Peu après la descente d’Alice au Pays des Merveilles dans le roman de Lewis Carroll, elle se retrouve engagée avec la Souris, le Canard, l’Aiglon et le Lori dans une course dépourvue de tout départ ou d’arrivée bien définis. Une demi-heure plus tard, ils demandent à l’organisateur de la course, le Dodo, de donner le vainqueur. L’oiseau réfléchit, puis proclame : «Tout le monde a gagné et tout le monde doit recevoir un prix».
Depuis 75 ans, ce même verdict est appliqué à l’étude de la psychothérapie: Alice et les animaux sont comme des patients qui, chacun, choisissent leur propre mode de traitement et trouvent leur propre chemin vers le bonheur. Peu importe le style de thérapie qu’ils suivent, freudienne, béhavioriste cognitive ou interpersonnelle, car au bout du compte, chacun se sentira mieux.
On sait que la thérapie fonctionne — les études ont constaté qu’elle est à peu près aussi efficace que les antidépresseurs dans le traitement des dépressions modérées à sévères — curieusement, toutefois, ces bénéfices semblent être obtenus quelles que soient les croyances théoriques du thérapeute. Cet effet — ou plutôt, cette évaluation du champ de la psychothérapie — est appelé le verdict du dodo. Tous les patients sont récompensés.
Néanmoins, certains chercheurs avancent que le verdict du dodo est loin d’être une affaire classée. Ils concèdent qu’aucune forme établie de traitement ne présente d’avantage dans le cas d’adultes légèrement déprimés, et sont d’accord sur le fait que dans de tels cas, une intervention, quelle qu’elle soit, vaut mieux que rien du tout. Cela ne signifie pas pour autant que tous les traitements soient égaux dans tous les cas. La thérapie béhavioriste cognitive, par exemple, sera plus adaptée aux patients souffrant de troubles paniques. Les thérapies d’exposition semblent mieux fonctionner sur les syndromes de stress post-traumatique.
Le débat donne lieu depuis 35 ans à pléthore d’études concurrentes. Mais la question de savoir si ou non le dodo possède des ailes devrait bientôt se poser de façon encore plus prégnante pour les Américains. Dans le cadre de la loi sur la réforme de la couverture santé adoptée l’an dernier, les traitements psychologiques vont devenir accessibles à plus de gens, et patients comme assureurs exigeront de connaître la meilleure façon de dépenser leur argent et leur temps. Le verdict du dodo doit-il être infirmé ?
La notion selon laquelle aucune thérapie n’est supérieure à une autre vient des années 30 et de Saul Rosenzweig, alors chercheur associé à la Harvard Psychological Clinic. Ses idées sur la question furent façonnées par son intérêt pour l’histoire des techniques curatives, des rois qui guérissaient par application du «toucher royal» à la chaise rotative thérapeutique proposée par Erasmus Darwin en passant par les théories de Sigmund Freud.
Rosenzweig pensait que ces guérisseurs et ces traitements (qu’il avait immortalisés par un curieux accrochage mural dans son bureau) fonctionnaient de la même façon sur l’esprit des patients — ils se servaient de rituels et de mise en scène pour pratiquer le traitement. Si cette approche avait fonctionné pendant des centaines ou des milliers d’années d’histoire humaine, raisonnait-il, pourquoi en irait-il différemment des thérapies mentales contemporaines ?
Le verdict du Dodo,
une recette fourre-tout
En 1936, Rosenzweig proposa une recette fourre-tout de traitement — n’importe quel traitement — dans un article fameux nommé : « Facteurs implicites communs dans diverses méthodes de psychothérapie ». Les ingrédients les plus fréquemment cités aujourd’hui comprennent le lien collaboratif entre patient et thérapeute, connu sous le nom « d’alliance thérapeutique », la fourniture d’une base théorique crédible de normalisation de la détresse du patient, et l’espoir rassérénant ressenti par le patient une fois qu’il a entrepris la thérapie.
Au fil des années, les arguments de Rosenzweig ont été étayés par la littérature scientifique. Un important article datant de 2002 rassemble 17 études antérieures consacrées aux mérites relatifs de différentes psychothérapies, principalement dans le domaine de la dépression. Les auteurs y constatent que les traitements — parmi lesquels les thérapies behavioristes cognitives, psychodynamique et de désensibilisation systématique — ne montrent que des différences minimes en termes de résultat, et en concluent que le verdict du dodo est toujours «en vie et en bonne santé — à peu de chose près».
La seule restriction renvoyant à quelques données suggérant que le traitement psychodynamique à court terme — qui se concentre sur la façon dont les expériences passées affectent votre vie présente — ne fonctionne pas aussi bien que la thérapie béhavioriste cognitive. Des études similaires (celle-ci, celle-ci, et celle-ci) confirment le verdict du dodo avec des champs d’application moins étendus. Les adeptes des différentes écoles de thérapie détestent le verdict du dodo, bien entendu. Les plus chiffonnés sont les béhavioristes cognitifs, qui tirent depuis longtemps une grande fierté de leurs méthodes rigoureusement testées et standardisées. De fait, de nombreux essais randomisés et contrôlés indiquent que la thérapie béhavioriste cognitive est plus efficace pour le traitement de l’anxieté et de la dépression que les placebos et qu’elle soutient la comparaison avec les antidépresseurs. Ces résultats ne sont pas contestés. Mais ils ne réfutent pas pour autant le verdict du dodo, puisque d’autres formes de thérapie sont susceptibles d’être tout aussi efficaces.
