Farouk se trouvait à la place du 1er-Mai avec l’intention de prendre un taxi pour se rendre aux Anassers. Un taxi arriva et il s’apprêta à monter à l’arrière où se trouvait déjà une jeune femme. Il hésita et lui demanda :
- Cela ne vous dérange pas si je monte à côté de vous madame ?
- Si cela me dérangeais que feriez-vous ?
- Je ne monterais pas tout simplement, répondit Farouk en reculant avec l’intention d’attendre un autre taxi.
La jeune dame s’empressa alors de lui lancer :
- Non, non, non, venez, montez ! Vous n’allez tout de même pas arriver en retard à cause de moi.
- Je peux monter, hein ? C’est sûr, hein? Cela ne vous gênera pas ?
Le chauffeur de taxi, apparemment de mauvaise humeur, s’écria excédé :
- Aya ! Mon frère, monte ou descends ! Nous gênons la circulation.
La jeune dame s’en prit alors à lui :
- Mais c’est quoi ces manières ? En principe, vous n’avez pas à faire asseoir côte à côte dans votre taxi un homme et une femme.
- Mais vous venez d’accepter de le laisser s’asseoir à côté de vous…
- Oui, parce que c’est lui… J’ai vu qu’il était poli, bien éduqué et prêt à attendre un autre taxi, à arriver en retard à l’endroit où il se rend, pourvu qu’il ne mette pas dans la gêne une pauvre femme.
- Bon, maintenant… vous ne trouvez pas que nous avons suffisamment discutaillé ? On peut repartir ? répliqua le chauffeur.
La dame, d’un geste brusque, tendit au chauffeur de taxi une pièce de 50 DA :
- Ça vous suffit, 50 DA ?
- Vous descendez ici ? Vous m’avez dit que vous alliez aux Anassers.
- Je n’ai pas envie de continuer avec vous. Je prends un autre taxi…
- Je vous rends la monnaie alors ?
- Non, gardez-la.
Dès que la jeune femme fut descendue, elle sourit à Farouk et lui dit :
- Nous attendrons un autre taxi. J’espère que vous n’êtes pas trop pressé…
- Euh… je… non…
- Moi, je suis pressée mais je ne pouvais pas rester une seule seconde à l’intérieur de ce taxi. L’administration devrait leur faire subir des tests de psychologie avant de leur attribuer leur licence de chauffeurs de taxi. Il faut avoir des qualités humaines pour exercer ce métier…Vous, je vous vois bien chauffeur de taxi...
- Ah ! merci….
- Quel est votre métier ?
- Electricien en bâtiment.
- Ah ! Mais c’est un bon métier, ça !
- Oui…
La jeune femme se tut, s’attendant peut-être à ce que Farouk lui demande quelle profession elle exerce. Comme il ne lui avait rien demandé de tel, elle lui dit :
- Moi, je n’ai pas de travail. J’en avais un… mais je ne l’ai plus… J’étais secrétaire dans une administration… Puis un jour j’ai dû démissionner à cause d’un chef hiérarchique aussi mal éduqué que le chauffeur de taxi qui vient de m’énerver. En attendant de trouver un emploi, je vis de la générosité de mes parents. Il suffit que je leur rende visite pour qu’ils comprennent que j’ai besoin de leur aide et ils me donnent un peu d’argent… Mais n’allez surtout pas croire que je leur mène la vie dure… Au contraire, je la leur ai simplifiée…
- Vous leur demandez de l’argent et vous dites que vous leur simplifiez la vie ! J’avoue ne pas vous comprendre.
- Je me suis mal exprimée… Je vais vous éclairer. Mes parents sont très à l’aise. Ils habitent une petite villa. Tout se passait bien à la maison, jusqu’au jour où mon frère cadet s’est marié. Sa peste d’épouse n’arrêtait pas de me chercher querelle… Je l’évitais quand je pouvais mais parfois je lui répondais et je me disputais avec elle. J’espérais me marier et m’en aller de chez moi mais je n’ai pas de chance… J’ai trente ans et aucun soupirant n’a daigné s’intéresser à moi. Et ma belle-sœur n’arrêtait pas de me pourrir la vie. Un jour, j’en avais marre. J’ai pris mes économies de la CNEP et j’ai loué un petit F2.
- Vous habitez seule ?
- Oui… j’aurais voulu habiter avec un homme «bhal el moussanetine» (bien en tous points de vue comme vous) mais il y a de moins en moins d’hommes de valeur. Et vous, vous êtes marié ?
