Le Midi Libre - entretien - Ces mots durs qui poussent vers la folie
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Adultère
Ces mots durs qui poussent vers la folie
18 Août 2011

Chez nous, quand une jeune fille dit qu’elle est prête pour le mariage cela signifie que son trousseau est achevé et que tous les gâteaux sont emballés dans des boîtes. Quand un jeune homme dit qu’il est prêt pour mettre un terme à son célibat, cela signifie qu’il a réuni tout l’argent nécessaire pour faire face aux dépenses et aux conditions imposées par ses futurs beaux-parents. Ni lui ni elle ne disent qu’ils sont prêts psychologiquement à affronter les mauvaises surprises que peut réserver une vie conjugale.

C’est ce qui est arrivé à un jeune couple qui avait convolé en justes noces durant l’été de l’année 1998. Moins d’une année après leur mariage, Nadia et Abdelkader s’étaient retrouvés confrontés à un problème que beaucoup de couples rencontrent mais qui leur avait paru aussi insurmontable que toutes les montagnes d’Algérie parce qu’ils n’y avaient jamais pensé : la stérilité. Dans un premier temps, le mari soupçonna sa jeune femme de prendre à son insu des contraceptifs. Ce contre quoi l’autre se révolta en lui tenant des propos désobligeants :
- Sache, ya wlid ennas, que dans ma famille on ne prend pas de contraceptifs et que toutes mes sœurs ont donné naissance à des bébés gros et beaux après juste sept mois de vie commune. Nous, nous en sommes à une année de mariage et rien ! C’est toi qui es malade !
- Non, je ne suis pas malade…J’ai lu dans un magazine scientifique que dans les pays du Maghreb, les femmes sont plus stériles que les hommes…
- Je m’en fous des magazines…
- Tu t’en fous des magazines, hein ? En attendant, moi j’ai dépensé une fortune pour t’épouser et j’ai satisfait toutes les conditions de tes chers parents et résultat des courses : ils m’ont fourgué une marchandise avariée !
- Ah ! Abdelkader ; s’il te plait ! Du respect ! Je ne suis pas une marchandise !
Au début de leur mariage, le couple vivait chez les parents d’Abdelkader et les disputes comme celle-ci étaient courantes, à raison de deux fois par semaine. La mère du jeune homme prit son fils en aparté et lui tint des propos qu’elle aurait peut-être dû tenir avant le mariage :
- Mon fils, vous passez votre temps à vous chamailler pour rien. Vous vous fatiguez inutilement. Vous avez devant vous deux solutions, pas plus : si tu vois que tu ne t’entends pas avec elle, il vaut mieux divorcer… Je sais que le divorce est une solution douloureuse lorsque le couple s’aime… mais je vois que cela n’est pas le cas. Depuis une année vous ne faites qu’échanger des insultes spectaculaires. Il y en a même dont j’ignorais l’existence.
- Par exemple, mère ?
- Une fois tu l’as traité de vache indienne…
- Cette insulte n’existe pas mère ; j’étais énervé alors j’ai dit ce qui me passait par la tête.
- Ah ! Bon ? Mais elle, elle t’a dit des choses abominables… Je n’ai pas envie d’entrer dans les détails, Abdelkader mais quand ce genre de propos sort de la bouche d’une femme, son mari n’a plus rien à espérer d’elle. La seconde solution consiste à aller voir un médecin pour savoir qui est stérile. Si c’est elle, ton calvaire est terminé : tu divorces et on ramène une autre fille !
- Ah ! Non, maman… Je ne suis pas prêt à me remarier… Si nous allons voir un médecin, c’est dans l’espoir qu’il nous guérisse…
- Non ! s’écria la mère. Il ne va pas vous guérir tous les deux mais uniquement celui qui est malade… Il est peu probable que vous soyez stériles tous les deux.
Après de nombreuses radios et analyses, il s’avéra que c’était Nadia qui souffrait de stérilité. Dès lors celle-ci décida de se faire toute petite. Il n’était plus question de répondre aux propos déplacés d’Abdelkader lorsqu’il lui arrivait dans ses moments de colère de faire allusion à
« l’arnaque » dont il avait été victime en lui faisant payer le prix fort pour « une marchandise invendable ». Elle savait que chaque jour que Dieu ferait sa belle-mère harcèlerait son fils pour qu’il la fasse partir. Et elle avait raison. Tous les jours, la mère disait à son fils :
- Si tu décides de la soigner, tu vas dépenser tout ton argent pour un résultat qui n’est pas certain. Pourquoi ne pas divorcer et ramener une autre femme ?
- Et si cette seconde femme est stérile aussi, mère ?
- Ah ! Non. Cette fois-ci nous prendrons nos dispositions.
- Nous lui demanderons si elle est stérile ? ironisa Abdelkader.
- Non… Nous choisirons une fille qui a des sœurs mariées et qui n’ont pas connu ce type de problème.
- Non, maman… Nadia est une brave femme… Je m’entends bien avec elle malgré nos disputes et les mots durs que nous échangeons… Et puis depuis quelque temps, elle est devenue très sage…
- Mais bien sûr, idiot ! Elle sait qu’elle est fautive… Ah ! Il ne lui manque plus qu’elle élève la voix ! Je l’étranglerai de mes propres mains ! Elle apporte la désolation et la tristesse dans ma maison et elle ouvre la bouche !
