Enregistré à Prague en raison de la situation qui prévalait alors au nord du Mali, le troisième album de Tamikrest intitulé "Chatma Mes Sœurs", ancre un peu plus ce groupe touareg sur la scène internationale.
Tamikrest n’est pas simplement l’un des meilleurs groupes de blues du Sahara. Considérés dès la sortie de leur premier album en 2009 Adagh comme les fers de lance de la nouvelle génération touareg, ces héritiers légitimes de Tinariwen ont défriché depuis bien longtemps les pistes entre le blues du désert et le rock de l’Occident.
Ce troisième album le rappelle en affinant la fusion des genres, avec tour à tour des batteries qui cognent Djanegh Etoumast, puis des mélodies que les djembés et calebasses suffisent à sublimer Adounia Tabarat. On y trouve aussi des tempêtes de sable traversées de guitares brûlantes Itous, puis des complaintes intimistes qui résonnent dans les nuits glacées du Sahara Timtar. En studio, l’Américain Chris Eckman du label Glitterbeat, complice du groupe depuis le début de leur aventure discographique, canalise leur fougue sur l’excellent Tisnant an Chatma, avant de restituer une sorte de dub du désert sur le lent et céleste Assikal.
Qui pourrait encore affirmer, après l’écoute de ces dix titres intenses, que le blues touareg ne se renouvelle pas avec panache actuellement ? Tamikrest aiguise un son unique et singulier depuis 2006, et Chatma en est l’ultime aboutissement.
Cet album les mènera encore en tournée dans les capitales européennes cette année (le 15 octobre à La Maroquinerie de Paris). Mais cette reconnaissance jusqu’en Occident n’est pas un aboutissement en soit pour le groupe, leur leader Ousmane Ag Mossa rappelant que le véritable enjeu dépasse de loin toute notion de réussite artistique : « Même si la musique m’apporte une meilleure vie et un peu de confort, ça ne vaut rien tant que les miens sont marginalisés et persécutés. (…) Au fl des années, rien ne s’améliore vraiment à Kidal.
Il faut venir ici pour voir comment nous vivons, ce n’est pas Bamako, c’est un autre monde. Personne n’investit pour le développement de cette ville, 90% des jeunes sont au chômage. » Ainsi parlait Ousmane lors d’une interview en 2011, déjà. Quelques mois plus tard, sa ville de Kidal allait devenir l’un des bastions stratégiques des islamistes radicaux. Les jeunes touaregs pacifistes de Tamikrest, dont le nom signifie « rassemblement » le regrettent d’autant plus que leurs refrains aient toujours été imprégnés de la souffrance de leur peuple et de ses revendications identitaires.
À propos de la guerre récente ayant ravagé le nord du Mali, Ousmane ne parle jamais de victoire, ni de défaite. Il évoque juste une terrible déchirure dans sa communauté. L’absence, la trahison, la douleur, la révolte, l’espoir… Autant de tiraillements que Tamikrest transforme en musique et habille de poésie. Le groupe chante d’abord, toujours, pour les siens, et ceci bien que leur audience soit désormais internationale.
Leur précédent disque en 2011 s’intitulait Toumastin, ce qui signifie en tamasheq « Mon Peuple ». Le nouveau se nomme Chatma, Mes Sœurs. Il est dédié à toutes les femmes meurtries qui, en silence, souvent loin des caméras de télévision, ont enduré les blessures du confit jusque dans leur chair. La traduction du refrain de Tisnant an Chatma est explicite :
« Qui peut comprendre la souffrance de l’âme de celui qui observe ses sœurs épuisées par la contrainte de vivre entre les frontières dans la profonde douleur et l’oppression quotidienne ? » Les observateurs les plus attentifs auront noté que la choriste Wonou Walet Sidati, membre historique de Tamikrest, n’a jamais été placée sur le côté avec un micro pendant les concerts. Elle danse et chante au milieu de la troupe, souvent en première ligne sur le devant de la scène.