Dans le monde culturel, le mort saisit le vif et souvent un pinceau cache un autre… Lors de la rencontre organisée, mardi dernier, au Centre culturel de la Radio nationale Aissa Messaoudi, un pan de mémoire collective a été mis en avant devant une nombreuse assistance dont une bonne partie n’en retient que le parcours artistique d’une personnalité nationale qui a, pourtant, marqué de son empreinte l’histoire du militantisme politique national. Il s’agit du miniaturiste, calligraphe et homme politique algérien, Omar Racim (1883-1959), dont le parcours militant est occulté.
N‘est-ce pas qu‘il serait injuste d‘ignorer la dimension d‘une telle personnalité mise malheureusement sous l‘éteignoir ? N‘est-ce pas aussi que le droit de savoir est un devoir ?!
Prenant le premier la parole, le DG de la radio nationale, M. Azzeddine Mihoubi souligne que «Omar Racim, en dehors de son itinéraire artistique, était une grande personnalité mue par des idées révolutionnaires et anticolonialistes». Convaincu de la justesse de ses idéaux, Omar collabora comme journaliste dans la publication ‘‘El Djazair‘‘ qui fut frappée d‘interdiction de parution, après le premier numéro en 1902, relève l‘intervenant qui mettra en relief «le militantisme politique et la vision émancipatrice de l‘homme qui dérangea le pouvoir colonial. Un autre titre de revue connut le même sort que celui ‘‘El Djazaïr‘‘. Il s‘agit de la publication hebdomadaire ‘‘Dhoû el Fiqâr Es Sanhadji‘‘» qui élisait son siège à la rue Rovigo (n°55), à Alger. Le choix de la dénomination de la revue laissait entendre que Omar tenait à puiser dans une origine profonde qui plongeait ses racines dans la berbérité. Cette dernière publication fut, note-t-il, à son tour, interdite de paraître au terme du troisième numéro paru le 28 juin 1914, dans lequel Omar Racim s‘opposait vertement à la politique coloniale qui enrôlait de force les jeunes conscrits algériens (indigènes) lors de la Première guerre mondiale (1914-1918). L‘orateur citera, par ailleurs, quelques points forts de la publication qui ‘‘exaspéraient‘‘ l‘administration coloniale, notamment lorsqu‘il s‘agissait de thèmes en relation avec l‘éveil du nationalisme algérien. «Dans le registre artistique, Omar Racim conférait un ton à ses œuvres, lesquelles oeuvres s‘abreuvaient de l‘humus d‘un peuple (…). Il était convaincu que la révolution ne prend naissance que dans les racines d‘un peuple que résume son patrimoine séculaire», dira Azzedine Mihoubi qui se fera relayer par l‘animateur de la conférence, le Dr Abderrahmane Ali-Khodja, dont le lien filial (petit-fils maternel des miniaturistes, les frères Racim) et la raison d‘ordre historique l‘ont motivé à déterrer une tranche de vie du personnage de Omar Racim. L‘intervenant qui a réuni un fonds documentaire de ses parents, évoquera chronologiquement le parcours tumultueux de Omar Racim – fils de Ali et de Baya Boursas – qui vit le jour à la rue du Chameau (Bir Djebbah). Après un enseignement coranique à Djamaa J‘did et un cursus scolaire à la médersa, Omar se voit influencé par le milieu familial. Il s‘initia aux métiers de graveur et sculpteur dans un atelier, sis à la Casbah, avant d‘opter pour la miniature, l‘enluminure et la calligraphie aux côtés de ses pairs Cherrad dit Sefti et autres Mohamed Kechkoul et Omar Benguerrad. Il n‘est pas inutile de souligner que les ateliers d‘artisanat de l‘époque faisaient office de cénacles de lettrés, des lieux de rencontres où se côtoyaient les poètes, les musiciens, les artistes de l‘art appliqué ornemental et autres hommes de jurisprudence musulmans (muphtis). «C‘était aussi le début du XXe siècle marqué par la révolution des jeunes Turcs de Mustapha Ataturk et une époque, traversée par l‘intelligentsia réformiste musulmane qu‘imprégna le courant de Djamal Eddine El Afghani et l‘Egyptien Mohamed Abdou», poursuivra le conférencier, notant au passage que Omar Racim, ‘‘le bourgeois citadin à la culture raffinée‘‘, fit ses premiers dans le nationalisme grâce à son professeur Kamel Belkhodja.
En 1915, Omar Racim fut condamné pour intelligence avec l‘ennemi (l‘Allemagne nazie) à la peine capitale par l‘administration coloniale. Cette décision de justice ne manqua pas de provoquer un tollé au sein de la population musulman et certains cercles de la société coloniale. Son procès fut révisé et sa condamnation fut commuée en une remise de peine à perpétuité dans l‘établissement pénitentiaire Barberousse. Il échappa au bagne de Cayenne où il devait être transféré, car son état de santé se dégradait. De sa cellule, il envoya en 1918 une lettre à son frère Mohamed dans laquelle il lui fait part des pires traitements et de l‘atroce souffrance qu‘il endura. Après six années de geôle, Omar fut, enfin, libéré le 21 septembre 1921. Dès sa libération, il ouvrit un kiosque à tabac qu‘il décora richement. Cela ne l‘empêcha pas de se consacrer le reste de sa vie aux arts musulmans. Ses travaux de calligraphie ornèrent des ouvrages tels que ‘‘Introduction à l‘étude de l‘Islam‘‘ de l‘auteur Abderrahmane Ben el Haffaf ou le recueil de poésies ‘‘Contes du croissant de lune‘‘ du général Pierre Weiss. Ses compositions calligraphiques et son enluminure enjolivèrent aussi les supports de publicité du label des boissons gazeuses, Hamoud Boualem comme les ‘‘messaqia‘‘ ou les emballages et affichettes des parfumeries Hadj Zouaï, une griffe de produits cosmétiques réputée sur la place d‘Alger. Son œuvre fut prolifique. L‘artiste Omar Racim qui participa à nombre de salons d‘exposition dans les différentes manifestations, fut l‘un des premiers enseignants de miniature, d‘enluminure et de calligraphie dans l‘école des arts indigènes d‘Alger qui élisait ses premiers quartiers en 1933 à Frais-vallon, aux côtés de Mohamed Kechoul qui assura le professorat de l‘art de la peinture et la décoration mauresque et Cherrad, chargé des cours de reliure. Aussi, Omar Racim ne se montra pas chiche en matière de contribution pour le compte de la radio. Cette dernière détient un enregistrement de récitation de coran de Omar Racim qui, faut-il souligner, animait en 1957 une émission radiophonique portant sur le patrimoine identitaire au Maghreb. Suite à une longue maladie qui le rendit pratiquement grabataire, Omar décéda le 13 février 1959 dans son domicile familial sis dans le boulevard Guillemin (Bab el- Oued).
En 2002, le musée national des arts et traditions populaires avait bénéficié d’un don de 14.500 dollars de l’ambassade américaine à Alger, remis par son Excellence l’ambassadrice, Mme Janet Sanderson. Cette contribution financière visait à restaurer trois tableaux de valeur. Il s’agit, selon Madame Amamra, directrice de l’institution muséale de l’œuvre, ‘’Un vase à fleurs’’ peinte en 1939 par Mohamed Kechkoul, une composition déclinant ‘’Une scène de Kabylie’’ de Chérifa Haminoumna réalisée à la fin des années quarante et une ‘’Enluminure’’ signée de Omar Racim.