- Maman, tu es en train de dramatiser la situation pour rien… Elle est juste stérile. J’en ai discuté avec un grand médecin et il m’a dit qu’il y avait très peu de cas désespérés en matière de stérilité. Il est courant que des femmes stériles enfantent après des soins et quelques interventions… Il y en a même qui guérissent sans l’intervention de la médecine…
- Non… Non… je ne suis pas d’accord avec toi, Abdelkader. Pourquoi dépenser quelque 40 ou 50 millions de centimes en soins et attendre des années et des années pour avoir un bébé que tu n’auras peut-être pas en fin de compte alors que tu peux en avoir un dans moins d’une année… avec une autre femme que je t’aurai moi-même choisie cette fois-ci ? Et tu n’auras pas à dépenser plus d’un million de centimes… juste la somme qu’il faut pour un bon
couscous avec de la viande de bœuf.
- Je vais me marier avec seulement un million de centimes, mère ? Pourquoi ne m’as-tu pas montré ton astuce auparavant quand je me préparais à épouser Nadia ?
- Parce que tu t’es adressé à des gens qui posent des conditions… Rappelle-toi ce que ton père a dit… Tu te rappelles ce qu’il a dit lors de la demande en mariage ?
- Oui. Il a dit qu’il n’était pas à l’aise lorsqu’il a discuté avec le père de Nadia et ses deux oncles paternels.
- Oui. Il n’était pas à l’aise. Ton mariage t’a coûté les yeux de la tête. Ton père et moi connaissons des gens très simples qui seraient heureux de voir leurs filles se marier. Non seulement, ils n’imposent pas de conditions mais ils sont prêts à payer pour leur trouver un bon mari et une famille qui respecte les belles-filles et leurs parents…
Quand il restait seul et qu’il méditait les propos de sa mère, Abdelkader se disait qu’elle avait raison sur toute la ligne. Elle avait oublié juste un détail de… taille : Nadia, il l’aimait à la folie. Et c’est avec elle qu’il envisageait de vivre jusqu’à la fin de ses jours.
Mais qui aime bien, châtie bien, dit-on. Abdelkader parvint à acquérir un appartement dans le cadre d’une promotion immobilière et à emménager seul avec sa femme pour la protéger et pouvoir la soigner sans avoir à subir quotidiennement le harcèlement moral de sa mère et le regard désapprobateur de son père. Mais en même temps, il n’arrêtait pas de se disputer avec sa femme qu’il traitait de tous les noms. Plus d’une fois, il lui avait dit sous l’effet de la colère qu’il ne savait pas ce qu’il lui avait pris de l’avoir épousée alors qu’elle n’avait rien d’une femme. Des propos très blessants qui s’avèreraient, par la suite, lourds de conséquences.
En 2011, Nadia et Abdelkader étaient mariés depuis treize ans. Treize ans d’amour, de disputes, de bouderies et de réconciliations. Il arrivait parfois qu’Abdelkader fasse chambre à part pendant un mois et Nadia pendant ce temps se remémorait toutes les insultes proférées par son mari, notamment celle où il l’accusait de n’être pas une vraie femme. Une insulte qui lui faisait très mal et qui lui faisait penser qu’elle n’avait plus rien à faire avec lui. Plus d’une fois elle fut à deux doigts de retourner chez ses parents mais au dernier moment, elle se ravisait. Un divorce causerait beaucoup de mal à ses parents. Et puis, elle était convaincue qu’elle finirait par avoir un enfant, un jour. Mais pendant ce temps les années s’étaient écoulées.
En juin dernier, Abdelkader rentra chez lui plus tôt que prévu et il eut la surprise de trouver un jeune homme chez lui. Il ne le connaissait pas mais il se rappela l’avoir déjà vu non loin du marché couvert de Rouiba. Celui-ci profita de la surprise qui avait paralysé Abdelkader pour s’enfuir.
Abdelkader était si choqué d’apprendre que sa femme le trompait que pendant une heure environ, il avait l’impression de rêver. Ensuite, une fois acquise la certitude qu’il ne rêvait pas, il se demanda ce qu’il y avait lieu de faire : L’étrangler jusqu’à ce que mort s’ensuive et faire subir le même sort à son amant ou… D’un revers de la main, il balaya cette idée macabre et se rendit au poste de police pour déposer plainte contre sa femme et son amant.
Il y a quelques jours, cette affaire a été traitée à huis-clos par le tribunal de Rouiba. (*) Nadia a expliqué qu’elle avait décidé de prendre un amant parce qu’elle avait besoin de se prouver qu’elle était femme contrairement à ce que son mari ne cessait de lui ressasser. Quant à son amant, il s’est défendu en avançant qu’il croyait sa maîtresse divorcée comme elle le lui avait laissé entendre.
Cinq ans de prison ferme assortie d’une amende de 100 mille dinars ont été requis contre l’amant et deux ans de prison ferme contre Nadia.
Quant à Abdelkader, il ne lui reste plus qu’à demander à sa mère de lui ramener une femme à un… million de centimes !

kamelaziouali@yahoo.fr

(*) Nous avons, dans cette affaire,
préféré changer les prénoms des
protagonistes.

Par : Kamel Aziouali

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