Les Algériens se chamaillent pour n’importe quelle futilité, et la moindre contrariété peut les inciter à commettre les actes les plus fous et les plus répréhensibles. Le cas qui va suivre en est une illustration.
Abdenour, 36 ans, demanda ce matin-là à sa femme s’il avait une chemise neuve à se mettre et cette dernière se plaqua ses deux mains contre sa poitrine.
- Pourquoi es-tu si effrayée ? Qu’ai-je dit de mal ?
- Tu n’as rien dit de mal, Abdenour. Je suis juste effrayée par ce que tu n’as pas de chemise propre. Enfin, il y en avait une mais elle ne l’est plus.
- Mais qu’est-ce que tu racontes ? Tu ne sais plus ce que tu dis, ya bent ennas ! J’ai une chemise propre ou non ?
- En fait, j’ai lavé ta chemise, et ce matin avant que tu ne te réveilles, je l’ai prise du balcon pour te la repasser mais j’ai découvert qu’elle était sale…
- Tu l’as lavée et elle est sale ? C’est quoi cette histoire ? Tu l’as lavée avec de l’eau sale ou quoi ?
- Oh ! Comment peux-tu penser une chose pareille ? Non… c’est à cause des oiseaux de notre voisin d’au-dessus. Les fientes de ses oiseaux sont tombées sur tout le linge que j’ai lavé y compris ta chemise.
- C’est nouveau cette histoire de fiente d’oiseau.
- Non. Elle dure depuis un bon mois déjà. Et c’est depuis un mois que notre voisin a installé ses oiseaux sur ce balcon. Depuis un mois ?
- Oui, mais c’est la première fois que tes vêtements sont touchés.
- Mais pourquoi ne m’en as-tu rien dit ?
- Parce que j’ai peur de ta réaction et de celle de ce voisin. Toi, déjà, tu es nerveux… Quant à notre voisin, je dois avouer que je ne le connais pas mais je sais qu’il n’est pas commode. Il m’arrive de l’entendre en train de crier après sa femme. Un vrai volcan !
- C’est peut-être un volcan mais tu aurais dû me le dire… Jusqu’ à quand cela va-t-il durer ? Si on ne lui dit rien, demain il serait capable d’installer un poulailler dans son balcon. Voire une bergerie ! Bon, d’accord, je mettrai la chemise d’hier quant à ce délicat voisin, je lui en toucherai un mot à mon retour du bureau.
En fin d’après-midi, Abdenour rentra du travail et il sourit d’aise parce qu’il avait croisé son voisin dans la cage d’escaliers. Ainsi, se dit-il, il réglerait le problème sans avoir besoin de monter chez lui.
- Ah ! Bonsoir, Si-Mahrez. Justement, je voulais vous voir…
- Bonsoir Si-Abdenour… C’est à quel sujet ?
- Euh…voilà … c’est au sujet de vos oiseaux…
- Vous ne supportez pas leur chant ?
- Non, non, pas du tout. Je trouve leur chant merveilleux… Il faut être dérangé mentalement pour ne pas apprécier leur chant… surtout le matin…
- Ah ! oui, c’est vrai ? Vous les entendez souvent ?
- Oui, bien sûr… mais à l’aube avant qu’il n’y ait du monde dans la rue et tous les bruits qui nous empoisonnent l’existence.
- C’est gentil de vouloir me voir pour me dire tous ces mots qui me vont droit au cœur au sujet de mes oiseaux Si-Abdenour. Au revoir, mon frère…
- Euh… attendez, attendez Si-Mahrez. Je voulais vous dire aussi que vos oiseaux salissent notre linge.
- Pardon ?
- Oui… Les cages de vos oiseaux se trouvent sur le balcon et il se trouve qu’au- dessous de lui se trouve le balcon où ma femme étend le linge… Ce matin, j’ai dû remettre une chemise sale parce que celle que ma femme avait lavée a été salie par vos oiseaux.
- Mes oiseaux salissent vote linge ? comment ?
- Avec leur fiente.
