«Dessous, faiblesses et fractures dans le monde arabe contemporain» ce joli assortiment de mots est le titre de la conférence sur un sujet épineux qu’a donnée mercredi en fin de journée Georges Corm, ancien ministre des finances libanais et expert financier et économique à la salle de conférence du 15e salon international du livre d’Alger.
Dans sa conférence Corm a établi un constat sans complaisance du monde arabe, soulignant d‘emblée que cet ensemble géopolitique se signale que par des aspects négatifs dont le trait le plus patent est selon lui la fuite des cerveaux vers l‘Europe et l‘Amérique. Le conférencier, après s‘être interrogé sur les causes de l‘arriération du monde arabe a imputé la cause au fait que « les Arabes n‘exercent plus le pouvoir depuis 9 siècles ». Selon Corm « au lendemain du gouvernement des khalifes Rachid et al-Mamoun sous les Abbassides, l‘élément arabe a cédé le pouvoir successivement à l‘élément turc, mamelouk et ottoman » et d‘ajouter « depuis la dynastie des Mouabides, le pouvoir arabe est devenu un pouvoir symbolique ». « On ne va plus retrouver les Arabes poursuit l‘orateur depuis la fin du XIe siècle, même en Andalousie, on va assister à la guerre des rois de la taïfa » Tout se passe comme si les Arabes a-t-il ajouté "avaient décidé qu‘ils étaient fatigués du pouvoir, depuis ils ont commencé à se prélasser dans l‘imaginaire ». Et Georges Corm de déplorer le fait que « les historiens arabes n‘aient accordé aucune importance à ce fait historique pertinent qui illustre l‘absence au pouvoir des Arabes pendant 9 siècles ». Cette interruption de 9 siècle indiquera l‘orateur prendra fin avec l‘effondrement tour à tour du pouvoir ottoman, des colonialismes français et britannique. « Soudainement dira Corm les Arabes vont se retrouver sous le joug des colonialismes après ces 9 siècles d‘interruption d‘exercice du pouvoir ». Selon lui le premier dirigeant arabe qui apparaît après cette longue interruption est l‘Egyptien Gamal Abdel Nasser. C‘est le premier chef arabe qui va s‘adresser aux Arabes en langue arabe souligne le conférencier. Ses prédécesseurs d‘ascendance mamelouke ou albanaise n‘avaient pas la maitrise de l‘arabe explique-t-il. L‘orateur invite à la comparaison avec les Turcs et les Perses. Le pouvoir n‘a jamais échappé d‘après lui à ces peuples ils ont construit des Etats, l‘Iran revient dira-t-il et s‘impose au Moyen-Orient face à Israël alors que les Arabes ont rompu avec l‘art de la gouvernance » fera-t-il observer. Pour Georges Corm cette histoire malheureuse trouve un prolongement à l‘époque actuelle. Le monde arabe selon lui est miné par les conflits non seulement opposant les Etats, les uns aux autres, mais aussi par des conflits internes. Cette force néfaste dira-t-il « s‘exprime avec une telle énergie chez les Arabes qu‘au point que, depuis l‘époque de Napoléon Bonaparte, les armées étrangères entrent comme elles veulent dans notre région arabe ». Et de rappeler « la derrière armée qui est rentrée, c‘est l‘armée américaine avec les armées coalisées qui ont envahi d‘une manière cruelle l‘Irak avant de le détruire et de le reléguer à l‘âge de la pierre, comme l‘a promis le président Bush ». « Je suis issu de la génération des premiers triomphes, celle de la révolution algérienne, de la nationalisation du canal de Suez par Abdel Nasser, de l‘Union entre la Syrie et l‘Egypte, et il est très difficile d‘assister à tous ces effondrements successifs qui ont un caractère soit territorial ou nationaliste » dira avec un tantinet de nostalgie l‘orateur non sans déplorer que « le résultat de toute cette série d‘effondrements, est qu‘il est affligeant ». Et d‘indiquer que « 50 % de l‘élément jeune arabe, de l‘océan au Golfe, rêve de s‘exiler, et de fuir son pays, c‘est un phénomène unique en son genre dans le monde, nous assistons ajoute-t-il à une hémorragie humaine et scientifique d‘une extrême gravité, la fuite des cerveaux coûte aux sociétés arabes des milliards de dollars par an ». D‘après Corm les Arabes se reposent et les mutations leur viennent des étrangers, « ce qui nous permet de travailler moins que ce que nous faisons