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Lla Cherifa, la grande dame de la chanson kabyle
Le féminisme poétique pour exorciser la douleur
15 Septembre 2010

Cherifa, de son vrai nom Ouerdia Bouchemlal, est née le 9 janvier 1926 à Ilmayen, Akbou en Kabylie de la Soummam. Grande dame de la chanson algérienne en langue tamazight, a composé un répertoire de près de mille chansons dont uniquement sept cents sont enregistrées à la Radio Chaîne II. La plupart de ses œuvres sons inédites. Voila un patrimoine à exploiter pour qui veut relancer un pan de la culture algérienne.
Répertoire forgé dans la douleur, car comme disait Dda L’Mouloud Nath Maamer a propos de Jean Amrouche : « Le poète participe d’un monde étranger et supérieur au nôtre, quasi divin… Le poète est un personnage respecté, il a été choisi pour porter la parole… celle qui peut guérir ou tuer… Mais il ne suffit pas que la souffrance étreigne un être pour le métamorphoser en poète. Il faut encore qu’elle le transfigure et qu’il la dépasse. Si cette alchimie de l’âme et du monde n’a pas pris, c’est que la souffrance était de médiocre qualité et donc médiocre l’œuvre. »
La douleur en effet n’a pas épargnée notre diva nationale et c’est à travers elle que Cherifa s’est exprimé. Au deuxième jour de sa naissance, sa mère est répudiée. Cette dernière prend alors son enfant et retourne chez ses parents. Cependant pour une femme divorcée, vivre parmi ses belles-sœurs n’est vraiment pas une sinécure. Sous nos latitudes le statut de femme divorcée n’est pas enviable, d’ailleurs et malheureusement toujours à l’heure actuelle. Aussi sa maman ne tarda pas à se remarier laissant derrière elle la petite Cherifa qui se retrouve orpheline, du vivant de ses parents, et à la merci de ses oncles maternels. Mais il faut croire que Dame Nature n’a pas totalement abandonné Cherifa puisqu’elle l’a doté d’une voix magnifique et d’une imagination fertile. C’est donc très tôt, dès sa prime enfance, que notre poétesse met des notes musicales à ses textes juvéniles. En gardant ses moutons Cherifa chante toute la journée à la fois pour compenser le manque d’affection parentale et les affres de la faim. Il faut dire néanmoins que dans la Kabylie des années 40 chanter est déshonorant (pour une femme c’est doublement déshonorant). Le paradoxe est que nous aimons les artistes à condition qu’ils ne soient pas nos proches. D’ailleurs c’est pourquoi, le célèbre chanteur Idir dans les années 70 avait caché à sa mère qu’il chantait pour ne pas la décevoir alors que ses chansons sublimes étaient appréciées de celle-ci en l’ignorance de leur auteur-interprète. La petite Cherifa donc recevait des corrections de ses tuteurs inhumains lorsqu’ils la surprenaient entrain de se laisser aller dans le monde mystérieux de la poésie chantée. L’arrachant de cette évasion mystique, les punitions atroces venaient l’envahir surtout qu’elles consistaient, par exemple, à la tremper en plein hiver dans des torrents glacials ou de l’enfoncer dans la neige jusqu’à presque en mourir de froid comme si on voulait se débarrasser d’elle (des sévices que nos moudjahidate subissaient des mains du joug colonial). Voila les conditions de vie de Cherifa chez ses oncles maternels jusqu’à ce qu’elle soit prise en pitié par sa cousine Lla Yamina, son aînée, chanteuse d’expression kabyle. Cette dernière lui propose de quitter le village pour des cieux plus cléments alors qu’elle venait d’avoir ses 16 printemps. C’est dans le train qui l’emmenait vers Alger et au coup de sifflet du chef de gare sachant qu’elle ne verra plus de si tôt sa Kabylie natale, sous peine de mort car ses oncles n’allait pas lui pardonner sa fugue, qui les déshonoraient selon leur conception de la vie, que l’inspiration lui vint et qu’elle composa « Abka wala khil ay akbou » en 1952. Texte poignant rendu éternel par une voix sublime. A Alger elle chante à la Radio Chaîne II, cependant le fisc devient de plus en plus gourmand sur les droits d’auteur insuffisants et la galère reprend jusqu’à être obligée de quitter la radio et de faire le ménage dans une caserne durant environ sept années. Même si sa propre souffrance était incommensurable, cela ne l’empêche pas à sublimer cette douleur dans des textes poétiques, d’autant plus qu’elle devint pour la gent féminine kabyle une véritable thérapie musicale à travers laquelle elles s’identifièrent. Son destin est semblable aux milliers de femmes algériennes en général et kabyles en particulier, qui souffraient au début d’un manque paternel puis marital. Aussi très sensible à la condition féminine de ses concitoyennes la chanson « Aya zarzour tevit à el vavour » s’impose à elle pour témoigner de la situation des femmes séduites et abandonnées. Cherifa chante la douleur en paroles, mais demeure sereine, à l’image de ces femmes perchées sur les hautes montagnes de Kabylie, comme si son attitude nous commandait de ne pas désespérer, elle ne sourit pas non plus, du moins rarement car peut-être qu’inconsciemment elle pense son combat contre la condition féminine trop grave et sérieux. Une attitude de la femme non pas soumise à son destin mais confiante en l’avenir de ses filles.

Par : Ourida Aït Ali

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