- Avec leur fiente ? Comment est-ce possible ? Logiquement, ils salissent leur cage… Comment font-ils pour faire tomber leur fiente sur votre linge ? Ce n’est peut-être pas eux… Dans notre quartier, il y a beaucoup de pigeons, vous savez…
- Je sais, Si-Mahrez. Ma femme et moi avons pensé à cette éventualité… mais ce sont vos oiseaux… Ces fientes ont commencé à apparaître depuis que vous avez placé vos oiseaux sur ce balcon.
- Hum… d’accord mon frère d’accord… Je ferai le nécessaire pour que votre linge ne soit plus sali.
- Oh ! merci…merci… Si-Mahrez.
Abdenour s’attendait à ce que le voisin déplace lesdits oiseaux mais le lendemain matin dès qu’il eut ouvert les yeux, il se posta au balcon et il perçut leur chant. Il examina les vêtements que sa femme avait étendus et il les vit salis par des tâches noirâtres et jaunâtres. Il serra les dents, détacha les vêtements de leurs cordes et les prit avec lui pour les monter à son voisin. Il croisa sa femme dans le couloir et celle- ci lui demanda de se calmer parce que 6 h du matin n’était pas un moment pour sonner aux voisins.
- Et puis, ajouta-t-elle, ne te mêle pas de cela… je vais en parler à sa femme. Elle est aussi brute que lui mais je saurai m’y prendre. Je prendrai avec moi une boîte de jus de fruits et je monterai la voir. Les Algériens, il faut les prendre avec des pincettes. Le soir dès qu’Abdenour fut revenu du travail, il demanda à sa femme si elle était montée voir sa voisine et elle lui répondit :
- Oui, je suis montée chez elle avec une boite de jus qui m’a couté 85 DA et je lui ai montré notre linge.
- Et qu’est-ce qu’elle t’a répondu ?
- Elle m’a conseillé d’étendre le linge sur un des deux autres balcons que nous avons…
- Ah ! elle a dit ça ! Et qu’est-ce que tu lui as répondu ?
- Je lui ai répondu que c’est le seul côté de notre appartement qui reçoit beaucoup de soleil. Ensuite, je suis descendue et je me suis mise à regarder comment je pourrai placer mes cordes à linge dans les deux autres balcons…
- Ah ! Non ! Tu veux dire que tu te résignes et que tu acceptes que les oiseaux de ce voyou se soulagent sur nos têtes ? Tu sais ce que nous allons faire ?
- Non.
- Tu laves ma chemise, celle que j’ai payée à 1.800 DA… Je dors au balcon cette nuit. Si jamais ses oiseux la salissent… j’irai le voir pour m’expliquer avec lui.
Vers 22h alors que tout était calme, une grosse fiente, verdâtre cette fois-ci, tomba sur le col de la belle chemise d’Abdenour. Il regarda tout autour et il ne vit pas le moindre pigeon. C’était la preuve que les oiseaux de son voisin étaient les coupables.
Il monta chez lui et sonna. Ce fut Si-Mahrez qui ouvrit. Dès qu’il l’eut reconnu, il lui ferma violemment la porte au nez.
Sur le moment, Abdenour voulut défoncer la porte puis, il se retint et se dit que ce n’était pas la bonne réaction. Il voulait assouvir sa colère mais d’une autre manière. Il rentra chez lui et en ressortait avec un tube en acier qu’il avait destiné initialement à une antenne parabolique. Il se dirigea au parking du quartier et chercha après la voiture de son voisin. Quand il l’eut trouvée, il se mit à lui cogner dessus avec la barre de fer. Pour que les coups soient plus spectaculaires, il monta sur son toit et se mit à cogner contre le toit. Pendant ce temps, son voisin était sorti et armé d’un petit appareil photo numérique et s’était mis à le prendre en photo en pleine action de vandalisme.
Quand Abdenour descendit du toit de la voiture, il se sentit léger. Il avait assouvi sa colère ! Cela apprendra à son voisin à être méprisant envers les autres et à considérer le confort des oiseaux plus urgent que celui des humains.
Au milieu du mois de Ramadhan, Abdenour s’est retrouvé au tribunal de Bir Mourad raïs. Il a reconnu avoir voulu donner une bonne correction à son voisin qui l’avait méprisé et qui lui avait préféré ses oiseaux.
Trois ans de prison ferme et 50 millions de centimes ont été requis contre lui.