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Colloque international
Abdelmalek Sayad, migrations et mondialisation
14 Fevrier 2013

Si le fait migratoire figure parmi les préoccupations des nations de nos jours, il n’est pas pour autant un fait social nouveau, il est aussi vieux que l’humanité et est constitutif de toute société humaine. En tous temps, les individus se sont déplacés et ont déplacé avec eux leur culture, leurs valeurs, leurs savoir et savoir-faire et ont transformé à la fois leurs sociétés d’origine et celles de destination.



Le fait migratoire, dans sa définition minimale, consiste à quitter l’environnement initial de vie pour s’établir dans un autre. Par ailleurs, ce fait social renferme une pléthore de trajectoires : il est temporaire ou définitif, volontaire ou forcé, brusque ou lent, spontané ou organisé, individuel ou massif, etc. Ces formes de migrations ont toujours existé à travers l’histoire.
Le fait nouveau en ces temps modernes est que ce fait social se situe dans un autre contexte, celui de la mondialisation en l’occurrence. Si les sociétés antiques et médiévales s’ignoraient relativement et se contactaient par le biais des guerres et du commerce à longue distance comme disait Samir Amin, les sociétés contemporaines, elles, sont toutes liées et articulées dans un seul système mondial, aussi bien sur le plan économique que sur le plan politique, voir culturel. Ce système, pour le nommer, est le système libéral qui proclame la liberté de circulation des marchandises, des capitaux, des personnes et des informations.
Ainsi, la circulation des personnes, les migrations donc, est posée apparaît comme l’un des éléments constitutifs de la mondialisation. Mais, paradoxalement, s’il y a un intérêt certain pour le fait migratoire aujourd’hui, il ne l’était pas d’une manière unanime dans les sciences sociales depuis les débuts du 20 ème siècle.
En effet, dans le monde anglo-saxon, l’étude des migrations figurait parmi les apports fondamentaux de l’école de Chicago. Les travaux de W. Thomas et F. Znanicki sur le paysan polonais en Europe et en Amérique, ceux de L. Wirth sur le ghetto ou ceux de R. Park et F. Burgess sur les relations raciales, ont jeté les bases d’une sociologie des migrations par la construction de modèles théoriques et l’objectivation des processus migratoires, mais aussi
dans le volet méthodologique par l’utilisation innovante de techniques de recherche plutôt qualitatives telles les récits de vie et l’enquête ethnographique.Les choses ont été différentes du côté français. L’émergence d’un champ d’étude spécifique sur le phénomène migratoire était difficile malgré le fait qu’il y ait eu un intérêt politico-médiatique certain pour « le problème des immigrés ». Plusieurs facteurs ont été avancés pour expliquer cet état de faits : la division du travail scientifique (l’étude de l’immigration est une tradition établie en démographie et en géographie humaine), l’héritage de l’école durkheimienne (qui ne s’est pas intéressée à l’étude des migrations, à l’exception de M. Halbwachs), le poids de l’analyse marxiste (qui privilégie avant tout l’analyse en termes de classes sociales et de l’armée de réserve), les représentations collectives de la société française (notamment celles liées à la mémoire coloniale). Mais le facteur le plus important est, peut-être, que l’étude du fait migratoire soit restée marginale dans le champ scientifique, parce que son objet d’étude lui-même, à savoir la personne du migrant, était marginale.Cette dernière proposition, faut-il le rappeler, est due à Abdelmalek Sayad. Il fallait attendre cet « ethnologue organique de la migration algérienne » comme disait Pierre Bourdieu pour voir constituer une contribution sociologique originale dans l’étude des migrations. Originale parce qu’elle est une application des plus lucides des fondements épistémologique, théorique et méthodologique de la sociologie sur un objet d’étude qui est demeuré longtemps marginalisé. Abdelmalek Sayad, à travers plusieurs entrées comme le montre sa bibliographie (famille, politique, religion, etc.), ne cesse de montrer en quoi « la condition migratoire » est révélatrice non seulement des structures intra et intersociétaires, mais aussi des structures les plus profondes de l’inconscient individuel et collectif. Cette œuvre remarquable s’étalait sur presque quarante ans en articulant d’une manière rigoureuse le travail de l’enquêteur et celui du théoricien. Abdelmalek Sayad incarnait cette figure si chère à Wright Mills, celle de « l’artisan intellectuel ».Abdelmalek Sayad est décédé en 1998. Plusieurs colloques et rencontres ont été dédiés à sa mémoire et à son œuvre. Ce colloque est une autre occasion pour rendre hommage à ce grand sociologue algérien. L’exercice porte sur la confrontation des théorisations d’Abdelmalek Sayad avec les nouvelles données sur les migrations à l’heure de la mondialisation. Le questionnement principal de ce colloque est de savoir dans quelle mesure cet héritage conceptuel élaboré sur la base de l’étude de l’émigration-immigration algérienne en France pourrait permettre de comprendre et d’interpréter l’évolution actuelle de la migration des Algériens et également les autres expériences migratoires en tenant compte de la dimension mondiale du phénomène.
Pour répondre à ce questionnement, quatre axes de réflexion sont proposés dans ce colloque :
Le premier axe concerne l’œuvre d’Abdelmalek Sayad. L’objectif étant de mieux connaître cette œuvre, en précisant le contexte historique de ses orientations et choix, en mettant en rapport sa production sociologique et ses prises de position épistémologiques, en analysant les notions et les concepts qui tiennent une place centrale dans ses analyses.Le deuxième axe concerne la relation migrations-mondialisation. La mondialisation amplifie-t-elle les migrations ? Quelles sont les caractéristiques de la mondialisation les plus actives (dimension économique, politique, symbolique)? La globalisation économique et surtout la financiarisation de l’économie fonctionnent-elles, toute proportion gardée, comme la colonisation : la colonisation, comme l’ont montré Pierre Bourdieu et Abdelmalek Sayad, en paupérisant les paysans, a rendu en quelque sorte l’émigration nécessaire ; la globalisation économique, pour sa part, en modifiant les modes de production agricole, en délocalisant les entreprises, en entrainant la fermeture de secteurs économiques, rend-elle la migration inévitable ? Le troisième axe concerne les émigrations-immigrations autres que celles étudiées par Abdelmalek Sayad. Dans cet axe, il ne s’agit pas de recenser de manière exhaustive toute les migrations mondiales mais d’utiliser les modèles d’analyse élaborés par Abdelmalek Sayad pour aider à re-penser l’émigration-immigration. Les communications portant sur des migrations issues ou visant d’autres pays que l’Algérie et la France pourraient mettre en
œuvre ces modèles et permettre de tester leur validité heuristique.
Le quatrième axe concerne les études « post-Sayad » de l’émigration-immigration algérienne. Cette dernière était le substrat empirique des théorisations d’Abdelmalek Sayad, il
est important d’interroger ces théorisations à la lumière des nouvelles données telles la féminisation de l’émigration-immigration, la Harga, les nouvelles législations, etc. Le modèle « des trois âges » élaboré dans les années 70 est-il toujours pertinent ? Y a-t-il un quatrième âge propre à la période actuelle marquée justement par les effets structurels de la mondialisation? Et, vu la consolidation institutionnelle du champ d’étude sur le fait migratoire, y a-t-il en même temps un affaiblissement de son ethnocentrisme signalé par Abdelmalek Sayad ?


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