Le Midi Libre - entretien - Du sang sur une épitaphe
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Crime passionnel
Du sang sur une épitaphe
15 Mars 2012

Zahia, la trentaine, s’approcha de la tombe de sa mère, s’agenouilla et posa sa tête sur la plaque de marbre portant l’inscription indiquant l’identité du défunt qui reposait là.

Cela faisait plus d’une année que la mère de la jeune fille était partie rejoindre notre Créateur à la suite d’une courte et fulgurante maladie mais sa douleur était toujours aussi pesante et aussi forte que le jour où elle avait rendu son dernier souffle. Zahia ignorait que depuis qu’elle venait là, quelqu’un l’épiait de loin. Ce jour-là, c’était un vendredi de l’année dernière, il avait décidé de s’approcher d’elle et de la consoler.
- Bonjour ?
Elle sursauta, se retourna et vit un jeune homme qui lui parut suspect.
- Que veux-tu ? Je n’ai rien de précieux que tu puisses voler.
- Non, je ne suis pas un voleur. Je travaille ici au cimetière. Je suis bâtisseur de tombes…
- Bâtisseur de tombes ? s’étonna Zahia.
- Oui… J’habille de marbre les tombes… Je donne aux tombes l’aspect qu’elles ont et qui permet à leurs familles de les identifier.
- Ah ! D’accord… excuse-moi… L’insécurité est telle de nos jours que nous voyons des voleurs partout.
- Je sais, je sais…
- C’est ta mère qui est enterrée ici ?
- Oui…Elle n’était pas vraiment vieille…
- La mort ne choisit pas… Elle se promène parmi nous et elle prend ses victimes au hasard. Pleurer soulage un peu, alors nous pleurons mais il ne faut pas pleurer plus qu’il n’en faut parce que, paraît-il, les morts ne sont pas contents lorsque leur disparition perturbe plus qu’il n’en faut les membres de leur famille.
- Oui, c’est ce qu’on dit…