Pour les détracteurs du dodo, si différents traitements psychothérapeutiques peuvent apparaître comme apportant des améliorations similaires au cours d’un essai clinique, ce n’est pas dû au fait qu’ils ont le même effet. Plutôt, les différents mécanismes d’action ont comme conséquence d’amener les patients à distance égale sur le chemin de la guérison. Pour étayer cette idée, ils renvoient vers des études démontrant que l’alliance thérapeutique, supposément l’un des facteurs clé commun à toutes les thérapies, n’a qu’un impact modéré sur le résultat du traitement : même si les patients rapportent un lien extrêmement fort avec leur thérapeute, ce n’est pas suffisant pour garantir une amélioration. Les détracteurs citent également des études indiquant que selon le trouble, certaines formes de traitement semblent fonctionner mieux que d’autres. Deux études du milieu des années quatre-vingt-dix constataient que les patients atteints de troubles paniques retiraient un plus grand avantage de la thérapie béhavioriste cognitive qu’un traitement connu sous le nom de «thérapie par relaxation appliquée» (selon les propres données de l’inventeur de la relaxation appliquée, il en va tout autrement).
Parallèlement les patients atteints de syndrome de stress post-traumatique s’en tirent mieux quand on leur demande de se confronter à des souvenirs traumatiques qu’en apprenant des stratégies de gestion de l’anxiété (à ceci près : la plupart des patients du groupe de gestion de l’anxiété avaient quitté le programme, ce qui est susceptible d’avoir biaisé les résultats).
L’autre argument des opposants au dodo, c’est que les études comprises dans l’enquête, qui sont les bases du verdict du dodo, commettent diverses erreurs méthodologiques. Par exemple, elles se reposent fortement sur certains troubles, tels que la dépression et l’anxiété chez l’adulte, et n’intègrent que peu ou pas d’exemples d’autres patients, tels que les personnes affectées de psychoses ou les enfants. Elles ont également tendance à se concentrer sur les traitements familiaux, comme la thérapie béhavioriste cognitive et la thérapie psychodynamique, au lieu de tester tout l’éventail des traitements disponibles. De ce fait, elles n’offrent pas une évaluation équitable de l’efficacité comparée des différentes psychothérapies.
Un débat en voie de disparition
Pour parachever le tout, le débat est compliqué par la question délicate des capacités du thérapeute lui-même. Les meilleurs praticiens et les plus expérimentés obtiennent de meilleurs résulats — ce point semble acquis. Mais il existe peu d’études de l’influence que peuvent avoir les talents d’un thérapeute en particulier sur l’efficacité d’un traitement.
Le fait même de définir ces qualités peut être complexe. Une étude s’est penchée sur les données d’un important essai du National Institute of Health sur la dépression, pour en conclure que les meilleurs thérapeutes n’étaient pas les plus expérimentés, mais ceux qui préféraient parler à leurs patients plutôt que de leur prescrire des médicaments et qui acceptaient le fait qu’une thérapie par la parole requièrt un temps très long.
Aujourd’hui, de nombreux chercheurs éludent complètement le débat sur le dodo. Plutôt que de tenter d’établir si ou non une thérapie fonctionne mieux qu’une autre, ils cherchent des façons simples de rendre toutes les thérapies plus performantes. Certains facteurs qui n’ont que peu à voir avec les fondations théoriques d’un traitement peuvent avoir des conséquences énormes. Les capacités du thérapeute à établir un lien solide avec le client, par exemple, et la façon dont il ou elle donne ses instructions à ses patients sont toutes deux à même d’influencer le résultat d’une intervention, quelle qu’elle soit. Certaines recherches se sont portées sur les caractéristiques des patients et montré que les gens qui ont tendance à se dérober aux demandes et se sentent facilement provoqués réagissent mieux aux thérapeutes qui les autorisent à prendre l’initiative dans la conversation. Ce qui peut sembler évident, mais fut vérifié quelle que soit la perspective théorique du thérapeute, suggérant une fois de plus qu’il est possible d’ajuster n’importe quel traitement pour en optimiser l’impact.
Patients et assureurs se demandent peut-être encore si le dodo doit être classé parmi les espèces éteintes, et s’il est important de savoir quel traitement on suit. Il est au moins une étude en cours, sur les troubles paniques, qui espère confirmer ou infirmer ce verdict aujourd’hui classique. Elle est dirigée par des chercheurs de l’Université de Pennsylvanie et de Cornell, appartenant aussi bien aux écoles psychodynamique que béhavioriste cognitive, et compare les deux traitements sur une population d’environ 200 personnes sujettes aux attaques de panique. L’idée est d’arriver à supprimer tout biais tout en assurant que les patients de l’un et l’autre des groupes de traitement reçoivent des soins de haute qualité.
On ne sait pas encore si l’étude va sauver le dodo ou le tuer pour de bon. Au minimum, on devrait en apprendre un peu plus.