible. En revanche, Rachid, lui porta deux coups successifs. Avait-il bien visé ? Avait-il frappé à l’aveuglette et le diable avait guidé sa main ? Lui-même ne devait pas le savoir parce qu’à ce moment-là, il n‘avait qu’un seul but : empêcher Mounir de lui porter un coup mortel.
Mounir s’affala sur le sol et se raidit. Des gens accoururent et les deux hommes furent transportés à l’hôpital Zemirli.
Rachid s’en sortit avec quelques points de suture. Quant à Mounir, il rendit l’âme quelques instants avant son arrivée à l’hôpital. Quand Rachid eut appris le décès de son adversaire, il se mit à hurler : «Oh ! Mon Dieu ! Si j’avais su ! Je ne l’aurais pas empêché de crier ! Je ne suis pas responsable de ses propos malsains, après tout ! Qu’il dise ce qu’il veut ! Ce n’est pas à moi de le juger. Mais qu’est-ce qui m’a pris ? Si les gens ne veulent pas entendre ce qu’il disait, ils n’avaient qu’à se boucher les oreilles !»
Le procès de Rachid s’est terminé il y a quelques jours à la cour d’Alger.
Le procureur général a requis 20 ans de prison ferme contre lui. Après délibérations, il a été condamné à 10 ans de prison ferme.
Par : K. A