Résumé : Nawal, une célibataire de 35 ans, est désespérée. Elle se rend au dispensaire de son quartier où elle trouve une jeune mère de famille qui lui donne les coordonnées d’une femme qu’elle lui présente comme étant en mesure de lui permettre de se marier.
Après avoir faxé son certificat de maladie de complaisance à son lieu de travail, Nawal téléphona à la fameuse khalti Fettouma. Celle-ci lui répondit dès la première sonnerie.
- Allo ? Je suis bien chez khalti Fettouma ?
- Oui…
- Euh… je… voilà… on m’a parlé de toi et j’aimerais te voir.
- Tu as un problème particulier, ma fille ?
- Oui… J’ai 35 ans et je suis toujours célibataire.
- Ah ! Je vois… je vois surtout que tu as frappé à la bonne porte… Tu peux considérer que ton problème est réglé…
- Quand pourrais-je venir te voir ?
- Quand tu veux…
- Maintenant ?
- Je n’y vois pas d’inconvénient. Je vais te donner l’adresse.
Une heure plus tard, Nawal était chez la fameuse khalti Fettouma. Contrairement à ce que Nawal s’était imaginée, elle n’était pas vieille. Elle devait avoir tout au plus la quarantaine.
Après avoir écouté de nouveau le motif de la visite de Nawal, la voyante sourit :
- Donne-moi ta main, ma fille.
Nawal obtempéra et tendit sa main. Au bout de quelques instants, la voyante se mit à murmurer:
- Hum… Je vois que tu as été victime d’un mauvais sort et d’un mauvais œil. Leur but est de t’empêcher de vivre normalement…
- J’ai la taba’a (un mauvais sort qui porte malheur), n’est-ce pas ?
- Oui… Et cela dure depuis l’âge de 14 ans.
- C’est vrai… J’avais 14 ans quand une vieille femme m’a regardée méchamment et à craché par terre… j’ignore pourquoi…
- Mais maintenant tu le sais…Tu étais si belle que tu as suscité la jalousie de cette vieille femme. Mais rassure-toi, je vais réparer cette taba’a. Dans un premier temps, je vais te donner un peu de henné à placer sur ta main droite. Dans quelques jours, tu ne tarderas pas à être demandée en mariage.
- C’est vrai ?
- Ma fille, sache que je ne parle jamais dans le vide. Dans quelques jours on demandera ta main….
- Je n’ose pas y croire…
- Et pourtant c’est ce qui devrait se passer d’après ceux qui m’habitent et qui m’assistent dans mon travail.
- Merci… merci khalti Fettouma… Combien je te dois ?
- Pas maintenant… Tu me payeras une fois que tu auras réglé ton problème, pas avant.
- Oh ! Merci, merci khalti Fettouma.
- Dans un second temps, tu dois me donner une photo de toi…
- Je n’ai pas de photo sur moi.
- Tu as bien une carte nationale d’identité ? C’est juste pour que j’exerce sur elle un rite magique… cela contribuera énormément à la réussite de ce que j’ai prévu pour toi.
- D’accord.
La jeune fille crédule sortit sa carte d’identité, la tendit à la «voyante». Celle-ci l’ouvrit et s’exclama :
- C’est fou ce que tu es très belle sur cette photo… La vie a vraiment été injuste envers toi mais rassure-toi, bientôt tout sera réparé.
Ayant dit cela, elle sortit de l’intérieur d’un bocal opaque une vieille plante complètement sèche et en effleura la photographie se trouvant sur la carte d’identité tout en prononçant des mots incompréhensibles. Puis elle referma le petit carton vert plastifié et le rendit à Nawal. Avant de remettre la feuille sèche dans le bocal elle l’examina avec minutie et sourit :
- Ah ! Il n’y a pas le moindre doute… Bientôt, tu seras demandée en mariage.
- Ah ! Si c’est le cas, je t’offrirai beaucoup d’argent et un énorme cadeau.
- Inchallah ! Inchallah ! ma fille ! mais pour le moment ne pense à rien. Ne pense qu’à ton bonheur imminent…
- D’accord.
Trois jours plus tard, à son retour de son travail, aux environs de 17h30, Nawal apprit de la bouche de sa mère que dans le courant de l’après-midi, deux dames étaient venues à la maison pour éventuellement demander sa main pour le fils de l’une d’entre elles. La mère sautillait de joie et avait du mal à contenir son excitation parce que c’était la première fois que pareil événement se produisait. En 35 ans d’existence, c’était la première fois que Nawal était ainsi «convoitée».