- Et puis, il faut voir ce que les autres ont subi. Si le cimetière d’El-Kettar pouvait parler ! Il en dirait des choses ! Tous les jours, des gens y viennent pour leur dernier repos. Des gens de tous âges… Crois-moi, lorsqu’on fréquente un lieu pareil, la vie nous semble ridicule… Plus rien n’a de sens. Nous finirons tous un jour ici ou dans un autre cimetière.
- Oui, je sais mais… mais…
- Ta mère aurait pu vivre un peu plus longtemps ?
- Oui.
- C’est ce que tout le monde se dit. Je les entends quand ils viennent pour accompagner leurs défunts. La mort ne choisit pas, je te le dis ! Elle est folle ! Elle ne raisonne pas. Hier on a enterré un bébé ici. Que dire d’un bébé qu’on enterre ? Le pauvre ! Il est venu mort au monde… Ses parents ne lui ont pas donné de prénom… Je sais que sa mère a dû se dire que la mort de son bébé est injuste. C’est ainsi ; on n’y peut rien. Toi, ta mère a vécu et j’imagine que tous ses enfants sont grands.
- Oui… je suis la plus jeune. Mais…
- Mais quoi ?
- Elle aurait voulu me voir mariée et avec des enfants…
- Ne blasphème pas… Tu vas peut-être te marier et avoir des enfants mais il est écrit que ta mère n’assisterait pas à ces heureux événements.
- Oui, oui, oui, certainement…
Zahia essuya ses larmes et rentra chez elle. Durant toute la journée, elle n’avait pas arrêté de penser au jeune homme qui travaillait au cimetière.
Quelques jours plus tard, elle y fit un saut pour se recueillir de nouveau sur la tombe de sa mère mais également dans l’espoir de revoir le jeune homme qui avait pu dissiper quelque peu son deuil et sa tristesse.
Il était là, il finissait d’installer des dalles en marbre sur une tombe. Dès qu’il eut fini son travail, il s’approcha d’elle et ils discutèrent un peu. Ils se revirent plusieurs fois encore au cimetière avant de se donner rendez-vous en ville, dans le monde des vivants. Petit à petit, leur amitié grandit et devint amour. Le jeune homme –qui s’appelait Sofiane— finit par demander la main de Zahia. Au début, son père et ses deux frères ne voulaient pas accorder sa main en raison du métier macabre du jeune homme. Mais elle trouva les mots qu’il faut pour leur faire changer d’avis et les amener à de meilleurs sentiments. Elle leur avait dit, notamment, qu’elle ne pouvait pas prétendre à mieux en sa qualité de femme de ménage, quand bien même l’organisme qui l’employait était une très grande institution étatique.
Les deux jeunes gens devinrent alors fiancés et se mirent à échafauder des projets d’avenir.
Mais quelque chose d’inattendu allait se produire. Un employé de la grande institution étatique en question se mit à courtiser Zahia. Celle-ci, au début, crut qu’il s’agissait de quelqu’un qui cherchait juste après une aventure, une proie à ajouter à son palmarès de mâle conquérant surtout qu’il était plutôt assez beau. Mais celui-ci lui assura que ses intentions étaient tout ce qu’il y avait de plus sérieux.
- Si c’est le cas, je vais te donner l’adresse de mes parents… enfin ce qu’il en reste.
- Ce qu’il en reste ? s’étonna le jeune homme.
- Oui… ma mère est morte l’année dernière.
- Allah yerhem’ha !
- Tu prends mon adresse ?
- Bien sûr… Vendredi prochain, juste après la grande prière, je viendrai avec ma mère et deux de mes sœurs.
Quelques jours plus tard, à sa grande surprise, Zahia vit le jeune cadre débarquer chez elle avec sa mère et deux vieilles dames comme il le lui avait annoncé. Incroyable !
Le père n’avait pas dit au nouveau prétendant et à ses accompagnatrices que sa fille était fiancée mais après leur départ, il dit à Zahia :
- Ma fille, je suis vieux… je ne tarderai pas à rejoindre ta mère. Je ne serai pas tranquille si tu épouses cet employé du cimetière. Avec le jeune homme qui vient de sortir, tu auras une vie paisible. Tu as entendu ce que sa mère a dit : elle ne veut pas que tu travailles comme femme de ménage… Le salaire de son fils suffit amplement. Tu t’occuperas uniquement de vos enfants et du foyer.
- Oui, père… j’ai réfléchi moi aussi…
- Maintenant, il faut annoncer à Sofiane notre intention de rompre vos fiançailles…
- Papa, ce sera méchant de notre part…
- Peut-être, mais pense à tes enfants. Voudrais-tu qu’ils disent que leur père est cadre dans un ministère ou constructeur de tombes ?
- Tu as raison, papa… tu as raison.
- Bon, tu vas le lui dire ou c’est moi qui vais le lui dire ?
- C’est moi qui le lui dirai, papa.
Quelques jours plus tard, Zahia se rendit au cimetière pour se recueillir de nouveau sur la tombe de sa mère.
Elle commença à lui parler quand soudain elle entendit des pas derrière elle. Elle se retourna et vit arriver Sofiane. Il tenait à la main une plaque de marbre qu’il déposa par terre.
- Ah ! C’est toi Sofiane…
Le jeune homme la regarda un petit moment et lui demanda :
- Quelque chose ne va pas ?
- Qu’est-ce qui te fait croire que quelque chose ne va pas ?
- Ton visage…
- Mon visage ?
- Oui, d’habitude tu es souriante alors qu’aujourd’hui tu es triste.
- C’est vrai… Tu as raison, Sofiane… Il faut que je te dise… J’ai décidé de ne pas me marier… je dois m’occuper de mon père, il a besoin de moi, je ne peux pas le laisser seul…
Le jeune homme sourit jaune :
- Menteuse ! Tu crois que je ne sais pas que quelqu’un d’autre a demandé ta main ?
- Euh… c’est vrai… je… je…
- Tu mens pour mieux vivre ton existence d’ici bas alors que tu sais que celle-ci est insignifiante ? se mit à crier Sofiane.
- S’il te plaît Sofiane, ne crie pas, respectons le repos de ceux qui sont ici.
- Ceux qui sont ici, tu vas les rejoindre et sur le champ !
Joignant le geste à la parole, il se saisit de la plaque de marbre et la frappa à la tête avec une telle violence que du sang en jaillit aussitôt, éclaboussant les tombes alentour. Il la frappa plusieurs fois, jusqu’à ce qu’elle rende l’âme. Puis, il prit le portable de la jeune fille, jeta la puce qu’il contenait et alla le vendre à Bab el-Oued avant de se rendre chez lui, à Boudouaou, comme si de rien n’était.
Quelques jours plus tard, il fut arrêté en sa qualité de suspect numéro 1. Et il avait suffi de quelques heures d’interrogatoire pour qu’il avoue son crime.
Il y a quelques jours, la cour d’Alger a requis contre Sofiane la peine capitale.

Par : Kamel Aziouali

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