Quand on fouine dans l‘histoire de la musique raï, on croise inévitablement le nom d’El-Hadj Mohamed Gouaïch, alias Cheikh Hamada, le maître du chant bédouin. Cheikh Hamada est né en 1889 à Blad Touahria, près de Mostaganem, et est mort en 1968 dans la même ville. Dans le quartier de Tidjdit, à Mostaganem où il s’établit au début du siècle dernier, il a poursuivi des études primaires en arabe et en français. Le raï a pris sa source dans l’art poétique des Bédouins et se jouait surtout avec la gasba (longue flûte en roseau) et le guellal (percussion cylindrique au fût long et étroit de terre cuite ou de tronc d’agave). Deux formes musicales le caractérisaient : la forme rituelle, plus portée vers les cérémonies sérieuses. Dans ce cas, la poésie est chantée par les notables dans les sanctuaires religieux (zaouiyate), dans les fêtes votives et les fantasias. La forme lyrique et populaire, qui est jouée par les bergers, est diffusée dans les cafés-maure, les cafés-concerts et les souks, voire dans les mariages et les maisons de tolérance où le niveau des textes accuse une baisse sensible. Représentant du courant raï conservateur et grave, Cheikh Hamada émerge dans les années 30-40 aux côtés de Abdelkader El-Khaldi, Cheikh Bouras et Djilali Aïn Tadlès, mais aux côtés aussi des interprètes femmes, les cheikhate, notamment El-Ouachma, Keltoum, Hadja Abbassiya, Fatima Tlemsaniya, Halima Wahraniya, ou Saâdia Rilizaniya, représentantes attitrées du courant raï populaire. Cheikh Hamada fut certainement le précurseur du processus à l’origine de l’introduction du raï dans les villes en amorçant un travail de mixage musical entre le chant bédouin, le haouzi, l’aâroubi et le hadri. C’est ainsi qu’il fit ressusciter des poètes oranais anciens, à l’image de Benguitoun, Benguenoun et Mostefa Ben Brahim, dont il chanta le répertoire campagnard et agreste avec succès en les mariant au corpus plus citadin du hawzi incarné par Bensahla, Bentriki et Benmsayeb, Mohamed Benslimane et même d’Abdelaziz Maghraoui. En outre, on connaît l’amitié qui lia Hadj M’hamed El-Anka avec le barde du Dahra auprès duquel il apprit beaucoup. Le chaâbi algérois en a été fortement influencé du reste. Le cheikh fut aussi très ami avec le cheikh Larbi Ben Sari, maître du hawzi et du gharnati tlemcéniens. Aussi, le chanteur Maâzouz Bouaâdjad ainsi que d’autres de sa génération ont-ils trouvé en Hamada, le guide avisé et le maître à penser en matière musicale. C’est auprès de lui qu’ils ont affiné leurs connaissances. Rien en vérité ne prédestinait cheikh Hamada à devenir musicien, lui qui coulait des jours heureux dans son hameau de Blad Touahria en s’adonnant au métier de cultivateur et à son occupation favorite, la chasse. Il dut tout abandonner après qu’il ait été accusé du délit de chasse interdite. Ayant en même temps perdu son père, le jeune Hamada, alors âgé de 17 ans, s’installe alors à Mostaganem. Cheikh Hamada a réalisé son premier enregistrement en 1920, alors qu’il n’était venu à la musique que d’une façon tout à fait individuelle. Prodige, dès l’enfance, il s’est fait un plaisir d’apprendre tous les textes poétiques qu’il entendait au gré d’une promenade ou d’une causerie. Il s’abreuva au réservoir de la sagesse du corpus poétique composant le melhoun (poésie chantée) légué par Ben Dahma Ben Tarfa, Kaddour Ould Laâdjel et El-Hadj Lemnewer. On sait qu’il adhéra à l’association culturelle «Essaâidiyya» de Mostaganem qui l’aida dans ses recherches en poésie populaire. S’étant très vite constitué un très large répertoire, il attira sur lui l’attention des sociétés phonographiques. A partir des années 1920, celles-ci, qu’elles soient basées à Paris ou à Berlin, enregistrèrent une bonne partie de son répertoire. Pour autant, l’artiste a eu maille à partir avec les préjugés du monde occidental qui considérait sa musique comme un genre mineur en ce sens qu’elle est basée sur le mode que sur le ton. Mais en dépit de cette adversité, cheikh Hamada est parvenu à faire plus de 500 enregistrements.