L’Établissement Arts et Culture a organisé, mardi dernier, un grandiose hommage au défunt feu El Hadj M’hamed el Anka à l’occasion de la commémoration du 33e anniversaire de sa disparition. Étaient présents à cet hommage l’écrivain et professeur universitaire, Mohamed Touzourt ainsi que le chanteur-animateur, Yacine Bouzama. Cet évènement avait pour principal objectif de mettre en exergue la personnalité et l’apport du disparu à la chanson chaâbie.
Les conférenciers ont beaucoup parlé de la vie artistique du défunt, ses débuts dans la chanson, le choix des textes écrits, et les importantes dates vécues par l’artiste. «El Anka a modernisé la chanson chaâbie utilisant des instruments classiques, par l’apport d’un ensemble d’instruments modernes de l’époque» a expliqué Yacine Bouzama. En effet, le chaâbi, sous sa forme actuelle, doit son existence à El Hadj M’hamed el Anka. Pour cela, il est considéré comme l’incontestable père et créateur de ce genre de musique populaire qui tire son origine du «moghrabi» dont le maître fut cheikh Mustapha Nador. Ce dernier, ayant remarqué el Anka, à peine âgé de treize ans, l’intégra dans son orchestre où il fait ses débuts comme «tardji» (joueur de tambourin). Après cela, il se prit de passion pour la mandoline. Sous l’œil attentif du maître, il ne tarda pas à percer tous les secrets de cet instrument qui avait une place de choix dans les ensembles musicaux de l’époque. En se frottant aux grands noms du milieu artistique, il a réussi à peaufiner ses différents talents grâce à ses capacités d’assimilations et à ses dons multiples en la matière. Au départ, il puisait dans le répertoire du «medh», chansons religieuses en louanges à la gloire du Prophète (QSSSL) et des Saints de l’Islam, ce qui l’amena à s’imprégner davantage des anciens textes transmis oralement de génération.
El Anka, cheikh incontesté
du chaâbi
Le futur cheikh se chargea d’amender la transcription de certains d’entre eux car ils étaient fortement rongés par le temps. La tradition du «medh» s’est vue ainsi rénovée et enrichie d’un apport nouveau : la musique andalouse. Mais à part cheikh Nador, son père spirituel, el Anka a eu à visiter plusieurs sources et ce, afin de parfaire, au mieux, sa formation dans ce genre musical fort particulier. De là, il s’est pris de passion pour les œuvres des grands cheikhs à l’instar de Saidi Abderrahmane, Cheikha Yamma bent el Hadj el Mahdi, Ben Ali Sfindja et Saïd Derraz. «El Anka a consacré la maleure partie de son temps à rechercher les meilleurs textes magrébins, afin de les traduire en chansons» Dira Mohamed Touzourt. En 1926, lorsque survînt la mort de cheikh Nador, par la force des choses, le flambeau fut repris par el Anka qui est devenu, de la sorte, le chef de file reconnu et fort apprécié par ses pairs. Pour assurer beauté et richesse à ses textes, il s’est fait entourer de deux spécialistes en la matière : Sid-Ahmed Ibnou Zikri et Sida li Oulid Lakehal. Méticuleux dans son travail, ne laissant rien au hasard, il a pris soin d’intégrer dans sa troupe les meilleurs musiciens de l’époque. À partir de 1928, année charnière de sa carrière artistique, il entre en contact avec Columbia, une grande maison d’édition où furent enregistrés 27 de ses disques. Il participa à l’inauguration de l’ENRS (ex-Radio PTT d’Alger). En 1932, à l’occasion de la Fête du trône, le roi du Maroc l’a reçu en qualité d’invité de marque. Son pèlerinage aux Lieux Saints de l’islam s’est réalisé en 1936 et, pour la circonstance, il composa la sublime chanson El houdja. Dès son retour, il se lança de nouveau dans d’innombrables tournées aux quatre coins du pays et au sein de l’émigration, en France.
Des chants kabyle à ses débuts
Durant la Seconde Guerre mondiale, il a eu à traverser une période difficile. Il a fallu attendre 1946 pour le voir renouer avec son grand amour et prendre la direction de l’orchestre populaire de la station radiophonique d’Alger. Une longue traversée du désert eut également lieu pendant la révolution. A l’Indépendance, il reprit en mains l’orchestre de la RTA qu’il quittât définitivement en 1964 pour incompatibilité d’humeur avec les responsables de l’époque. Pour el Anka, la dignité humaine ne se marchande pas. Il n’était pas du genre à se laisser marcher sur pieds. Au départ, el Anka s’est essayé à la chanson kabyle. Quelques œuvres ont été répertoriées dont la plus célèbre s’intitule A mmi âzizen (ô, chers fils), chanson composée en 1936 et qui est reprise par certains chanteurs en son hommage. L’autre grand mérite d’el Anka est d’avoir réussi le pari de sortir le chaâbi des cafés et autres lieux de rencontre, en le rendant accessible au grand public.
«Ce monument de la culture populaire a, durant sa carrière, interprété plus de 360 qaçaîds (poème) et produit quelque 130 disques» assure Mohamed Touzourt. Enfin, Les chef-d’œuvres Lahmam lirabitou, Sebhan ellah ya ltif et Win saâdi win suffisent pour nous renseigner sur la grandeur d’un des plus grands piliers de la culture algérienne.