Vendredi, lors de l’activité hebdomadaire du Ciné-Club de l’association Chrysalide, le film «Roma wa la n’touma» de Tariq Téguia a suscité un vif débat entre cinéphiles, journalistes et professionnels du cinéma à la salle Zinet de l’OREF. Selon qu’il dérange, ennuie ou émerveille, le film reste ultra-réactif pour ne pas dire catalyseur. En répondant à ses interlocuteurs, Tariq Téguia a dépassé le cadre de son film pour aborder ce qu’est la création artistique dans l’acte cinématographique.
Une avalanche de questions et de points de vue ont déferlé sur le jeune réalisateur de l’œuvre d’une durée de 111 minutes qui à sa sortie en 2006 a été sélectionnée à la section Horizon de la Mostra de Venise et récompensée aux festivals de Thessalonique et Fribourg. A partir de leur première expérience d’acteurs, et au fil des festivals internationaux, Rachid Amrani et Samira Kaddour ont fait connaître dans le monde, l’errance et la quête du jeune couple Kamel et Zina, deux jeunes Algérois pris dans la spirale tragique des années 1990. Tariq Téguia, lui, a exposé sa tentative de faire un cinéma «autre», le sien propre. Comme l’ont remarqué nombre de spectateurs, le film tranche résolument sur ce qui se fait en Algérie actuellement où en général le «sur-jeu» des acteurs et la grandiloquence de ton n’ont d’égal que le contenu de l’œuvre sursaturé de «messages». «Le parti-pris esthétique évident, le refus du récit à intrigue, la prédominance de la description sur la narration, des durées labyrinthiques que certains spectateurs s’avouant claustrophobes ont trouvées étouffantes, le choix d’une héroïne tranquillement anti-glamour et anti-tcheklala, un film qui n’arrête pas de démarrer, une volonté évidente de faire de l’expérimentation, l’éruption de morceaux de textes écrits sur des cartons, une attente infinie, un non mouvement en mouvement… » les caractéristiques de ce film singulier ont longuement été répertoriées par les intervenants. «Ce film fait connaître le visage terne et triste du jeune Algérien d’aujourd’hui. Il interpelle le spectateur…» a déclaré un spectateur dont l’avis rejoignait celui d’une intervenante qui en soulignant les ambiances grises et arides contrariant l’exubérance habituelle des vues méditerranéennes avouait que «cet Alger de tiges métalliques et de collines obscures est probablement celui des jeunes harragas d’aujourd’hui…»
Interrogé sur la lenteur relative de ses plans qui contrecarrent le montage hollywoodien frénétique auquel le spectateur de la planète entière a été conditionné, le réalisateur a expliqué son choix de «laisser faire les durées, les laisser s’ouvrir». «Il est parfois vain, parfois criminel, de couper un plan» a-t-il ajouté. «Un film est un point de vue. Il ne peut contenir le monde entier» a souligné le réalisateur qui a déclaré que l’on peut faire du cinéma en échappant à l’esthétisme, à la tyrannie de la technique et aux vieilles recettes éculées. Son propos étant avant tout de «questionner le dispositif cinématographique, en en questionnant les outils et le vocabulaire». Propos illustrés notamment par l’introduction d’une parole aussi éruptante que celle des graffitis muraux, contrastant avec l’assèchement voulu des dialogues. «Dans une œuvre d’art le fond et la forme c’est la même chose. Je remonte des blocs d’images et des blocs de sons, je brasse de la matière comme le ferait un sculpteur, avec une liberté totale d’improvisation et d’expérimentation. Le monde m’arrive par fragments, par bribes, par morceaux, un film a aussi cette humanité là..» a -il également expliqué.
«Jamais depuis Nahla de Beloufa je n’avais éprouvé ce que j’ai éprouvé ce soir. Ce film ne remplira certainement pas les salles mais il est un moment du cinéma algérien, c’est un film majeur qui échappe aux discours totalisants du théâtre et du cinéma algériens d’aujourd’hui…» a conclu un spectateur, clôturant le débat.