Farida, la cinquantaine, peut se targuer d’être une femme très chanceuse bien qu’elle soit divorcée. Elle a pu trouver un emploi comme femme de ménage chez une famille aisée sur les hauteurs d’Alger pour le salaire de 30.000 DA par mois. Ce n’est pas vraiment très consistant mais c’était largement suffisant pour elle vu que ses deux enfants vivaient chez leur père et qu’elle n’était pas vraiment très dépensière. Cela lui permettait de vivre à l’aise : elle mangeait et s’habillait si bien que le matin lorsqu’elle sortait de chez elle, elle avait l’air de faire partie du staff dirigeant de quelque entreprise privée en pleine expansion.
Mais Farida était un être humain et l’être humain est fait de chair, de sang et de… tentations. La principale tentation de Farida c’était le sac à main noir de sa patronne. Une fois par semaine, elle le voyait plein de billets de banque… Tellement plein que très souvent, il ressemblait à une grosse pastèque enveloppée dans un sachet noir. Farida, une fois s’était retrouvée seule à la maison avec ce sac et eut tout le loisir de compter l’argent qui s’y trouvait ; il y avait 80 millions de centimes. Elle les remit à leur place et se mit à réfléchir. Elle se dit que l’idéal serait de prendre cet argent sans qu’elle ne soit soupçonnée de l’avoir pris. Ainsi, elle aurait un petit magot tout en conservant son salaire exceptionnel que bien de diplômés de l’université ne peuvent pas se targuer d’avoir… C’est ce qui s’appelle dans un jargon très répandu : avoir le beurre et l’argent du beurre ! Mais comment faire ? Après avoir longuement réfléchi, elle finit par trouver une bonne astuce qu’elle décida d’appliquer aussitôt.
Elle sollicita d’abord un congé de quatre jours et se rendit à Béjaïa chez ses vieux parents et elle en profita pour faire un tour chez Razika, sa sœur cadette. Cette dernière avait une fille de vingt ans qui lui donnait beaucoup de soucis et elle ne manqua pas de lui parler d’elle.
- Tu comprends, Farida, mon mari et moi devrions commencer à lui préparer son trousseau. Tant qu’elle était au lycée, pour nous c’était encore une enfant, mais depuis qu’elle est à la maison après avoir raté son bac l’année dernière, son père et moi avons pris conscience qu’elle est une femme et que nous devrions commencer à lui préparer ses valises… mais où trouver l’argent ? Nous arrivons à peine à joindre les deux bouts.
- Pourquoi ne pas la laisser travailler ?
- Où va-t-elle travailler ? Il n’y pas de travail à Béjaïa !
- Hum… C’est vrai… le chômage est partout. Mais il y a peut-être une solution.
- Laquelle ?
- Je travaille chez une famille riche pour 3 millions de centimes par mois… Moi, un million et demi me suffisent. Si tu la laisses venir avec moi à Alger, elle m’aidera et elle prendra la moitié de mon salaire…
- Oh ! Ce serait formidable. Et où habitera-t-elle ?
- Chez moi… Je vis seule à la maison…Tu le sais bien. Et je veillerai à ce qu’elle ramène à la maison l’intégralité de son salaire… Au bout de deux ans elle peut mettre 30 millions de centimes de côté…
C’est largement suffisant pour son trousseau… mais tu sais bien, Farida, que ce n’est pas moi qui commande mais mon mari… Je vais lui en parler… Espérons qu’il sera d’accord pour laisser Nassima venir avec toi à Alger.
Le père, dès que sa femme lui fit comprendre qu’en deux ans, leur fille aurait 30 millions de centimes à elle, accepta qu’elle «émigre» à Alger.
Le surlendemain, Farida présenta Nassima à sa patronne. Celle-ci hocha la tête plusieurs fois de gauche à droite.
- Ah ! Farida… je ne peux pas la payer…
- Mais qui vous demande de la payer, madame ? Elle a un trousseau à préparer alors je l’ai amenée à Alger… Et comme Alger est infestée de requins, je préfère qu’elle travaille à mes côtés.
- Et pour son salaire ?
- Nous partagerons le mien. Moi 15.000 DA me suffisent… Et pour elle 15.000 DA, c’est vraiment un cadeau inespéré du ciel !
