Le Midi Libre - Culture - Il n’est de la Casbah que son ombre
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Au cœur d’Alger
Il n’est de la Casbah que son ombre
21 Mai 2011

Après l’adoption par les élus de l’Apw d’Alger, en avril 2011, du "Plan permanent de protection de La Casbah" et devant les avis mitigés des experts sur les possibilités réelles de "sauvetage" de la médina, ou ce qu’il en reste, une visite pour se rendre compte de visu de l’état du bâti dans la vieille cité s’imposait.

Si de nombreux touristes et visiteurs préfèrent appréhender La Casbah d’Alger par la partie Sud, en démarrant de la mosquée Ketchaoua, le quartier qui recèle sans doute les plus beaux joyaux historiques et culturels de la médina, l’accès par la partie Nord, à travers la porte Bab Djedid, permet un meilleur aperçu sur l’état de délabrement avancé de cette partie mythique d’"El Mahroussa" (la bien gardée) et son cœur battant. Le visiteur qui y accède par Bab Djedi est vite frappé par l’état désastreux d’une médina quasiment en ruines, en dépit des plans successifs de sauvetage censés la soustraire à l’usure du temps et la prémunir contre le mépris des hommes. A la rue Sidi-Ramdane, là où se trouvent les demeures les plus anciennes et certainement les plus belles aussi, les façades de certaines maisons ont été restaurées alors que d’autres, moins visibles de la rue, sont abandonnées à leur triste sort. "On ne restaure que ce qui est en première ligne et susceptible d’être vu par les visiteurs", lâche Ali, un natif de La Casbah qui en connaît le moindre dédale et la moindre venelle, dans une allusion à certains palais du quartier qui ont eu l’heur d’être restaurés.
A mesure que le visiteur s’enfonce dans les ruelles étroites de la médina, l’odeur de l’humidité devient insupportable, autant que le silence inquiétant. Ici, les maisons, toutes en ruines, ont été désertées par leurs occupants et laissées en l’état, attendant une restauration improbable... Pour celui qui parcourt La Casbah, une ville dans la ville, le style architectural si particulier est un exemple de raffinement, à jamais disparu et dont les seules témoins, encore debout, restent ces quelques maisons de la rue des Zouaves ou de Aghrib-Mohamed. Au-delà, la médina semble avoir abdiqué devant l’avancée, intra muros, de constructions dites "modernes" qui défigurent le tissu urbain de la vieille cité, menaçant d’effacer, pour l’éternité, son cachet architectural, comme pour détruire à coup sûr l’esprit "casbahdji" et l’âme citadine d’"El Mahroussa".

L’hérésie: une villa de plusieurs étages au cœur de La Casbah
En direction de la rue Sidi-Idris- Hamidouche, le visiteur ne manquera pas d’être interpellé par l’existence, incongrue, d’une "villa" de plusieurs étages, construite en béton armé sur un terrain laissé vacant après l’effondrement d’une vieille bâtisse, alors même que La Casbah est classée patrimoine national depuis 1991 et inscrite Patrimoine mondial par l’Unesco en 1992, et censée, de ce fait, être protégée par des textes ayant force de loi. Contactés par l’APS, les services des communes concernées ne donnent aucune explication à ce qui s’apparente à une transaction illégale (vente, achat de terrain et permis de construire) et renvoient la balle à la circonscription administrative de Bab El-Oued. Toutes les tentatives de prendre attache avec le wali délégué sur le "mystère" de cette "villa intruse" sont demeurées vaines. Les habitants de La Casbah sont ulcérés par ce qu’ils qualifient de "situation de fait" qui permet, au mépris de la loi, l’existence de constructions "parasitaires" au cœur même de la médina. C’est le cas de Mohamed, un habitant du quartier : "Comment se fait-il qu’on nous interdise, au nom d’un patrimoine à préserver intact, d’entreprendre des travaux superficiels sur les terrasses de nos maisons qui menacent de s’effondrer sur nos têtes et que l’on autorise, dans le même temps, d’autres à construire des maisons modernes ?, fulmine-t-il, aujourd’hui encore incrédule. "Expliquez-moi sur quelle base a-t-on délivré le permis de construire ?". "S’agit-il d’effacer purement et simplement le style architectural de La Casbah pour imposer à la place des constructions dites modernes ?", s’est encore interrogé, amer et désabusé Mohamed. Dans ce même quartier, des particuliers ont procédé à des travaux dits de restauration de manière anarchique qui ont grandement altéré les spécificités de la maison "casbahdjie", célèbre pour sa cour intérieure, ses colonnes et sa fontaine centrale. Des fissures ont vite fait d’apparaître sur les murs des maisons ainsi "restaurées", en raison de l’utilisation de béton armé, au lieu des matériaux originels auxquels les casbahdjis ont eu recours génération après génération. Le raccordement aux conduites d’eau représente l’autre plaie pour l’habitat de la médina et qui a concouru à l’effondrement de nombreuses bâtisses de La Casbah d’Alger qui a réussi, pourtant, à braver le temps et les hommes quatre siècles durant. Même les étaiements de bois placés par les services communaux pour consolider les murs des bâtisses fragilisées n’ont fait qu’exacerber le problème. Initialement prévus pour une période de deux ans, juste pour parer à l’urgence avant les travaux de restauration, certaines charpentes sont restées, aux dires des habitants du quartier, aux mêmes endroits.

Quand l’artisanat cède la place aux immondices
Les rues Latrech-Mustapha et Hadjadji-Mustapha, ainsi que la rue Bouderias père et fils, théâtre d’un événement historique survenu le 10 août 1956, croulent sous les immondices qui ont envahi des lieux, jadis recouverts de jasmin. Dans ce quartier, aucun endroit n’est épargné, surtout après le départ des derniers artisans, qui ont fermé boutique les uns après les autres. A la dégradation de l’environnement, il faut ajouter celle des mœurs qui a transformé, d’après les témoignages des habitants, des demeures, gardiennes de l’histoire et dépositaires d’une culture plusieurs fois centenaires, en lieux de débauche en tous genres et en repaires de délinquants. L’insécurité va alors de soi. Marché ouvert à tous types de commerce la journée, La Casbah devient, à la nuit tombée, un endroit "dangereux" où ne se hasardent dans ses ruelles que quelques uns de ses habitants les plus téméraires. La conclusion de Mohamed est accablante : "Sur plusieurs générations, des hommes et des femmes ont vécu de la nostalgie d’un passé glorieux et sont, parfois, morts de chagrin devant l’injure faite à "El Bahdja" à travers sa médina. Le classement de La Casbah au chapitre élogieux des patrimoines a aujourd’hui vingt ans, soit l’âge de toute une génération, celle qui est née et qui aura vécu sa plus tendre jeunesse dans la vieille cité. Mourra-t-elle à son tour sans pouvoir vivre le moment où l’on aura enfin consenti à sauver l’âme de la Radieuse ?


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