Résumé : Rabah, jeune éleveur d’Aïn Defla, vend régulièrement des moutons et des veaux à un boucher de Bordj el-Kiffan. Un soir, ce dernier téléphone pour annoncer sa venue et l’achat d’une trentaine de moutons et de quatre veaux.
Après avoir chargé les bêtes sur son camion, le boucher dit à Rabah :
- J’ai un petit problème d’argent liquide en ce moment et je n’ai pas pu me rendre à la banque faute de temps. Je te donne une avance et dans une semaine quand je reviendrai pour une autre commande, je te ramènerai la somme qui manque. Tu n’y vois aucun inconvénient, j’espère ?
- Mais pas du tout, mon cher Omar. Cela fait un bon moment que nous travaillons ensemble et je sais que je peux travailler avec toi les yeux fermés. D’accord! rendez-vous dans une semaine, Inchallah!
- Merci pour cette confiance, Si Rabah… merci du fond du cœur.
Quinze jours s’écoulèrent et le boucher ne donna plus signe de vie. Rabah se dit que quelque chose de grave lui était arrivé. D’autant plus que plusieurs fois, il lui avait téléphoné sans qu’il ne lui réponde.
Il se rendit à la boucherie de Bordj el-Kiffan et il la trouva bien achalandée. Rabah n’eut aucune peine à comprendre que son «meilleur» client avait décidé de s’approvisionner chez un autre éleveur. Grand bien lui fasse ! se dit Rabah. Il n’y voyait aucun inconvénient. Lui, ce qui l’intéressait c’est qu’on lui donne son dû qui s’élevait à plus de 60 millions de centimes.
En voyant Rabah, le boucher rougit pendant quelques secondes, donna l’impression d’avoir perdu l’usage de la parole, puis se ressaisit, sourit jaune et se fit mielleux :
- Ah! Mon brave Rabah. Justement, je pensais à toi et à ton argent.
- Je suis heureux de te l’entendre dire… ça va, tu n’es pas malade ? J’étais vraiment inquiet…
- Non, non, ça va… Sauf que je n’ai pas encore réglé mon problème de liquidités… Je n’ai toujours pas d’argent de disponible… à cause d’un problème de chéquier. C’est bête, je le sais. Avoir de l’argent et de ne pas pouvoir le sortir parce qu’on n’a pas de chéquier. Tu ne pourrais pas revenir demain ? Ou plutôt dans deux ou trois jours ?
- Ah ! Non… Si Omar… là, je ne suis pas d’accord. Tu aurais pu me téléphoner… Ou tout au moins répondre à mes appels…
- Allah Ghaleb… J’étais débordé… par le travail. Et puis, mon téléphone on me l’a volé…
- Bon… Quand serai-je payé ?
- Voyons… Nous sommes samedi… Reviens mardi prochain. Tu trouveras ton argent en train de t’attendre dans une grosse enveloppe.
- En attendant, c’est moi qui suis en train de l’attendre
- C’est vrai… mais qu’est-ce que tu veux ? Je passe par des moments un peu difficiles…
- Mais mon ami, c’est ton problème. Tu as pris des bêtes, tu me les payes.
- C’est juste… je te payerai mardi prochain, je te dis, sois juste un peu patient.
- D’accord… A mardi donc. J’espère que tu n’es pas en train de te moquer de moi.
Le mardi suivant, à 9h du matin, Rabah arriva à la boucherie et fut tout étonné d’apprendre par le biais du jeune vendeur qu’il y avait trouvé que Si Omar s’absenterait toute la journée. Il lui téléphona mais son portable était toujours fermé ou hors champ. Rabah demanda alors au jeune vendeur :
- Si Omar n’a pas laissé un petit paquet pour moi ?
- Non… Hier, avant que je ne m’en aille, il m’a donné un jeu de clefs et m’a fait savoir qu’il s’absenterait ; il devait aller, je crois, aux abattoirs…
Rabah commençait à comprendre. Son client était en train de l’éviter. Autrement dit, il n’avait pas du tout l’intention de lui donner son dû. Qu’à cela ne tienne ! Il réglerait le problème ce jour-là coûte que coûte !