- C’est surtout un cadeau de sa gentille tante… Tu as un grand cœur Farida… Je suis vraiment chanceuse de t’avoir trouvée… Quant à ta nièce… Je lui donnerai un petit salaire chaque fois que je le pourrai… Finalement quand on s’en ira définitivement d’ici, on ne prendra que nos bonnes actions avec nous.
- Oh ! Merci, madame… merci ! Vous avez un cœur en or. Que Dieu vous rende au centuple vos bienfaits.
La fin du mois de décembre 2011 arriva. Farida rentra dans la chambre de sa patronne, ouvrit son armoire et trouva le fameux sac noir. Elle l’ouvrit et le vit bourré de billets de 1.000 DA. Comme sa patronne et son mari ne rentraient que vers 22 h, elle décida de passer à l’action. Elle prit tout l’argent et le fourra dans son grand sac. Puis elle s’arrangea pour que le travail soit terminé avant midi et elle rentra chez elle en compagnie de sa nièce. Une fois chez elle, elle tendit à sa nièce une petite liasse de billets.
- Nassima voici ton premier salaire 15.000 DA.
- Oh ! Tata Farida ! Tout ça est pour moi ?
- Oui… Tu as travaillé pendant un mois, non ?
- Non… Je n’ai pas travaillé un mois mais à peine 25 jours…
- Peu importe… En tout cas la patronne m’a payée hier et je te donne ta part : la moitié comme je l’ai promis à ta mère !
- Oh ! Que je suis heureuse !
- Je suis sûre que tu voudrais partager cette joie avec ta mère, ton père et tes petits frères.
- Oh ! oui… Tata, je te jure que c’est comme si tu avais lu dans mes pensées.
- Si tu veux rentrer à Béjaïa, il n’y a pas de problème, je t’emmène maintenant à la gare routière du Caroubier…il y a des taxis et des autocars en partance pour Béjaïa… Ce soir, tu dîneras avec tes parents.
- Oh ! Ce serait formidable… Oui, oui…, j’ai bien envie de rentrer à Béjaïa et je reviendrai après-demain !
- D’accord, ma fille. Mais n’oublie pas : dès que tu arrives tu me téléphones…
- Oui, oui, bien sûr…
Vers 18h, Farida reçut un appel téléphonique. Avant de répondre, elle reconnut le numéro de sa nièce mais quand elle plaqua son téléphone mobile contre une de ses oreilles, elle entendit la voix de sa sœur Razkia.
- Ah ! Farida ! je ne te remercierai jamais assez… Nassima est rentrée et elle est heureuse, heureuse à un point que tu ne peux pas imaginer. Elle nous a acheté deux kilos de bifteck, des bananes et des yaourts ! Merci, merci, merci, merci...
- Il n’y a pas de quoi, Razika. Nassima est comme ma fille…
Vers 23h, le téléphone de Farida sonna de nouveau. Cette fois-ci c’était sa patronne.
- Farida, tu sais pourquoi je t’appelle à cette heure-ci ?
- Non, madame…
- Mon sac a été ouvert et 40 millions ont disparu…
- Oh ! Mon Dieu !
- Ta nièce est avec toi ?
- Non… Elle est partie à Béjaïa. Euh… elle m’a dit qu’elle se faisait du souci pour sa mère qui est un peu malade alors elle est partie… Mais madame, vous êtes sûre de ce que vous avancez ?
- Bien sûr… Cet argent a disparu de mon armoire ! Et comme je te connais bien Farida, ce ne peut être qu’un coup de ta nièce… Excuse-moi… mais… ta nièce est une voleuse… Demande-lui de me rendre mon argent sinon, je dépose plainte contre elle.
Froidement, Farida téléphona à sa nièce et lui demanda de restituer l’argent qu‘elle avait pris. Comme elle n’avait rien à restituer, la malheureuse jeune fille fut arrêtée…
Nos enquêteurs n’étant pas dupes, ils interrogèrent tant et si bien Farida et Nassima qu’ils finirent par soupçonner la tante puis par la confondre et à l’arrêter.
Il y a quelques jours, Farida a été jugée au tribunal de Bir Mourad- Rais.
Elle a été condamnée à un an de prison ferme. En plus des 40 millions qu’elle devra restituer, elle doit payer une amende de 80 millions de centimes. Et à sa sortie de prison, elle n’aura plus ni sœur ni nièce…
Et son ex-mari pourra dire à ses enfants qu’il avait raison de s’être séparé d’elle.