Le Midi Libre - Culture - La plume de l’intériorité féminine
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Portrait : Ahlem Mostaghanemi
La plume de l’intériorité féminine
1 Octobre 2007

L’écrivaine la plus lue dans le monde arabe, est en réalité une narratrice dévouée à ses personnages, à qui elle donne vie, afin d’exprimer leur corps, leur révolte et leur féminité

Il y a des auteurs, qui, dans un style à la fois poétique et souvent original, arrivent avec aisance à dessiner de grands et beaux romans, dont l’expression est inlassablement attachée à des sentiments de simplicité. Dans les méandres des incertitudes de la vie, seule la subjectivité féminine peut les transcrire, et les faire entendre.
Ahlem Mostaghanemi fait indéniablement partie de ces auteurs qui tentent de sauver l’espoir et le bonheur, l’amour et le rêve. Des sentiments d’une rare noblesse qui habillent, coûte que coûte, notre monde dévasté par l’affrontement des puissances.
Ahlem Mostaghanemi est une grande écrivaine et poétesse arabophone native de Constantine, née en 1954, elle a grandi dans un milieu familial dans lequel son père a joué un rôle central. Son père n’est autre que Mohammed Chérif, militant du P.P.A (Parti du Peuple Algérien), qui eut une vie politique très mouvementée. Il fut également très attaché à la poésie et aux auteurs classiques français.
Dans sa tendre enfance, elle séjourne à Tunis où son père fut expulsé par les forces coloniales françaises après sa participation aux manifestations du 8 Mai 1945. Son père est présent partout dans ses écrits, même lorsqu’il n’apparaît pas, il est comme en arrière-plan, immobile. Il est un haut fonctionnaire, qui fut victime d’une dépression dès 1967 en partie à cause de son incapacité à gérer les conflits engendrés par la prise du pouvoir par le colonel Houari Boumediene en 1965.
A 18 ans, elle décroche son Baccalauréat et en parallèle, présente une émission radio à succès «Hamassat», (chuchotements) une émission nocturne sur les ondes de la chaîne I de la Radio nationale. Elle poursuit ses études et obtient une licence de lettres arabes à l’université d’Alger, puis en 1982 un doctorat en sciences sociales à la Sorbonne, parachevé par une thèse «Algérie, femme et écriture», parue chez l’Harmattan en 1985.
Dans ses débuts, elle commence à publier des articles dans les journaux et des magazines. Un peu plus tard, elle se marie à un journaliste libanais Georges Rassi, sympathisant de la lutte algérienne, et se consacre à l’éducation de ses trois enfants en même temps que ses études universitaires.
Dans les années 80, elle collabore à plusieurs revues éditées à Paris et à Londres. Ses romans sont célèbres dans tout le monde arabe, notamment sa trilogie, «Passager d’un lit», «L’anarchie des sens» et «La mémoire de la chair».
Ces romans mettent en valeur le corps, d’ailleurs le livre «La mémoire de la chair» sera interdit dans plusieurs pays arabes et ce, pendant plusieurs années.
Actuellement, l’écrivaine prépare une adaptation de ce roman au petit écran, qui en est à sa dix-septième édition, ce qui est unique dans l’histoire de la littérature arabe contemporaine.
A noter que ce roman a été traduit en plusieurs langues dont l’anglais par Baria Ahmar Sreih, l’italien par Francesco Leggio, et le français chez Albin Michel par Mohamed Mokeddem.
Récompensée en 1998, par le Prix Naguib Mahfouz et le Prix Nour de la meilleure oeuvre féminine en langue arabe pour «Mémoires de la chair», la romancière algérienne Ahlam Mosteghanemi semble être une voix unique de la littérature arabe qui ne vacille pas devant les hostilités.
Naguib Mahfouz dira : «J’ai pris un immense plaisir à la lecture de ce livre magnifiquement écrit !»
Engagée, elle exprime la révolte d’une femme et d’un peuple ; pétrie de culture française, elle a su composer une plume très personnelle, dont la sensualité et le lyrisme n’exclut jamais l’ironie.
Dans l’Algérie des années 80, saccagée par la corruption et le fanatisme, l’épouse d’un militaire algérien proche du pouvoir vit une passion dévastatrice pour un inconnu.
Cette corde passionnelle va l’entraîner au coeur du «Chaos des sens», mais aussi dans une histoire, où le rêve et la réalité se confondent. Car l’homme qu’elle aime sans rien savoir de lui n’est peut-être pas celui qu’elle croit… Entre affliction et nostalgie, exaspération et dénonciation, cette rutilante et troublante histoire d’amour, tableau de l’Algérie des deux dernières décennies, confirme l’immense talent d’Ahlam Mosteghanemi.
Le jury du prix Najib MAhfouz, qu’elle a reçu pour ce livre en 1998 dira : «L’écrivain algérien Ahlem Mosteghanemi, est une lumière qui scintille au milieu de ces ténèbres. Ce roman a pu réunir le meilleur du roman international et de la tradition populaire.
Ecrit avec une langue arabe élégante et un sens littéraire aigu, il est doté d’une trame technique esthétique unique dans son genre, et d’une narration bien ficelée qui provoque l’admiration et l’éblouissement ».
Malheureusement le succès vient toujours avec son lot de diatribes, ainsi lors de la parution de son roman «L’anarchie des sens», certains critiques arabes l’ont accusée de plagiat.
Ceux-ci assurent que ce livre a été, en fait, écrit par le poète irakien Saadi El Youssef. Indignée, Ahlem Mostaganemi déclarera « C’est devenu comme une habitude de piétiner et de marcher sur les nouveaux talents. C’est bas ce qui arrive dans les pays arabes. Lorsque j’avais lu ces déclarations je n’arrivais pas à croire mes yeux. Mais le pire dans l’histoire, c’est que le poète en question n’a pas daigné démentir ce qui se rapporte dans la presse arabe. Et les romans que j’ai écrits par la suite sont venus comme pour me défendre. C’est une confirmation que je n’ai plagié personne. En dépit de tout ce qui s’est passé, on n’a pas arrêté d’éditer et de distribuer mes livres.»
En effet, ses livres font honneur à un grand nombre de librairies, pour le grand bonheur des lecteurs, «Le désordre des sens» en est à sa dix-septième, «Le passager du lit» quant à lui, a été vendu, jusqu’à présent, à près de 80.000 exemplaires.
Ce dernier roman paru en 2002 relate les périples d’un photographe qui a obtenu un prix international et qui a échappé à un attentat terroriste, il signe ses œuvres sous un pseudonyme, se passionne pour les femmes, qui sont d’ailleurs, omniprésentes. Un roman qui s’attache à l’Algérie à ses conflits, un personnage qui vit avec ses femmes, comme avec son pays une passion amoureuse ravageuse.
Ahlem Mostaghanemi construit, pierre par pierre, ses romans sur des histoires qui évoquent le pays, l’exil, le féminin, la chair…tout en gardant une distance, une subtilité propre aux talentueux écrivains qui ne tombent jamais dans le voyeurisme intempestif, elle dira «Je suis l’écrivain du désir et non pas du plaisir…» Elle aura mérité sa place d’écrivaine la plus lue dans le monde arabe.

Par : Samy Djaafar

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