- Bon, je dois rentrer…
- Tu n’attends pas Si-Omar ?
- Non… J’ai beaucoup de travail qui m’attend… Dis à Si Omar que je reviendrai demain.
- D’accord ! Mais à mon avis si tu l’attends encore un petit moment, il sera peut-être ici d’un moment à l’autre.
- Ne m’as-tu pas dit qu’il serait absent toute la journée ?
- Oui… mais Si Omar est quelqu’un de lunatique… Il change vite d’avis…
- Hum… je vois. Ça ne fait rien, je reviendrai demain.
En réalité, Rabah n’avait pas du tout l’intention de rentrer chez lui. Quelque chose lui disait qu’il suffirait qu’il fasse croire à son client qu’il était parti pour qu’il réapparaisse. Il alla vaquer à quelques occupations puis en milieu d’après-midi, il retourna à la boucherie. Cette fois, Si Omar était là et seul ! Ce qui lui permettrait de lui parler de son argent sans craindre de le mettre mal à l’aise devant son employé.
Le visage du boucher s’assombrit dès qu’il l’eut vu.
- Ah ! Si Rabah ! Tu es revenu… Mon employé m’a dit que tu es passé ce matin…
- Il t’a dit aussi que je ne reviendrais que demain matin. C’est pour cela que tu es là.
- Oh ! Si Rabah, tu me froisses quand tu me parles ainsi.
- Paie-moi ce que tu me dois et je te présenterai mes excuses.
- Calme-toi, calme-toi, Si Rabah… Installe-toi à l’arrière-boutique, je vais te préparer ton argent.
Le jeune éleveur avait dû se dire alors à, ce moment-là, que son client n’était pas si mauvais qu’il le croyait. Il était juste en train de vivre quelques moments difficiles comme il arrive que tous les commerçants en connaissent de temps en temps.
Assis sur une chaise, Rabah se frottait les mains. Plus que quelques instants et il empocherait les soixante millions que Si Omar lui devait. Il était si confiant qu’il ne voulut pas commettre l’impolitesse de regarder d’où son client allait sortir les liasses de billets. Et pourtant, il aurait dû. S’il avait regardé ce que le boucher faisait, il l’aurait vu soulevant l’énorme hachoir qui avait dû lui rapporter beaucoup d’argent et qu’il avait soudain décidé d’utiliser comme arme redoutable pour effacer sa dette. Le pauvre Rabah, en une fraction de seconde se retrouva affalé par terre, la tête fracassé par un hachoir. Calmement, le boucher baissa le rideau et fourra le cadavre encore chaud à l’intérieur d’un gros sachet noir en plastique qu’il cacha à l’intérieur de la chambre froide. Le cadavre de Rabah, côtoya des carcasses d’agneaux et de veaux jusqu’à la nuit du lendemain.
Le boucher le chargea alors dans une petite voiture et l’emmena loin du lieu du crime. Sur sa route, Omar avait rencontré deux barrages de police sans qu’il ne soit inquiété parce qu’il était connu comme un boucher paisible et sans histoires… jusqu’au jour où le diable lui avait suggéré de commettre son horrible crime.
Le meurtrier s’arrêta devant un dépotoir se trouvant à El-Harrach et l’y jeta.
Ce n’est que quelques jours plus tard que les habitants des environs du dépotoir décidèrent de voir ce qu’il y avait dans le gros et mystérieux sachet noir d’où s’échappait une fétide puanteur. Quelques instants plus tard, la police arriva ainsi que la Protection civile.
Après un travail d’investigation qui ne dura pas que quelques jours, les enquêteurs parvinrent à remonter jusqu’au boucher de Bordj el-Kiffan. Celui-ci fut interrogé, confondu et arrêté.
Il y a quelques jours, la cour d’Alger a prononcé son verdict final : peine capitale pour le boucher… sanguinaire de Bordj el-Kiffan.