Au coeur d’Oran, la place du 1er-Novembre (ex-place d’Armes), jadis rayonnante avec ses clubs et cafés artistiques, son théâtre et sa maison de la presse, a perdu de la vocation culturelle qui fut longtemps sienne. Tout le "bouillon de culture", qui gravitait autour de cette belle esplanade, contribuant un tant soit peu à l’essor culturel de la ville d’Oran, s’est effiloché au fil du temps et des négligences coupables, s’élève un buraliste du coin tout en évoquant avec émotion et nostalgie le fameux "Café du théâtre", fermé depuis une dizaine d’années, au grand dam de sa distinguée clientèle. L’ex-propriétaire de ce grand café, anciennement appelé brasserie de l’Opéra, Menaouer Bensaâdoune, comparait pour sa part cet espace à une "annexe" du théâtre tant il prolongeait, par le débat, les représentations théâtrales qui se déroulaient à côté. Il cite les grands noms du théâtre et de la chanson qui préféraient par dessus tout ce café: Alloula, Sirat Boumediene, Kaki, Osmane Fethi, Yahia Benmabrouk, Djennat Boualem, Mourad Senouci, Bouziane Benachour, Mohamed Mihoubi, Azzeddine Mihoubi, Mohamed Lamari, Abdelkader Bendaamache, Abdelkader Khaldi et avant tout ce beau monde, Piaf, Aznavour, Tino Rossi, Annie Girardot... Le monde tout aussi magique du sport n’était pas en reste et on pouvait rencontrer volontiers dans ce "quartier général" d’anciens grands footballeurs comme Baghdad Abbou Kebir (USMO), Hasni et Rais (ASMO), Boudjelal (Galia d’Oran) ou encore Bouzidi (CA Planteurs). Des journalistes aussi (Ouasti, Ouahmed Ali, Medjadji, Adjina, Zaiter, Zaoui, Izli, Haffaf...) se sentaient un peu chez eux dans ce café rassembleur, véritable point de chute de ce que comptait Oran comme célébrités artistiques, sportives ou cérébrales, mais aussi des personnes plus anonymes, des travailleurs (les marins pêcheurs, par exemple) tout aussi fidèles et "non dépourvus d’élégance", comme le fait remarquer M. Bensaadoune. La convivialité rimait aussi avec confiance : "Ils nous arrivait de consommer et de payer plus tard grâce aux bons vieux crédits que les gérants de café accordaient à l’époque sans rechigner", se rappelle de son côté un ancien du quartier sagement assis sur un banc public dans le petit square d’à côté et qui dit que depuis la fermeture de ce café, il "n’a plus de point de repère particulier". Le défunt café du théâtre, particulièrement bien situé au coeur de la ville, n’était pas cependant le seul lieu public à se prévaloir d’une fréquentation aussi bigarrée qu’intéressante. Parmi ces clubs de rencontres, on cite aussi le café "Nadjah" réservé plutôt aux sportifs. Aujourd’hui, force est de constater que, comme un peu partout en Algérie, les cafés foisonnent, mais ont perdu cette saveur si particulière qui en faisait autant de forum de discussion sinon de véritables ports d’attache. Leur clientèle change continuellement tout comme leur personnel dont l’instabilité est, de nos jours, légendaire pour de multiples raisons. Quasiment tous dotés de petits écrans, il se sont mués en "salles de spectacles" télévisuels qui s’animent surtout le temps d’un match de football rassemblant des dizaines de jeunes souvent désoeuvrés, se désole un ancien habitué des cafés du coin. R. C.