Cette œuvre que Djamchid Mortazavi considère comme l’opus magnum de l’auteur est loin d’être son seul ouvrage. Il en a rédigé plus de dix autres, traitant du même sujet.
«Ô toi qui es la gloire et le roi de tous ceux qui ont un cœur…
Ce matin, au jardin, j‘ai cueilli des roses
Et je craignais d‘être vu par le jardinier.
Je l‘entendis me dire avec douceur :
«Qu‘est ce que des fleurs? Je te donne tout le jardin», écrivait le mystique Jelal eddine Rumi (1207-1273) dans son Mathnavi. Ainsi, Hujwiri en offrant au lecteur le résultat de ses investigations et méditations ouvre grandes les portes du jardin des connaissants (arif).
Ce volumineux ouvrage de 481 pages peut être considéré comme un compendium du soufisme tel qu‘appréhendé au début du 11e siècle. Son auteur Shaykh Abû‘l-Hassan Ali ibn Uthman al-Jullabi al-Hujwiri al-Ghaznawi, surnommé Data Ganj-Bakhsh est présumé né entre 390 et 395 hijri et mort entre 456 et 469 (1063-1076) à Lahore, est à la fois un grand sheikh soufi de son temps et un savant théologien doublé d‘un moutakallim (philosophe scolastique).
Jullab et Hujwiri sont des localités situées près de Ghazna qui est la capitale de l‘Iran sous le règne du Sultan Mahmûd Ghaznavi. Ghazna est à l‘heure actuelle une ville d‘Afghanistan.
Le titre original de l‘ouvrage traduit du persan, présenté et annoté par Djamshid Mortazavi est «Kachf al-mahjub li-Arbâb al-Qulub» c‘est-à-dire : «Le Dévoilement des mystères pour ceux qui possèdent un cœur.» Cette œuvre que Djamchid Mortazavi considère comme l‘opus magnum de l‘auteur est loin d‘être son seul ouvrage. Il en a rédigé plus de dix autres, traitant du même sujet ainsi qu‘un recueil de poèmes, le Diwan. Il est un écrivain célèbre de la littérature persane et son style est considéré comme inégalé. Il a également une maîtrise parfaite de la langue arabe. N‘ayant pas fondé de confrérie el-Hujwiri est sunnite et se réclame de Ahl-i-sahw (ceux de la sobriété en opposition à Ahl-i-sakr, ceux de l‘ivresse.) Son shaykh direct est al-Khuttali dont la chaîne initiatique est la suivante : Abu-al-Hassan al-Basri, Abû Bakr Shibli et Abû l‘-Qasîm al-Junayd. Cette branche du soufisme est en faveur de l‘ascétisme et de l‘austérité. «Il se rattache plutôt à Ahl-i-qabd (resserrement du cœur) et il affirme que les soufis qui possèdent le tamkin (stabilité spirituelle) sont les plus dignes de confiance. C‘est la raison pour laquelle le Kashf al-Mahjub évoque le samâ (danse et chant mystique) de façon plutôt défavorable)», souligne la préface de l‘ouvrage. De son vivant, Hujwiri voyage beaucoup. Il visite la Syrie, le Turkestan, l‘Azerbaïdjan, l‘Irak et les bords de la mer Caspienne dont est originaire le célèbre saint patron de Bagdad, Abdelkader El-Guilani, fondateur de la confrérie des Kadiryia et connu en Algérie comme El-Jilani ou encore El-Jijlali. Cet ouvrage qui a constitué la base de recherche de tous les traités antérieurs sur le soufisme est constitué de quatre parties dont chacune pourrait être considérée comme une étude séparée.
La première partie : Soufisme et connaissance est suivie de celle qui traite des «Compagnons : premiers califes et imams.» «Les soufis fondateurs et les confréries» sont le sujet des chapitres 12, 13 et 14. Les dévoilements auxquels fait référence le titre de l‘ouvrage sont traités dans la dernière partie et sont au nombre de onze.
L‘auteur cite Abû L‘Hassan al-Nuri. «Il n‘y a personne qui montre la voie vers Dieu, sauf Dieu Lui-même ; la connaissance n‘est recherchée que pour accomplir exactement les actes rituels» et écrit: «C‘est pourquoi la connaissance de Dieu n‘est obtenue que par un émerveillement incessant de la raison, et l‘on ne se procure pas Sa faveur par un acte humain quelconque, mais elle est révélée miraculeusement au cœur des hommes…». La connaissance dont traite Hujwiri dans son premier dévoilement est cette expérience intérieure qui montre que «quelle que soit la conception de Dieu, qui puisse être formée par la raison, Dieu est en réalité différent». Les autres dévoilements concernent l‘Unité divine (tawhid), la foi (iman), la purification de la souillure, la prière rituelle, la dîme, le jeûne, le pèlerinage, les rapports entre les compagnons, leurs règles et principes. Cette partie est un véritable traité de bienséance et d‘hygiène de vie. Depuis la marche à pied jusqu‘à l‘alimentation, tous les aspects de la vie humaine sont décortiqués, selon des principes d‘une modernité à l‘épreuve du temps. Le dixième dévoilement est un lexique des définitions et des termes usités par les mystiques musulmans. Enfin, le onzième dévoilement concernant le samaâ, l‘audition, c‘est-à-dire ces séances de dikr donnant lieu à des chants et danses liturgiques à l‘égard desquels l‘auteur est plus que circonspect. Nul doute qu‘en cette veille de Ramadan, le lecteur trouvera dans cette somme de quoi nourrir ses méditations spirituelles.
L‘auteur, qui a vécu une grande partie de sa vie en Inde, est enterré à Lahore où sa tombe est encore un lieu de pèlerinage.
«Somme spirituelle» de Hujwiri
Traduit du persan et présenté par Djamshid Mortazavi
Editions Islam/Sindbad, Paris 18e, 1998