actuellement, nous avons une source de revenus et des bénéfices sans se fatiguer » regrette-t-il. « Le phénomène de l‘émigration et de l‘aspiration à l‘émigration est le résultat des conditions sociales, et des conditions liées au chômage, touchant d‘une façon particulière les milieux universitaires » et d‘ajouter « quand on analyse les statistiques dans ses détails, en Algérie, en Tunisie, au Maroc, au Liban, on constate que la fuite des cerveaux revêt une forme terrible, la pyramide de gens qui ont des qualifications supérieures se trouvent à l‘étranger, leur nombre est supérieur aux émigrés chinois ou les émigrés indiens ! » a indiqué Corm. Il note que « dans certains pays, on perd 30 ou 35 % des médecins, 20 à 25 % des juristes, et la majorité des scientifiques qui veut travailler dans les recherches fondamentales, en biologie, chimie, astronomie, nucléaire, et nous acceptons cette situation, certains gouvernements soutient-il encouragent l‘émigration, il y a développement d‘une culture qui glorifie l‘émigration, c‘est grave, je l‘ai appelée dans l‘un de mes livres « dynamique de l‘effondrement des sociétés arabes ». Et le professeur de regretter « même quand il se passe quelque chose de positif dans le monde arabe, on le transforme en chose négative, je vous donne cet exemple : le triomphe glorieux du Hizbollah sur l‘armée israélienne en 2006 et avant cela, le succès dans le délogement de l‘occupant israélien du sud Liban. Eh bien la victoire du Hizbollah a été transformée en un problème principiel entre les sunnites et les chiites ! J‘appelle ça un Guantanamo intellectuel, ce ne sont pas les Américains qui nous y ont poussés, c‘est nous-mêmes qui sommes entrés là dedans ». Poursuivant son analyse Georges Corm fera observer que « les Etats arabes actuellement ont une inclination envers les forces régionales ou internationales, à l‘effet de protéger leur régime ou situation ». Revenant sur la problématique de l‘identité arabe, le professeur Georges Corm a soutenu que cette « identité ne saurait être confinée dans l‘arabo-islamisme ». Et de poursuivre « si on la réduit à l‘appartenance religieuse, qu‘est-ce qu‘alors nous différencie d‘un milliard et 300 millions de musulmans en Chine, en Indonésie, au Pakistan, Inde, et l‘Afrique subsaharienne, nous sommes dans le fond un groupe de peuples qui se sont côtoyés, interagi et cohabité pendant des siècles d‘une manière stable » note le conférencier. « Les Arabes purs sont très infimes, ils se trouvent au Golfe, et au nord de celui-ci, le peuplement du reste de l‘orient qu‘il soit musulman ou chrétien, a été arabisé alors qu‘une partie a embrassé la religion musulmane lors de la conquête musulmane tout en gardant sa langue et ses traditions qui lui sont propres, c‘est le cas des Kurdes, Assyriens, Turkmènes et Amazigh au Maghreb. Une cohabitation a existé depuis le début de la conquête musulmane entre l‘élément amazigh avec sa grande diversité et l‘élément arabe a relevé le conférencier. « J‘ai peur parce qu‘il y a une sorte de fuite en avant quand on parle de l‘identité arabo-islamique, il y a rejet de la pluralité qui existe dans l‘arabité elle-même » Et de noter « l‘identité arabe est une identité composite, elle n‘est pas une identité unilatérale, elle ne peut être ramenée à l‘appartenance religieuse, il y a des identités arabes : arabe-amazigh au Maghreb, arabe-syriaque, kurde et assyrienne dans le pays de l‘Euphrate et le Tigre, arabe-pharaonique en Egypte, arabe –africain au sud de l‘Afrique. Corm a dénoncé aussi l‘instrumentalisation de la religion par les Etats arabes en notant au passage que « l‘islamisme politique a proliféré au sein des sociétés pétrolières ». L‘islam politique a-t-il relevé s‘est développé là où le pétrole coule à flot, là où les Etats disposent beaucoup d‘argent et dont le PNB est des plus relevés au monde mais dont la population croule sous la misère ». Notons que Georges Corm est docteur d‘Etat en droit constitutionnel de la Faculté de droit et des sciences économiques de Paris, il est également auteur de plusieurs ouvrages dont « l‘Europe et le mythe de l‘Occident » publié chez la Découverte.
L.G.