- Non… pas encore… Il me manque l’essentiel…
- L’essentiel ? C’est-à-dire ?
- Je n’ai pas de logement… J’ai un bon métier mais…
- Mais le métier c’est l’essentiel. Quand on a un métier, on peut avancer dans la vie. On peut acheter une maison ou la louer, on peut acheter une voiture…
- C’est vrai… Euh… vous savez que pendant que nous parlions, il y a au moins dix taxis qui sont passés et nous n’en avons pris aucun.
- Ah ! Bon ? fit la jeune femme. Je me sens si bien avec vous que j’ai oublié que je devais prendre un taxi. Je vois que ce n’est pas le cas pour vous.
- Euh… Non… Ce n’est pas que je ne me sente pas bien avec vous… c’est que je suis un peu perturbé et un peu inquiet parce que je me rends chez un client qui ne m’a pas encore payé… Je ne sais pas ce que je dois faire si jamais il me dit une fois de plus qu’il ne dispose pas de la somme qu’il me doit.
- Hum… c’est vrai… Les problèmes d’argent, je sais ce que c’est… Ah ! un taxi arrive et il n’y a personne à l’arrière.…
Les deux jeunes gens montent à l’arrière du taxi. Dès que celui-ci eut redémarré, la jeune femme sortit de son sac à main un petit calepin écrivit dessus quelque chose et le remit à Farouk. Celui-ci le prit, le lit et vit que la jeune femme lui avait inscrit son prénom, Mériem, ainsi que le numéro de son téléphone mobile. Il prit le calepin de la jeune femme et et lui écrivit à son tour ses coordonnées.
Quand ils se séparèrent aux Anassers, ils promirent de se téléphoner.
Le lendemain, Farouk téléphona à Mériem et ils se retrouvèrent dans le petit F2 de cette dernière. Il était question d’un simple déjeuner mais les deux jeunes gens étaient si attirés l’un vers l’autre qu’ils cédèrent à la passion. Pendant plus d’un mois les deux jeunes gens se voyaient ensemble exactement comme s’ils étaient mariés. Puis un après-midi, alors que Farouk était en train de discuter avec un vieil épicier se trouvant dans le quartier où habitait Meriem, celui-ci lui dit :
- Vous m’êtes très sympathique mon garçon… vous êtes bien éduqué, c’est pourquoi je ne peux plus m’empêcher de vous demander ce que vous faites avec cette femme chez qui vous venez…
- Qu’est-ce que vous lui reprochez ? C’est une pauvre jeune fille qui n’a pas de chance et qui ne s’est pas mariée…
- Elle est mariée et a deux enfants en bas âge qu’elle confie à sa mère pour être libre de ses mouvements.
- Quoi ? Elle est mariée ? Elle est divorcée alors… parce qu’il n’y a aucune trace de son mari….
- Son mari est en prison. Il en a pris pour dix ans… Vous ne le saviez pas ?
- Non….
Oh ! la ! la ! la ! Dans quel pétrin il s’était fourré ! se dit Farouk. Quand il se fut retrouvé avec Mériem, il chercha et obtint la confirmation qu’il voulait. Le vieil épicier lui avait dit la vérité.
Il se frappa alors le front :
- Mais ce n’est pas vrai ! J’ai fréquenté une femme qui a trompé son mari !
- Non… je ne l’ai pas trompé, se défendit la jeune femme. Il n’avait qu’à être un bon époux… D’ailleurs, j’ai entamé une procédure de divorce…
- Moi, je ne veux rien savoir… je m’en vais…
- Et notre mariage ?
- Non, il n’en est pas question… Je ne vais pas épouser la femme d’un repris de justice… et tes deux enfants en bas âge ? Qu’est-ce que je vais en faire ?
Au moment où il allait sortir, elle se rua sur lui pour le griffer, il la repoussa et il s’en alla.
- Tu t’en vas, hein ? Tu t’es payé du bon temps avec moi, et maintenant tu t’en vas ! hein ? Eh bien tu vas voir !
Quelques semaines plus tard, Farouk se retrouva au tribunal de Bir Mourad Raïs. Mériem l’avait accusé d’avoir abusé d’elle après lui avoir promis le mariage. Et c’est là que la jeune épouse apprit que malgré sa demande de divorce, elle était toujours mariée. Et de ce fait, sa liaison avec son ami était un acte adultère. Elle se retrouva accusée en compagnie de Farouk. Tous les deux furent condamnés à une année de prison ferme.