Résumé : Fatima, 76 ans, a un bras et une jambe dans le plâtre à la suite d’une chute. C’est un inconnu d’une quarantaine d’années qui lui vient en aide et l’emmène à l’hôpital Mustapha-Pacha (Alger).
Quand la voiture s’était arrêtée devant l’immeuble, quatre heures plus tard,(*) Djamila, la jeune mère de famille qui se trouvait au marché lorsque la vieille Fatima était tombée, se trouvait au balcon, guettant le retour de sa vieille grand-mère. Elle descendit aussitôt. Et comme elle était certaine qu’elle aurait du mal à faire monter toute seule la vieille dame, elle frappa à sa voisine de palier, une dame qui avait à peu près son âge.
- Amina…Tu peux descendre avec moi pour que nous aidions Khalti Fatima à monter chez elle ? Elle est tombée au marché tout à l’heure et, apparemment, elle a un bras et une jambe cassés.
- Oh ! La pauvre ! Comme si le départ de son mari et de tous ses enfants ne suffisait pas.
- Allez, allez ! Pas de bavardage, Amina.
Les deux femmes aidèrent la vieille dame à monter chez elle et à l’installer sur son lit.
Et celle-ci se confondit en remerciements. Puis, elle se mit à réfléchir à haute voix. «J’aurais dû écouter ma fille lorsqu’elle m’a proposé de ramener une de ses cousines pour vivre avec moi. »
- Tu as une nièce, Khalti Fatima ?, demanda Djamila. Tu veux que nous l’appelions ?
- Non…Elle est jeune… Elle a quinze ans et puis elle habite loin et elle va à l’école. Ma fille m’a demandé de l’inscrire ici dans une école à Alger. Enfin. C’est trop tard maintenant. Et puis, je ne suis pas handicapée. Dans un mois ou deux j’enlèverai ce plâtre…
- C’est vrai, Khalti Fatima, mais un mois ou deux c’est long lorsqu’on est dans le plâtre, fit Djamila.
- Mais ne t’inquiète pas… Je suis là, ajouta Amina. Je te ferai le ménage, la cuisine et quand je me rendrai au marché, je te ramènerai tout ce que tu voudras. Il faut juste me donner de l’argent parce que la vie est devenue insupportable…
- Il n’y a pas de problème ma fille. Je te donnerai de l’argent pour les commissions que tu me feras et aussi pour tous tes travaux ménagers.
- Non, non, Khalti Fatima … L’argent, c’est juste pour ce que je t’achèterai parce que mon mari ne me laisse que 100 DA pour le lait et le pain,mais pour tout le reste, je le ferai de bon cœur… Tu es comme une mère pour nous tous dans cet immeuble.
- Merci, ma fille…
- Moi, aussi je suis à ta disposition, s’empressa d’ajouter Djamila. Je descendrai te voir tous les jours.
- Oh ! merci, Djamila, merci, Amina.
Et c’est ainsi que les deux mères de famille se relayèrent pour effectuer les travaux ménagers que ne pouvait accomplir la vieille dame momentanément.
Une semaine s’écoula. La vieille Fatima pouvait se déplacer mais Djamila l’en dissuada en lui disant :
- Si tu bouges, tu ne guériras pas en deux mois mais en six mois.
- C’est juste, fit avec résignation la vieille dame.
- Avant que je parte, tu ne veux pas que je te fasse quelque chose ?
- Oui… Reste ici au salon un moment… Je vais dans ma chambre et je reviens.
- Tu veux que je t’aide ?
- Non, non, merci. Assieds-toi, assieds-toi.
- D’accord.
Djamila comprit que sa vieille voisine ne voulait pas qu’elle la suive et qu’elle voie ce qu’elle ferait. Alors, elle la suivit en catimini. Et elle la vit prendre de son armoire de derrière une pile de vêtements un petit coffret en bois d’où elle sortit quelque chose qu’elle n’avait pu voir. Mais elle était certaine que le coffret contenait des bijoux à en juger par les bruits que provoquaient les doigts osseux de la vieille dame en y farfouillant.
Djamila retourna au salon et s’installa dans le fauteuil comme si elle n’en avait pas bougé.
La vieille femme revint et déposa sur la table deux colliers en argent d’une grande épaisseur.
- Voilà, ma fille, puisque c’est toi qui es là, tu auras la chance de choisir. Prends un de ces colliers. L’autre, je le donnerai à Amina.
Le lendemain vers 10h, Amina se rendit chez Djamila pour voir à quoi ressemblait son collier à elle. Et elle réalisa qu’il était plus beau que le sien. Et Djamila s’empressa de préciser :
- Mon cadeau est plus beau que le tien parce que, moi, j’ai eu le loisir de le choisir… Je me suis trouvée avec khalti Fatima au bon moment, c’est tout. Il ne faut pas voir là une sorte de discrimination.
- Ils sont très beaux ces colliers, hein ? Ils doivent coûter une fortune, n’est-ce pas Djamila ?
