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Des oignons… aveuglants !
17 Janvier 2012

On savait que les oignons déclenchaient des poussées lacrymales lorsqu’on les épluche mais on ignorait qu’ils étaient dangereux au point de provoquer la perte d’un œil.

C’est pourtant ce qui est arrivé récemment à un citoyen en s’approchant plus qu’il ne fallait d’un étal d’oignons, au marché de Réghaïa. Au moment où Moussa, la quarantaine bien entamée, allait sortir de la maison avec son filet pour les courses, sa femme accourut :
- Moussa ! Attends, attends...
- Oui ? Qu’y a-t-il ?
- Tu vas au marché n’est-ce pas ?
- Tu crois que je vais aller jouer au tennis ? Bien sûr que je vais au marché.
- N’oublie pas les oignons…
- Oui, je sais… les oignons, les pommes de terre, les carottes, les cardes… tu n’as pas besoin de le dire. C’est toujours ce que nous achetons…
- C’est vrai… en réalité, je voulais te demander d’acheter de petits oignons… Ils ont meilleur goût quand on les mange crus avec le couscous… Toi aussi tu aimes les oignons avec le couscous…
- Non, Zakia… j’aime le couscous avec les oignons. C’est très différent. Et en ce qui me concerne qu’il soit gros ou petit, un oignon reste un oignon. C’est toi qui aimes les petits oignons… pourquoi tu ne l’avoues pas ?
Le visage de la jeune épouse s’assombrit.
- Heureusement que je n’ai demandé que des petits oignons… Qu’est-ce que ce serait si j’avais demandé un peu de viande ?
Moussa toisa sa femme et demeura un moment silencieux.
- Ya bent ennass… combien de fois t’ai-je demandé de ne pas me tenir des propos déplacés au moment où je m’apprête à sortir ? Tu crois que moi je n’ai pas envie d’une belle côtelette avec de la moutarde ? Ou des merguez avec des frites ? Ou une tranche de foie avec de la purée ?
Zakia préféra disparaître parce qu’elle savait que lorsque son mari énumérait ainsi les plats qu’il voudrait manger c’est qu’il était sur le point d’exploser comme une cocotte-minute.
Voyant que sa femme avait tourné les talons, Moussa se tut, s’essuya le visage comme pour effacer toute trace des mauvaises idées qui l’avaient effleuré et referma la porte derrière lui.
Le marché de Réghaïa est réputé pour être un allié des petites bourses ; c’est pourquoi il y a toujours un monde fou. Moussa aperçut une camionnette bourrée d’oignons et il s’en approcha. Il parcourut des yeux la montagne d’oignons et il s’aperçut qu’il y avait des petits oignons et des gros. Il se gratta la tête et se mit à réfléchir. Le marchand, un homme d’une cinquantaine d’années, lui lança :
- Combien de kilos je te donne ?
Au lieu de commander Moussa fit part de sa réflexion au marchand :
- Moi à ta place, je mettrai les petits oignons d’un côté et les gros de l’autre.
- Tu es venu pour acheter ou pour me donner des conseils ? répliqua l’autre d’une voix où se devinait un mélange de contrariété et de nervosité à fleur de peau.
- Je suis venu pour acheter deux kilos d’oignons mais je veux des petits
- Très bien…
L’homme mis des oignons sur l’un des plateaux de la balance et Moussa constate qu’il y avait plus de gros que de petits.
- Ah ! non… je veux des petits, intervint Moussa qui se mit à enlever les gros oignons.
Le marchand le regarda de travers.
- Que fais-tu ?
- J’enlève les gros oignons ! je veux des petits !
- Mais où est la différence ?
- S’il n’y pas de différence entre les petits et les gros, qu’est-ce qui t’empêche de me donner des petits ?
- Si tous les clients étaient comme toi, le commerce mourrait.
- Si tous les clients étaient comme moi, effectivement les commerçants comme toi n’existeraient pas, répliqua Moussa hors de lui.
- Qu’est-ce que tu dis ? hurla le commerçant qui saisit Moussa par son col avant de lui donner un coup de tête qui lui ouvrit l’arcade sourcilière. Moussa hurla. Avec une main il se cacha le visage et avec l’autre, il se saisit un gros oignon avec lequel il frappa le commerçant. Celui-ci sauta sur lui et se mit à le rouer de coups. Des gens intervinrent et des agents de police arrivèrent presqu’aussitôt. Le commerçant fut emmené au poste de police et Moussa à l’hôpital. La blessure du malheureux était si grave qu’il fut emmené à Alger. Malgré les efforts des médecins il leur fut impossible de sauver l’œil blessé.
Plusieurs fois, le commerçant se rendit chez Moussa dans le but de lui demander de lui pardonner et de ne pas le traîner en justice mais jamais il ne fut autorisé à entrer à la maison.
Il y a quelques jours, la cour de Boumerdès a rendu son verdict : le commerçant a été condamné à cinq ans de prison ferme et à payer 80 millions de centimes de dédommagements.
Très chèrement payé pour quelques petits oignons… Surtout pour Moussa qui n’a plus qu’un seul œil pour se lamenter sur ce qui lui est arrivé.

Par : Kamel Aziouali

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