- Et ce que tu ne sais pas, ma fille, lui confia la mère, c’est que c’est le jeune homme qui leur a demandé de venir se renseigner à ton sujet. Il t’a vu passer devant son magasin de prêt-à-porter pour hommes.
- Ah ! Vraiment ?
- Oui… Et ce que tu ne sais pas encore c’est que sa mère m’a montré la photo de son fils… Oh ! Mon Dieu ! qu’il est beau ! Je crois, ma fille que le destin a décidé de t’octroyer ta part de bonheur ! Amen !
- Donc, ce qu’elle m’a dit est vrai ! s’exclama sans réfléchir la jeune fonctionnaire.
- Ce qu’elle t’a dit est vrai ? De qui parles-tu Nawal ?
Et c’est ainsi que la fille avoua à sa mère avoir rendu visite à une voyante pour annihiler le mauvais sort et le mauvais œil qui l’empêchaient de se marier.
La mère réserva le meilleur de la bonne nouvelle pour la fin et elle dit :
- Ce vendredi juste après la grande prière, ces deux femmes reviendront… Et elles ont décidé de ramener le jeune homme… Il t’a déjà vue mais il veut te parler. Il est, d’après sa mère, si poli, si bien éduqué qu’il n’ose pas lui adresser la parole dans la rue.
Mais le vendredi suivant, les deux femmes en question ne se manifestèrent pas. Et elles ne téléphonèrent pas non plus, bien que la mère de Nawal leur ait donné le numéro de téléphone du «fixe». Le lendemain, Nawal se réveilla complètement assommée. Elle était de nouveau désespérée. Elle se rendit chez khalti Fettouma pour lui faire part de ce qui s’était passé. Celle-ci lui répondit alors :
- Hum… le mauvais sort qui t’a été infligé est plus méchant que je ne croyais. Il ne sera pas facile à éliminer…
- Pourquoi ? s’affola Nawal.
- Parce qu’il nécessite des ingrédients que l’on ne trouve qu’au Maroc… Et ils coutent très cher…
- Je vais payer ! Combien ?
- Non, ma fille… je ne peux pas te demander de payer une si grosse somme alors que cela peut échouer…
- Mais tu as failli réussir… Pour la première fois une famille s’intéresse à moi.
- Oui, je sais…, nous sommes sur la bonne voie, ma fille… Il faut juste ajouter les ingrédients dont je t’ai parlés…
- C’est pour cela que je te dis que je vais payer. Je vais te ramener mes bijoux. J’en ai pour 70 millions de bijoux à la maison.
- Je pense que cela suffira…
Le lendemain, sans qu’elle n’en parle à sa mère, Nawal prit tous ses bijoux et les remit à la voyante. Ensuite, elle se mit à attendre la suite des événements. Il s’écoula deux mois sans que le moindre prétendant ne se présente. Elle en parla à quelques amies qui la traitèrent alors d’idiote. L’une d’elle lui avait fait remarquer que les voyantes avaient toujours des complices qui se chargent de répandre leur prétendue notoriété. Elle lui expliqua que la femme qu’elle avait vue au dispensaire (voir la 1re partie) était une rabatteuse, c’est-à-dire qu’elle trouvait des clientes à cette voyante. Les deux femmes qui s’étaient rendues chez elles travaillaient certainement aussi pour la voyante. Leur but est de montrer que ses pouvoirs sont réels…
- Mais comment ont-elles su où j’habitais ?
- La voyante connaissait ton adresse, grâce à ta carte d’identité qu’elle a fait semblant de soumettre à un rite magique.
Khalti Fettouma n’a pas voulu rendre ses bijoux à Nawal sous prétexte qu’elle avait déjà commandé les fameux ingrédients. Alors elle a déposé plainte contre elle.
Il y a quelques jours, la voyante et Nawal s’étaient retrouvées au tribunal de Bir Mourad-Raïs. Et c’est à ce moment-là que la crédule Nawal apprit que la voyante était connue de la justice qui l’a condamnée maintes fois déjà pour toutes sortes de délits.
Elle a été condamnée à restituer les bijoux de Nawal et une peine de 3 ans de prison a été requise contre elle ainsi qu’une amende de 10 millions de centimes.
Le plus étonnant et le plus inquiétant dans tout cela c’est que Nawal n’est pas illettrée : elle est licenciée en droit !
(fin)
Par : K. A.