- Certainement… Rien à voir avec ce qui se fait de nos jours…
- Et tu ne sais pas si elle en a d’autres ?
- Je ne sais pas… Je l’ai vue les prendre d’un coffret en bois qui m’avait l’air plein de bijoux.
- Des bijoux en or, Djamila ?
- Je ne sais pas, Amina… Elle ne m’a pas laissé regarder.
- Si elle ne t’a pas laissé regarder, c’est qu’il doit y avoir de l’or dans son petit coffre…
- C’est possible…
- Nous nous sommes occupées d’elle comme ses propres filles ne l’ont jamais fait…
- C’est vrai…
- Elle aurait pu nous donner quelque chose de plus précieux… Je ne sais pas moi, une bague, une gourmette, peu importe. L’essentiel est que ce soit de l’or.
- Oui, tu as raison…
- Bon, je te laisse, Djamila… Du travail m’attend.
Le surlendemain, ce fut Djamila qui se rendit chez Amina pour lui dire :
- Tu sais, Amina, j’ai bien réfléchi à ce que tu m’as dit. Cette vieille femme n’est pas reconnaissante. Cela fait dix jours maintenant que nous nous occupons d’elle comme si elle était notre mère et en guise de récompense, elle nous donne de petits colliers en argent… Pour qui nous prend-elle ? Je sais qu’elle a de l’or.
- Ah ! Bon ?
- Parfaitement.
- Comment le sais-tu ?
- Comment je le sais ? Tu as vu comment est sa maison et comment sont ses meubles ? Ce sont des meubles d’une vieille femme qui n’a pas d’or ? Elle n’a jamais manqué de rien. Elle nous a même proposé de nous payer pour les travaux ménagers que nous lui faisons. C’est nous qui avons refusé.
- C’est juste.
- Bon, maintenant Djamila, où veux-tu en venir ?
- Nous devons nous faire payer.
- Avec le contenu du coffre ?
- Oui.
- Ah ! Djamila. Moi, cette idée trotte dans ma tête depuis un bon moment… Et je sais comment procéder.
Et les deux femmes décidèrent de passer à l’action sans plus attendre parce qu’elles savaient qu’une fois la vieille femme guérie, elles n’auraient peut-être plus l’occasion de tromper sa vigilance et de mener à bien leur plan.
Les deux mères de famille se rendirent ensemble chez la vieille Fatima. Profitant de ce qu’Amina soit en grande discussion avec elle tout en effectuant quelques travaux ménagers, Djamila ressortit après avoir pris en catimini le trousseau de clefs accroché à côté du compteur d’électricité pour en faire des copies. Ensuite, les clefs furent remises à leur place. Avant de quitter leur vieille amie, vers 14h, elles lui préparèrent une tisane à l’intérieur de laquelle elles déversèrent un très puissant somnifère. Dès qu’elles l’avaient vue vider sa tasse de tisane, elles s’en allèrent pour revenir une heure plus tard mais cette fois-ci en utilisant le double des clefs. Elles la trouvèrent ronflant comme un bébé. Les soupçons de Djamila étaient fondés : le coffret en bois était bourré de bijoux en or. Il devait y en avoir pour au moins 200 millions de centimes que les deux femmes se partagèrent.
La vieille Fatima ne se réveilla que vers minuit. Soit après une sieste de huit heures ! Comme cela ne lui était jamais arrivé, elle s’en inquiéta. Puis, elle eut un soupçon et elle rendit visite au coffret qu’elle cachait dans son armoire et elle le trouva vide. Elle réfléchit longuement et elle soupçonna ses deux jeunes voisines de lui avoir fait avaler quelque chose qui l’avait fait s’endormir pour pouvoir la voler en toute quiétude.
Dès 8h du matin, elle prit le petit bout de papier que lui avait donné le jeune homme qui l’avait emmenée à l’hôpital et lui fit savoir qu’elle avait besoin de lui. Le jeune homme arriva et elle lui expliqua ce qui lui était arrivé. Il pensa comme elle, à savoir qu’elle avait été endormie pour qu’on puisse lui voler ses bijoux. Il l’accompagna au poste de police de Boudouaou où elle déposa plainte contre ses deux voisines mais discrètement pour que les éventuelles voleuses n’aient pas le temps de cacher le produit de leur vol. Le procureur délivra un mandat de perquisition et on trouva chez les deux voisines les bijoux de la vieille dame que celle-ci avait pris soin de bien décrire auparavant pour prouver qu’ils étaient à elle.
Les deux mères de famille ont été alors arrêtées et déférées devant la justice.
Après avoir affronté le tribunal de Boudouaou et la cour de Boumerdes, elles se sont vu infliger la peine de 18 mois de prison ferme.
(Fin)
(*) On ignore pourquoi la vieille dame voulait être soignée à l’hôpital Mustapha alors qu’elle habitait à Boudouaou.